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Il avait un peu oublié, mais, à ses débuts, après la disparition du père, René l’avait soutenu. Il n’avait jamais bien compris pourquoi.

À la sortie du cimetière, après l’enterrement, ce dernier lui avait glissé :

— Passe à l’occasion !

Ils ne s’étaient jamais parlé. René et son père s’évitaient depuis longtemps. Il avait patienté. Un dimanche après-midi, en cachette de sa mère, il était allé le voir, avec la mobylette, car leur ferme était de l’autre côté de la vallée. En arrivant, le vieux lui avait simplement lancé : « Entre ! ». Il y avait Mélie, debout dans un coin. Ils s’étaient assis de part et d’autre de la grande table. André savait qu’il devait attendre.

— Tu sais, Baptiste, ton père, il n’était pas franc du collier !

André avait très bien deviné la raison. Combien de fois avait-il vu ce sourire spécial sur la figure de son père, suivi du détail du coup tordu qu’il venait de réussir, raconté avec une jubilation retenue. Résultat, il était brouillé avec tout le monde. Cela ne l’empêchait pas de trouver de nouvelles victimes. André se taisait.

— Pourtant, nous étions amis, depuis toujours. Mais il a fait des choses qu’il ne fallait pas faire.

Surtout, ne pas demander des explications ! De toute façon, il ne désirait pas trop entendre ces histoires.

— Je regrette, car il avait de bons côtés. Aussi !

Il avait continué à le laisser venir.

— Tu sais, avec Mélie, on n’a pas pu avoir d’enfants. Toi, tu as l’air droit dans ta tête. Si tu veux, si tu as besoin de conseils, viens me voir. En souvenir du Baptiste de notre jeunesse. Je sais que tu as fait des écoles, mais il y a des choses qu’on apprend que des anciens.

René était un bon. Il avait remporté de nombreux prix. Sa ferme était bien tenue.

André avait gardé le silence. Avec le père, ils ne causaient guère. Le plus souvent, il recevait des réprimandes. C’étaient plutôt les erreurs à ne pas commettre qu’il avait retenues avec lui. Il s’était instruit en creux.

Il ne pouvait pas accepter ouvertement, mais il était tenté. L’ancien ne le poussa pas, ils étaient aussi madrés l’un que l’autre.

— Tu veux voir mes bêtes ?

André avait lancé un grognement et s’était levé lentement pour le suivre. Leur relation débuta ainsi.

Quand il se posait une question, ou simplement pour apprendre, il allait voir René, toujours sans le dire à sa mère. Cela le sortait également de la maison. Ils faisaient le tour des prés, des étables. André observait, cherchant une bête se rapprochant de son souci. « Elle boite pas un peu, Charmante ? » ou encore « La Douce, elle n’a pas l’air de bien grossir ». René n’était pas dupe. Il expliquait, André écoutait. Aucun merci prononcé, juste un compliment sur une bête, une parcelle. Ils étaient des gens de peu de mots.

Une familiarité s’installa, mais il ne fallait pas se tromper. Un jour, André avait lancé :

— Tu parles à tes bêtes ! Elles ne peuvent pas comprendre !

— Tu as été aux écoles et on t’a dit que les bêtes étaient bêtes ! Tu les as crus. Qu’est-ce qu’ils en savent ? Moi je sais qu’elles me comprennent. Quand une bête doit partir, elle le sait. Elle le sent. Elle devient nerveuse. Je la rassure, je lui explique. Elle se calme. Essaie ! Tu me diras…

Il avait essayé, et il avait dû reconnaitre qu’il se passait quelque chose. Plus tard, il remarqua que cela arrivait dans les deux sens. Parfois, une vache s’approchait. Il devait saisir si elle venait le saluer ou lui réclamer de l’aide. Il ne s’en rendait plus compte, mais il parlait à ses bêtes et les entendait. Une fois, Stéphane l’avait surpris et n’avait pu retenir une question d’étonnement. Il avait dû forcer son borborygme habituel pour masquer sa gêne.

Quand la confiance avait été établie entre eux, il avait osé le point qui lui chatouillait la langue :

— Et toi, c’est quoi ta recette pour les terminer ?

— Comme tout le monde ! De l’orge, du blé, des topinambours…

Quel imbécile ! Autant lui demander ses endroits à truffes ! La formule de la préparation, cela ne se donnait pas plus ! Chacun son secret, malgré le lien qu’ils avaient noué, jamais il ne l’aurait.

Pour les truffes, cependant, il avait fini par savoir, bien des années plus tard. René avait fait une attaque et il ne pouvait plus marcher. Il avait encore toute sa tête. André passait plus fréquemment, par gentillesse et par remerciement, pour toute la sagesse transmise par René. C’était un soir de mi-décembre.

— Dommage ! Cette année, je n’ai pas pu aller chercher des truffes pour Noël !

André saisit immédiatement ce qui allait advenir. Il fallait le laisser avancer.

— Si je te dis…

— Hmmm !

Il lui avait indiqué le coin du causse, en achevant par : « Si on ne me les a pas volées ! ». André ne comprit l’allusion qu’en arrivant au pied des arbres. Gamin, il y était venu avec son père. La seule fois où ils avaient ramassé des truffes. Il lui avait expliqué comment les trouver, sur le brulis, avec la mouche. Cela avait été une fête le jour de Noël. Ils n’y étaient jamais retournés et il avait perdu l’endroit. En rapportant les trois tubercules, il avait simplement marmonné :

— Il n’y a plus que deux chênes qui donnent.

René avait eu un petit sourire. Il était parti quelques mois plus tard. Chaque année, tant que Mélie a été là, il lui portait une ou deux truffes. Il en gardait une pour lui et offrait les autres.

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