chapitre 10
Mathilde tentait de s'approcher de la petite fille, qui, désemparée se laissait emporter par la marée humaine, se dirigeant vers le train, comme du bétail. Son manteau rouge apparaissait et disparaissait, comme une bouée en perdition dans un océan en furie.
Elle finit par la rejoindre, elle était tout près. Elle aurait tant voulu pouvoir la serrer dans ses bras, la sauver du piège implacable qui allait se refermer sur elle. Mais l'enfant ne pouvait la voir, ni la ressentir.
Cécile jeta un regard épouvanté derrière elle, ses yeux exprimaient une terreur indicible, des bras la portèrent dans le wagon de bois. Elle cria, paniquée.
Elle était perdue.
Bientôt, toute la foule disparue dans les wagons, les portes furent refermées, les destins scellés.
Mathilde resta sur le quai. Imaginant sans peine ce que la petite fille devait ressentir comme angoisse. La peur panique dans laquelle elle se trouvait, l'entassement autour d'elle de tous ces corps, le manque d'air, l'étouffement, l'écrasement contre le plancher de bois, et puis sa fin, inexorable.
Ce wagon de bois cristallisait l'endroit où la peur de Mathilde était née. Cécile l'avait fait grandir en elle, l'avait rendu incommensurable. Toute l'horreur de sa situation s'était concentrée dans son âme. Il n'y avait plus que cela qui hurlait en elle. Elle était morte avec.
Mathilde en avait hérité.
Mathilde était née avec.
Elle portait en elle les hurlements de terreur de Cécile.
Elle connaissait à présent la source putride d'où sourdait sa peur. Elle comprenait. Elle avait vu.
Sa peur avait un sens, une histoire, un prénom, un visage.
Imperceptiblement, l'amour qu'elle ressentait pour cette petite fille grandit en elle, jeta ses racines à l'intérieur de son esprit, illumina sa vie d'une chaleur inconnue. La tendresse l'envahit, éclaira les recoins sombres au fond de son être.
Telle une marée montante, une nouvelle compréhension recouvrit sa peur, la dispersa, la délita.
Sa peur s'était évaporée. À sa place, un apaisement serein faisait son nid. Plus rien ne serait comme avant. C'était terminé.
Elle rouvrit les yeux dans le Grenoble-paris.
La première chose qu'elle vit , c'est qu'elle était seule. Timéo avait disparu. Avait-il existé ? Elle n'en était plus si sûre à présent.
Elle se sentait parfaitement bien.
Elle prit plaisir à regarder le paysage défiler derrière la fenêtre. Elle souriait. Libre.
Elle était dans un train et elle s'en moquait.
Le train ralentit, puis s'arrêta. Elle était arrivée à Paris.

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