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Il se rappelle qu’il doit partir demain pour l’enterrement de sa sœur et de son beau-frère. Il fait sa valise. Le remplaçant va arriver. Il faudra tout lui expliquer. Aussitôt après, il descendra à la gare. Soudain, il se souvient qu’il n’a plus de bêtes. Elles ont disparu depuis longtemps. L’enterrement de sa sœur, c’était encore bien avant. Une nouvelle fois, il ne sait plus s’il est hier ou aujourd’hui dans ses pensées.

Cela était survenu brusquement et cela restait un mauvais souvenir. Il avait fallu tout organiser en quelques heures, sans réfléchir, ce qu’il détestait par-dessus tout. Il avait dû, bien sûr, monter en train à Paris. Jamais ils ne l’avaient invité. De toute façon, il aurait refusé : il ne pouvait pas abandonner ses bêtes. Il avait téléphoné à Roger, qui connaissait bien Paris. Heureusement pour lui, les trains pour Brétigny partaient de la même gare que celle où il arrivait, sans avoir à prendre le métro. Il en avait entendu parler et il aurait été perdu et terrorisé s’il avait dû l’utiliser.

Le premier jour, il avait eu rendez-vous avec le notaire. Le lendemain, il avait assisté à la cérémonie, puis à l’enterrement au cimetière communal. Il avait tout arrangé par téléphone avec les pompes funèbres. Il avait aussi, grâce à eux, trouvé un hôtel convenable.

Brigitte avait été la préférée de leur père. Elle était née peu après le début de la guerre, juste avant que les Allemands envahissent la France. Avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, petite, elle ressemblait à une poupée. Jeune fille, elle avait beaucoup perdu de son attrait, sauf son sourire. Puis, avec le temps, elle avait forci, avec la même carrure que son frère, ce qui la rendait imposante.

Elle avait toujours méprisé la ferme, la boue, les odeurs. Leur mère lui avait continuellement déconseillé d’épouser un paysan. Elle voulait devenir une dame. Alors quand cet imbécile de Jean-Claude lui a fait du charme au bal du 14 Juillet, elle a cru que c’était arrivé. Un Parisien en vacances avec ses parents dans le village à côté. Cela a duré deux ans. Elle sautait de joie lorsque le facteur apportait une lettre. Les étés, c’étaient les retrouvailles. Ce cirque énervait André, car il avait tout de suite senti que Jean-Claude était un bon à rien. Il était un peu le chef de famille depuis la mort du père, même s’il n’était pas encore majeur. C’est lui qui faisait tourner la ferme.

Elle était montée à Paris, enfin en banlieue, après le mariage. Il était resté seul avec la mère. Pas toujours facile…

Les deux Parisiens descendaient lors de leurs congés. Elle jouait la dame, se plaignant du manque de confort, se demandant comment elle avait pu vivre dans de telles conditions, dans ce bouge, selon son expression dégoutée. Jean-Claude ne faisait rien, n’aidait en rien. Une des premières années, alors que l’orage menaçait, il avait été réquisitionné de force pour rentrer le foin. Il était ridicule avec sa fourche en essayant de soulever les bottes. André avait compris en le voyant en maillot de corps, à cause de la chaleur. Ce n’était pas un homme, bâti comme il l’était, avec des bras plus fins que ceux d’une fille. Il était resté ensuite deux jours couché, perclus de douleurs, les mains meurtries par d’énormes ampoules. On ne demandait plus rien à cet incapable, même pas d’apâturer* les poules. Il passait ses journées allongé, à fumer ses cigarettes blondes de femme, et surtout à dispenser des conseils inutiles ou des leçons stupides quand il ne racontait pas sa vie de bourgeois.

Il avait acheté une grosse automobile. Le dimanche, ils partaient tous les quatre au restaurant, enchainant souvent une petite visite touristique. La région était jolie, la mère grognassait, contente de sortir, embêtée par son endimanchement. Jean-Claude frimait en conduisant, le bras hors de la portière, la cigarette au bout des doigts, un grand sourire satisfait aux lèvres. Il ne voyait même pas qu’il avait l’air ridicule.

Ils repartaient vers Paris avec la voiture bourrée de provisions, car « Là-bas, on n’a pas de si bonnes choses ! ».

Cela dura des années. Après la mort de la mère, ils étaient venus une fois. André ne s’était pas montré très accueillant. En plein été, quand tout pressait, avoir ces deux parasites dans les pattes l’avait énervé. Brigitte ne cuisinait pas, ou à peine, car elle était en vacances. Et lui, alors ? Ensuite, ils ne firent plus que passer. Il n’y avait plus beaucoup de victuailles à emporter non plus. Ce n’étaient pas les sentiments qui allaient les faire venir.

Comme il était le seul parent, c’est lui qu’on avait prévenu lors de l’accident. Cet idiot avait doublé en haut d’une côte. Ils étaient morts tous les deux, en tuant la famille en face, le père, la mère et les deux enfants. Six morts ! Quel imbécile, ce Jean-Claude !

Chez le notaire, il avait compris. En fait, le Jean-Claude, c’était un minable, un employé subalterne dans une petite société. Leur voiture, leur maison, c’était lui, André, qui leur avait payés avec la soulte* de la ferme, lors de la succession du père. Son emprunt au Crédit pour cette somme importante, les remboursements, perdus dans tous les autres, il n’avait jamais pensé que cela servait à Jean-Claude pour son étalage. La bêtise de Jean-Claude devait être contagieuse.

Il n’y avait personne à l’église, encore moins au cimetière : quel gâchis !

Il avait hérité de Brigitte et de Jean-Claude. Ce dernier n’avait pas grand-chose de son côté. Leur contrat de mariage mélangeait tous leurs biens. Pour ça, le Jean-Claude, il avait bien saisi où était l’argent. Il avait été tué sur le coup, Brigitte était morte deux heures après son arrivée à l’hôpital. Il était donc l’héritier des deux. Une fois leur maison vendue, que tout avait été payé, le restant ne remboursait pas la soulte. Cela représentait quand même une belle rentrée de fonds. Pour faire la nique à cet idiot de beau-frère, il avait acheté un nouveau tracteur. Plus efficace, plus confortable, c’était une bonne affaire pour lui. Toujours pour se moquer d’eux, il avait réalisé aussi des travaux pour améliorer sa vie, la douche, l’eau chaude, les toilettes avec la fosse septique dataient de cette époque. Le reste, il l’avait utilisé pour sa trésorerie.

Il a revécu tout ça, sa valise à ses pieds. Il est midi passé. Il se lève, range ses vêtements, ouvre une boite quelconque. En mangeant, il remâchouille encore des bribes de l’histoire de Brigitte et de Jean-Claude. Quelle idée de s’amouracher d’une telle cloche ! Tout ça pour ne pas être une paysanne, elle, sa sœur.

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