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Pour les paniers, cela avait été comme pour l’ensilage*. À l’époque, il avait étudié la question et s’était renseigné le plus possible avant de se lancer. Il voulait absolument tester cet aliment si facile à produire, même s’il était fâché de devoir le faire au vu des autres.

Le premier ensilage du département, cela avait été lui ! Il avait eu droit à un article dans le journal ! En y repensant, il a encore mal au ventre, comme le matin où il avait ouvert le silo.

Tout avait commencé plus de deux ans auparavant. Il avait entendu parler de cette méthode de conservation du foin ou du maïs par fermentation. Les Américains, les Allemands l’utilisaient, alors qu’on ne trouvait que de rares exemples en France. Il avait glissé le mot au technicien, le plus jeune, celui qui avait mille idées, dont la plupart farfelues. Un beau jour, il lui avait proposé de monter à Clermont, à la station de recherches, l’INRA*. Il avait dit oui. Ils y étaient restés une journée entière, avec un ingénieur, Rugié, qui leur avait tout expliqué. André en était revenu convaincu, même si, pendant le retour, il avait listé tous les inconvénients, les frais, les complications. Ils n’en avaient plus parlé. Albert, le technicien, connaissait André et sa façon de réfléchir. Quand André lui demanda de trouver une entreprise pour construire le silo, il accepta, sans commentaires et il lui obtint une petite subvention. Ils passèrent une demi-journée à chercher le bon emplacement, à calculer la taille, très calmement, sans paroles inutiles, mais chacun excité et enthousiaste. Ils se devinaient.

Le plus difficile pour André fut de retourner voir ses anciens camarades de la coopérative de matériels, la CUMA*. Chacun s’était équipé et ils n’avaient plus guère de matériel en commun. L’ensilage nécessitait d’être nombreux. Pour l’ensileuse, il n’y avait pas le choix : Albert avait dû dénicher l’entrepreneur dans un lointain département. Mais il fallait au moins deux remorques, trois ce serait mieux, aider au déchargement. Ce serait lui pour le tassage. Puis pour tirer la bâche, étaler les pneus, tous les bras seraient nécessaires. Il savait qu’ils viendraient facilement. Il dut leur expliquer le pourquoi, dévoiler son projet. Faire de l’ensilage ici ! Autant leur dire que leurs méthodes et leurs savoir-faire étaient dépassés. Il découvrit qu’il était admiré, écouté et suivi par ses camarades. Tous acceptèrent et leurs femmes se chargèrent du repas du midi. On retrouvait les vieilles traditions.

La journée fut longue. Rugié, qui avait fait le déplacement, donnait des conseils, accompagné par Albert qui enregistrait tout. Le lavage de son tracteur ressembla à un baptême. Puis ce fut la noria des remorques, elles aussi abondamment lavées avec forces eaux. Il avait vu grand. Il s’énervait en faisant les allées retours sur le maïs déchiqueté. Il avait calculé pour un mois de consommation, c’était beaucoup ! Moins, cela n’aurait pas été rentable. Il était sûr de lui, mais si jamais…

Les semaines suivantes, il contemplait cette bâche luisante, couverte de pneus, se demandant si tout se passait bien en dessous, dans l’impossibilité de la soulever.

Il savait qu’il était attendu. Le jour de l’ouverture, il y avait bien sûr Albert et Rugié, tous ses camarades de l’opération. Quand il vit le journaliste local, une angoisse apparut. Une quinzaine d’autres personnes étaient là. Qui les avait invités ? Il en connaissait de vue certaines, pour les avoir croisées à la foire, alors que d’autres lui étaient complètement étrangères. Cela l’énerva : si son expérience ratait, il se trouverait la risée de tout le pays. Il sentit son ventre se serrer. Être sous le regard de tant de monde, il n’aimait pas.

Aidé de ses amis, ils soulevèrent les premiers pneus et replièrent soigneusement la bâche. Au prix qu’elle coutait ! En bas, il y avait du moisi, du pourri. Il prit peur, serra les poings pour ne rien laisser paraitre. Heureusement, après les premiers plis, l’ensilage apparut aussi beau que celui de la station. L’odeur recouvrit l’assistance et des grimaces se dessinèrent. Quels idiots ! Ce n’est pas à eux qu’on leur proposait de le gouter ! Seconde étape, comment ses taurillons allaient-ils apprécier cette choucroute ? Il avait un peu triché, car la veille au soir, il ne les avait pas nourris. Résultat, ils étaient excités et meuglaient lamentablement. Quand il ouvrit la barrière, ils se dispersèrent dans les ruades, comme des gamins à la sortie de classe. Après ces ébrouements, les plus hardis, ou les plus affamés s’approchèrent de cette substance inconnue. Leurs hésitations durèrent assez longtemps pour achever de vriller le ventre d’André. Il se demandait s’il allait descendre au milieu d’eux pour les inciter à manger quand un premier se décida, très vite imité par les autres. Une nouvelle bousculade, sous les applaudissements des spectateurs, mit fin à ses angoisses. Il avait réussi ! Il était tellement content qu’il accepta de répondre aux questions du journaliste. Ignorant l’existence du trac, il n’avait jamais eu aussi peur que ce jour.

Il se promit de ne jamais recommencer à se mettre en avant, même si cette notoriété éphémère l’avait flatté. L’occasion ne se présenta pas,

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