chapitre 9

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La cabine descendait lentement. Une voix lointaine égrainait les étages, elle avait commencé à 34, chiffre qui était aussi celui de l'âge de Mathilde. La descente se poursuivait, des souvenirs en myriades de bulles explosaient dans sa tête.

Les années défilaient, l'une après l'autre. Elle eut bientôt 30 ans puis 25. Les émotions liées aux souvenirs de ces années passées éclairaient son visage de larmes ou de sourires. Elle avait la sensation d'être assise dans une salle de cinéma et de regarder le film de sa vie qui se jouait à l'envers.

Elle ignorait à quel moment l'ascenseur allé stopper sa course, pourtant, elle ressentait que ce n'était pas encore temps. Une force mystérieuse et bienveillante la contrôlait. Elle lâchait prise, surfant sur ces souvenirs qui surgissaient devant elle.

Elle revit les moments douloureux de son adolescence, ce tremblement de terre dans son corps et son esprit. Ce passage entre la quiétude de l'enfance et l'inconnu de l'âge adulte. Cette sensation de ne pas être à sa place, de vouloir être grande en étant toute petite.

Elle ressentit à nouveau ce que cela faisait d'avoir 8 ans. Cet enthousiasme, cette naïveté, cette joie bouillonnante qui courait dans ses veines. Cette sensation que tout était possible, d'être une princesse avec un cheval blanc, et une fleur dans les cheveux.

La voix continuait d'énoncer les années. La cabine poursuivait sa descente.

Puis elle eut 4 ans, 3... 2... 1...

Un tourbillon de lumière l'enveloppa. Un instant, elle n'eut plus de corps, plus de substance.

La lumière dans la cabine s'éteignit.

Assise sur son siège Mathilde gémi. Le train venait d'entrer dans un tunnel en sifflant.

Quand la lumière revint dans la cabine de l'ascenseur, elle sut qu'elle était arrivée.

Elle n'était pas dans un temps de son existence, elle se trouvait au-delà de sa vie actuelle. Dans une autre de ses vies.

Les portes s'ouvrirent.

Le jour à l'extérieur était blafard et gris. Elle sortit et se retrouva dans une ruelle pavée entre deux immeubles bas. Elle ne ressentait aucune sensation de froid ou de chaleur.

Que faisait-elle là ? Perdue dans ses réflexions, elle n'entendit pas la femme derrière elle, qui la traversa sans même ralentir sa marche. Dans ce monde, elle était un fantôme.

La dame marchait d'un bon pas tenant par la main une enfant aux cheveux blonds et manteau rouge qui trottinait comme elle pouvait.

Cécile !

Mathilde l'a reconnu ! Mathilde se retrouva ! Cécile, c'était elle dans cette vie !

Elle courut derrière elle.

Attends ! Hurla-t-elle.

La femme et l'enfant poursuivirent leur marche sans même se retourner.

Constatant qu'elles ne l'entendaient pas, Mathilde décida de les suivre. Elle était tremblante d'émotions contradictoires, bouleversée de rencontrer une version d'elle-même à travers le temps.

Puis tout alla très vite ! Un groupe de soldats les arrêta pour les obliger à monter dans un camion bâché en criant en allemand. La femme refusa, haussa le ton. Un soldat sortit son arme et l'abattit froidement.

Cécile hurla. Un soldat l'empoigna et la jeta dans le camion. Elle rejoignit d'autres malheureux pris comme elles dans cette rafle.

Mathilde voyait le visage terrorisé et noyé de larmes de la petite Cécile.

Le camion démarra. Mathilde eut juste le temps de monter sur le marchepied.

Dans les yeux de l'enfant, se lisait toute la détresse du monde. Une douleur indicible, une tristesse immense. Le trajet fut interminable.

Le camion freina brusquement dans un couinement de freins. Les gens furent jetés les uns sur les autres.

Sans ménagement, les soldats les firent descendre. Le groupe rejoignit une foule compacte qui s'amassait sur une place entourée de grilles. Des hommes, des femmes et des enfants. Beaucoup d'enfants. Tous avaient sur leurs manteaux, leurs vestes ou leurs gilets, une étoile jaune cousue.

Mathilde ne quittait pas des yeux le manteau rouge de Cécile. Mais que pouvait-elle faire ?

C'était tragique. Elle ne pouvait qu'être spectatrice du drame qui se jouait devant ses yeux.

Les grilles s'ouvrirent au fond de la place. La foule, marcha vers le quai ou attendait, lugubre, un train aux wagons de bois aux portes grandes ouvertes comme un monstre affamé.

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