chapitre 6
Au comptoir de ce petit café, Siriogor n'avait rien perdu de la conversation entre Timéo et Mathilde. Cette faculté de se fondre dans le paysage et de paraître invisible, lui était venue au cours du temps et des nombreuses missions qu'il avait mené à bien dans le passé. Une sorte de pouvoir en quelque sorte.
Il en était persuadé, Timéo était celui qui pouvait assurément accompagner Mathilde dans son accomplissement. Pourtant, il avait failli la laisser sombrer dans ses angoisses ce matin.
Heureusement qu'il avait bien rattrapé les choses et fait en sorte que Mathilde puisse trouver la force de se rendre à la gare. Ces petites phrases, sur le billet et sur le panneau étaient un coup de génie ! Mathilde adore les signes et ceux-ci étaient parfaitement adaptés à son cas.
Timéo allait à présent affronter avec elle la partie la plus délicate de sa mission. Une fois les portes du train refermées sur eux, la suite sera inéluctable. Il fit grincer ses dents jaunes et pointues l'une sur l'autre, signe chez lui d'une intense réflexion. Il ne pourra plus reculer et n'aura pas le choix de mener à son terme ce pour quoi il était missionné.
Il avait déjà connu des cas semblables où le sujet emportait avec lui dans sa peur et son angoisse la personne qui était censée la soutenir et l'aider. Il faut une formidable stabilité intérieure pour pouvoir absorber les remugles empoisonnés de la peur de l'autre. Si cela devenait une réalité dans ce train, alors il n'aurait pas d'autre choix que de renvoyer Timeo dans l'enfer d'où il venait, exactement au même endroit, au cœur de sa terreur.
C'était déjà arrivé.
Il continuera à observer de loin, mais une fois dans le train, Timéo devra se débrouiller seul. Mathilde faisait partie des personnes qui devaient absolument se libérer de sa peur. En haut lieu, ils avaient de grands projets pour elle. Il n'était pas au courant de tout, n'étant qu'un simple rouage dans le Grand Accomplissement Globale Prévu. Il prenait toutefois sa fonction très au sérieux. Redescendre, n'était pas une option.
Il avala les dernières gouttes au fond de son verre et disparu dans un souffle d'air frais.
***
Timeo savait qu'il n'avait pas droit à l'erreur. Cette première mission était complexe. Mathilde avait un fort caractère et n'était pas disposée à céder sa confiance. Peut-être avait-il manqué de finesse dans son approche. Il devait être un peu plus subtil à l'avenir. Une fois que les portes du train seraient refermées, tout pouvait arriver, et aucun moyen d'en sortir avant l'arrêt complet à l'arrivée en gare à Paris.
Cela ajoutait des paramètres inconnus.
Il ne pouvait évidemment pas tout contrôler, il n'était pas dans la tête de Mathilde et ses réactions bien que prévisibles, les peurs ont toutes les mêmes symptômes, ne pouvaient être anticipées à l'avance.
Il n'avait aucun recul sur la situation, juste son expérience de sa précédente existence. Le ver du doute mordit avec gourmandise ses certitudes.
Qu'arriverait-il s'il échouait ? S'il ne trouvait pas les moyens de libérer Mathilde du carcan de sa peur ? Siriogor ne l'avait pas évoqué dans les détails. Il avait seulement dit que ce serait terrible. Pour Mathilde et aussi pour lui.
Dans le café, il n'avait pas pu aller jusqu'au bout de son projet. Mathilde s'était braquée. Il n'avait pas eu d'autre solution que de mettre en place cette vibration de calme transmise par son regard. Un sacré atout dans ce genre de situation ! Pas sûr que cela suffise quand ils seraient enfermés dans le train...
Il ne devait pas se poser de question, aller de l'avant, faire confiance. Quand Mathilde acceptera de l'écouter alors tout sera plus facile. Il avait trois heures devant lui. Le temps d'un trajet Grenoble - Paris en train.

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