Chapitre 6 - Ironie Salée

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Gorys et Kyos nagèrent au-devant de la nuée de sacs plastiques. Leur mission ? Les réunir. Le plan de Nalya consistait à ramasser les déchets alentours pour les ramener sur les côtes, un acte de bonne volonté, une main tendue aux terrestres. Le soldat admirait sa bonté mais son éducation militaire lui soufflait qu'ils ne devraient pas placer d'espoirs dans cette entreprise pacifique. Cependant la tortue n'en démordait pas : pas de violence. Le duo n'était pas le seul au travail. Nalya avait demandé audience au maire d'Isilde, audience qu'elle avait obtenue en qualité de seigneur d'Atlantide. Convaincre l'élu de la cité n'avait pas demandé plus d'une dizaine de minutes. Son peuple agonisait, l'inertie de Falside était inacceptable ; alors, quand un autre dirigeant lui proposa d'agir, il n'hésita pas. Ainsi, toute la ville se mobilisait pour nettoyer cette pollution et la renvoyer aux expéditeurs.

Le pirate fourra une poignée de sacs dans son filet à maillage étroit ; il jetait de réguliers regards en coin au combattant. Au cours de leurs recherches de Faerys, il avait profité de leur bref moment de solitude pour aborder le sujet du soldat avec Sperys. Il lui confirmait avoir pensé à tout.

***

« Pourquoi t'encombrer de ce petit noble et de ce gardien du Conseil ? »

Un fin sourire fleurit sur les lèvres du calmar en même temps que des paillettes animaient son regard.

« On ne gagne pas une guerre en prêtant attention à l'origine de chacun. Fae a plus de cran que tu ne le penses. Quant à Kyos, nous devons recruter les agents de l'ordre afin de ne pas les affronter inutilement. Il est épris de la princesse, il la suivra.

— Et toi ? Es-tu épris de Faerys ? »

***

Il n'avait pas eu de réponse. Déni ou ignorance ? Il soupçonnait un mélange des deux. Cela étant dit, il pensait avoir un pion à jouer dans son projet de rallier les petits soldats de la Surface. Le hors-la-loi ajusta ses filtres, il ne prévoyait pas d'évoquer ce qui l'avait mené à l'exil.

« Nalya est certainement une bonne meneuse. Prudente, courageuse... Elle essaye d'aller au fond des choses. Elle a l'air de te plaire, il y a anguille sous roche entre vous, non ?

— Pas du tout, c'est purement platonique. Je n'ai pas la prétention de lui plaire.

— Que les courants nous protègent d'une telle niaiserie. Tu lui plais. Tentes ta chance, tu es déjà en train de désobéir au serment des combattants. Tu ne risques rien de plus qu'un bannissement. Crois-moi. »

Le militaire fronça lentement les sourcils et tourna la tête en direction de Gorys. Cette simple déclaration valait mille explications. Le pirate était aussi un betta. Il fixa alors son crâne.

« Tu coupes ton panache...

— Ouais, et je n'ai jamais mis les pieds à l'Académie, alors personne n'a besoin de savoir. »

Soudainement, sa désobéissance lui paraissait moins inédite et dangereuse. D'autres s'étaient rebellés. Il glissa ses doigts dans sa crête, la douceur de sa nageoire le rassurait. Pour être honnête, le pirate venait de lui offrir un peu de confiance en lui et d'espoirs avec Nalya. Est-ce qu'il pouvait oser ? Tenter de la séduire ? Ces émotions qui s'agitaient en lui lorsqu'il partageait un instant avec elle étaient-elles de l'amour ? En attendant, l'ambiance entre lui et le brigand se réchauffait.

Ramasser les sachets plastiques leur pris une bonne heure et ils retrouvèrent la ville où Sperys aidait à rassembler le contenu de la décharge. Faerys ne chômait pas non plus, il parvenait à outrepasser l'angoisse créée par l'ambiance maladive de la cité. Cette opération impulsait une nouvelle vie aux isildiens.

La nuit tombée, les aquaïens apportèrent les centaines de filets de détritus dans un port de plaisance. A l'entrée du port, un immense rocher pointait vers le ciel et une île dotée d'un fort en ruines. Ils s'introduisirent entre les balises de signalisation, sous l'eau. Ils choisirent un centre-ville, ils seraient trouvés dès le lendemain matin. Nalya veilla, dissimulée entre les rochers en compagnie de ses compagnons de voyage. Elle s'émerveilla des voiliers alignés le long des pontons ainsi que de l'architecture provençale des murs aux tons jaunes. Ces navires détenaient un charme étranger à ces gigantesques cargos et bateaux de croisière. Une église romane surplombait les quais et un panneau indiquait « La Ciotat ».

La saison estivale amena des promeneurs matinaux aux premières lueurs du jour. En vingt minutes, un public se rassembla aux abords du vieux port. Un homme en élégant costume de première main gris bleu, ré-haussé de fines rayures, se fraya un passage, suivi d'humains munis de caméras. Une écharpe tricolore barrait son torse. Nalya déduisit qu'il s'agissait d'un responsable politique. Il salua la population d'un sourire plaqué mais son regard analysait l'état des quais jonchés de filets de déchets. Dissimulés sous un ponton de bois, les aquaïens épièrent la déclaration médiatisée du maire. La déception s'enroula dans la poitrine de la princesse au rythme de ses mots vides de sens. Il assura avoir organisé lui-même cette opération de ramassage afin de sensibilisation à la pollution marine. L'âme de chef d'état de Nalya se révulsa à ces honteux mensonges. Un représentant du peuple ne devait pas mentir. Jamais. Décidée à s'interposer, elle fut retenue par Sperys qui plaqua sa main contre ses lèvres et murmura.

« Désirez-vous vous faire tuer ? Ou terminer votre vie dans un laboratoire ? Si vous souhaitez négocier avec eux, vous aurez besoin d'atouts.

— Nous pouvons dialoguer.

— Vous croyez ? Ils ne vous offriront ni dialogue, ni négociation. Un rapport de forces, oui. Et vous n'avez rien à leur opposer. »

Son ton, ferme, la força à la résignation. Elle jeta un regard circulaire au port et comprit que la population croyait son maire. Elle baissa ses yeux qui s'embuaient malgré elle. Un mélange de tristesse, de désespoir, de rage. Elle reprit le contrôle de son corps, se dégagea de la prise du calmar puis imposa de rentrer.

Une fois à Isilde, elle se mordit la lèvre de culpabilité face à l'expectative du peuple isildien. Elle laissa le soin d'annoncer leur échec au maire et s'éclipsa de son côté. Elle n'avait jamais osé le faire au cours de sa jeunesse, elle tenait toujours son rôle de princesse, mais aujourd'hui elle doutait. Et elle comprenait le réconfort que son cadet trouvait dans la fuite. Le besoin d'être avec elle-même, de faire le point. Elle savait que Kyos ne mettrait pas longtemps pour partir à sa recherche. Ses brasses la guidèrent jusqu'au salon de tatouage. Une envie folle la piqua. Elle en voulait un. Elle poussa la porte et plaqua ses mains au comptoir en même temps qu'elle posait sa demande. La méduse gloussa, repoussa quelques tentacules derrière son oreille et afficha un dessin sur l'écran du comptoir. Dès leur rencontre, elle avait deviné que la princesse finirait par lui en réclamer un. Et la régente l'avait inspirée. Une perle blanche, bien ronde, posée sur la table plus tard et la princesse la laissait opérer sur son avant-bras droit. Nalya ne ressentait aucune honte à avouer la douleur de l'abrasion. Mais cette souffrance lui procurait une singulière sérénité. Comme si elle aspirait cette déconvenue. Un peu plus d'une heure après, un superbe trident pointait vers son poignet entouré d'une frise de motifs de vagues. Le bleu marine et l'argent s'associaient sur sa peau verdâtre. Elle glissa ses doigts autour. C'était comme s'il avait toujours fait partie d'elle.

L'artiste s'emplit de fierté à la satisfaction de sa cliente. Elle passa derrière le comptoir et saisit un tube à essai contenant des épines de rascasse volante. Nalya fronça les sourcils, elle n'avait jamais consommé de drogue mais aujourd'hui, elle ne comptait pas refuser. Elle observa la méduse s'asseoir à ses côtés et accepta la piqûre. Une chaleur envahit son corps qui se relâcha. Ses pensées ralentirent et le monde devint plus luminescent et flou autour d'elle. C'était déstabilisant mais pas désagréable. Elle se laissa aller en arrière, sa vessie natatoire s'occupait de la maintenir dans le vide. Son esprit divaguait librement jusqu'à ce que les mots du nérite ne lui reviennent. Des atouts ? De quoi parlait-il ? Des menaces ? Elle voulait dialoguer en bonne intelligence avec les terrestres. Elle était chef d'état, pas mercenaire.

Kyos pénétra dans la boutique et trouva sa princesse droguée. Son image impeccable en prit un coup mais cet aspect nouveau ne le rebuta pas. Elle était toujours si parfaite alors qu'elle reprenait les rênes de sa cité prématurément, malgré la perte de sa famille, elle avait quitté ses terres natales pour chercher la vérité, elle allait de révélation en révélation. Elle avait cru avec sincérité cette opération manquée. Il retint la leçon de morale qui se bousculait dans sa gorge de prime abord et passa un bras sous ses genoux et un bras dans son dos pour la porter. Il préférait la ramener à l'hôtel et veiller sur elle. Le combattant la déposa sur le lit, délicat.

Il s'attarda sur ses lèvres pulpeuses puis tomba malgré lui dans le décolleté du chemisier qui révélait le haut de sa discrète poitrine. Des papillons s'agitèrent dans son ventre mais il ne profiterait pas de son état de fragilité. Perdre sa confiance était le dernier de ses souhaits. Il tira le drap et la recouvrit avant de se lever pour s'installer dans le fauteuil près du lit. Elle attrapa son poignet et lui intima de rester.

« Ce ne serait pas correct, votre Altesse...

— Tu n'es plus un gardien de Falside, tu es un Atlante, aucun problème. Viens. »

Le combattant déglutit, s'assit sur le bord du matelas et garda sa main dans la sienne. Ses doigts étaient si longs, et si fins... Sa peau si douce malgré les reliefs écailleux. Leurs doigts s'entrelacèrent et se caressèrent paresseusement. Ce modeste contact tarissait ses pensées, les focalisait sur la charmante jeune femme. Elle avisait une mine mélancolique, contrariée. Les effets du venin de rascasse se dissipaient, la laissant dans un lit de mousse. Son train de pensées retrouvait de la logique. Elle comprenait que Sperys voulait qu'elle s'attaque aux humains mais elle le devinait plus ambitieux. Quelque chose qu'elle seule possédait ? Quel avantage pouvait-elle lui offrir ? Quelle arme ? Elle devait aussi confronter la Surface une fois de retour à Atlantide.

Sa vue se brouillait de fatigue. Elle bâilla sans grâce, son bras nouvellement marqué glissé sous l'oreiller pour lui donner une meilleure forme. Elle tira le betta pour l'inviter à se coucher avec elle. Elle avait besoin de présence et de chaleur, elle se sentait protégée avec lui. Kyos s'étendit dans son dos, resta à une distance convenable mais ne lâcha pas sa main. Les paupières déjà closes, la princesse sourit, paisible.

***

A quelques kilomètres d'Isilde, Sperys attirait le prince et le pirate dans la ville abyssale la plus proche. Il connaissait un discret atelier d'art à l'ambiance intimiste. Morside se constituait d'épaves coupées en deux et fixées au talus. Les espèces bioluminescentes qui éclairaient la ville étaient cultivées pour former des courbes et lignes complexes sur les cadavres de navires. Le trio se glissa dans la cité qui bouillonnait d'inspiration et d'originalité. Les citoyens se promenaient en tenue extravagante et bijoux d'imitation de coraux. Faerys jura que son âme appartenait aux villes abyssales. L'atelier se trouvait dans la proue d'un récent croiseur, dans les étages les plus bas. Un trou perçait le côté tribord, dissimulé par un rideau d'algues.

A l'intérieur, une scène à droite supportait un groupe de musiciens et une chanteuse vocaliste fredonnait langoureusement. L'ambiance rappellerait un bar des années trente à un terrestre. Un instrument à percussions, une sorte contrebasse, un imitateur de chants et cliquetis de cétacés. Au fond, un long bar s'aménageait en quart de cercle, des serveurs s'activaient derrière. Ils préparaient des doses de drogues ou emportaient les plats de la cuisine pour les clients. Non loin, des chevalets permettaient de peindre, de coller, de tisser. Un cours de danse se tenait sur une piste délimitée. Des sofas patientaient devant la scène.

Un couple occupait la causeuse du fond, Sperys se joignit à eux et fit de rapides présentations. Les patrons de l'atelier, accessoirement représentants officiels de la cité, attendaient le nérite. Ils plaisantèrent sur l'action pacifiste de l'innocente princesse. De prime abord, Faerys fut embarrassé mais il repéra la bienveillance dans leur ton. Eux aussi avaient été ignorants. Gorys se mêla à la conversation avec aisance tandis que le prince se montrait attentif. Il affectionnait le contrôle de son amant sur les récents évènements.

« Elle sera bientôt prête, la désillusion a été... Frappante. Je vais aborder le sujet du Léviathan. »

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