Intriguée, elle retourna dans le hall et se dirigea vers le guichet. Il avait disparu ! À sa place des automates, des distributeurs de billets était alignés attendant virtuellement le client hésitant. Mathilde n'en croyait pas ses yeux. Elle fit le tour du hall de gare croyant s'être trompée. Les voyageurs en partance ne la regardaient même pas. Elle crut avoir rêvé, pourtant, elle tenait ce billet dans sa main, barré de sa phrase sibylline.

Perdue dans ses pensées, elle marcha jusqu'à son appartement. Elle soliloquait intérieurement :" j'ai vraiment besoin de repos, je dois être surmenée."Pourtant, le souvenir de l'homme derrière le guichet lui revint. Quel était le nom inscrit sur son badge ? Timéo... Cela signifie peur en latin. Des réminiscences de l'apprentissage de cette langue morte lui revinrent en mémoire. Étrange comme coïncidence. En traversant le parc, elle vit le vieil homme à capuche endormi sur le banc ou elle était assise tout à l'heure. Il avait l'air serein. Un oiseau était perché sur son épaule et chantait gaiement.

Elle referma la porte derrière elle, enleva ses chaussures, se servit un verre d'eau. Demain, elle allait prendre le train. Cette réalité remonta dans son esprit comme une bulle nauséabonde. Cette peur lui polluait la vie. Ce voyage était si important pour son avenir, elle devait trouver en elle la force de surmonter cette montagne qui se dressait, noire et terrible, devant elle.

Elle repensa à la phrase écrite sur le billet. Oui, qui serait-elle si elle n'avait plus peur ? Elle serait libre, c'est une certitude. Elle tenta d'imaginer une Mathilde en tout point semblable à elle à l'exception de cette peur qui la rongeait, rat putride aux yeux rouges grignotant sa volonté.

Elle ferma les yeux, assise sur son canapé, elle respira profondément plusieurs fois. Le calme l'envahi. Son double apparut, vaporeux. Au début un peu flou, puis de plus en plus net. Elle visualisa une Mathilde souriante, sûre d'elle, ce qu'elle était en toute autre occasion. Il n'y avait en fait pas tant de différence. Excepté ce calme intérieur. Immense. Comme une plaine s'étendant à l'infini. C'était bon d'être cette Mathilde. Rassurant. Elle se sentait forte, légère, en pleine capacité d'action.

Elle était ce double d'elle-même. Cette Mathilde capable de prendre ce train sans aucune appréhension. Elle ressentait cette liberté, ce plaisir de regarder défiler le paysage, de laisser vagabonder son esprit, bercée par les bruits du voyage en train. Cette sensation gagnait tous les recoins de son être. Comme une vague de bien-être, chaude et bienveillante qui la recouvrait telle une couverture toute douce. La frontière semblait infime. Serait ce si simple ? Juste s'imaginer différente, juste laisser faire ce double sans cette peur ? Qu'avait-elle à perdre, à gagner de le croire ? Et si la Mathilde qui avait peur de ce voyage, restait tranquillement chez elle ? L'autre n'avait qu'à y aller, puisque c'était une formalité pour elle. Son double acquiesça, pas de problème, pas de soucis, j'y vais à ta place. Tu n'as qu'à rester là, bien au calme, je m'occupe de tout. Je serais toi dans ce train. Et tu me retrouveras à l'arrivée. Qu'en penses-tu ?

C'était tentant. Un plan parfait. Une stratégie qui correspondait en tout point à ce que Mathilde voulait. Elle souriait, les yeux fermés, parfaitement détendue sur son canapé. Elle s'endormit, ne vit pas la volute qui lui ressemblait faire sa valise, préparer ses affaires pour le lendemain. Elle rêvait d'un nuage rose et sucré comme de la barba papa, et avec gourmandise plongea dedans.