Chapitre 9 - Eaux Troubles

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« Sors d'ici ! Sale traître ! »

Kyos quitta la salle du trône tandis que Nalya s'acharnait sur les caisses de coqu'-à-infos envoyées par Falside. Ils venaient de rentrer après quelques jours où Faerys était resté en observation. Avant leur départ, le Haut Conseil avait ordonné de les pucer afin que ni elle, ni son cadet ne puissent quitter Atlantide sans qu'il ne soit alarmé. La princesse avait été incapable de dissimuler la fureur dans son regard sombre, elle avait attendu leur retour pour la laisser éclater. Le combattant découvrait un peu plus le visage de la jeune femme sous le masque de princesse. Elle qui s'arrogeait à la mesure et à la bienveillance n'acceptait pas d'être tracée. Légitime selon lui, tout comme ce rejet. Sa colère nécessitait un exutoire accessible. La meilleure attitude pour lui montrer sa sincérité était la patience.

Il fourra sa main dans la besace de son ceinturon. Le métal froid et dur de la clef volée à Faerys le rendit songeur. Il l'avait prise avant que Falside ne la trouve. Il ignorait d'où lui était venu cette pulsion. C'était peut-être tout ce qu'il restait de la relation entre les deux jeunes hommes. C'était toujours plus que ce qu'il gardait de ses émois pour la princesse : un vulgaire souvenir d'une chaste étreinte alors qu'elle s'était droguée. Il ne voulait pas la perdre alors que leur histoire balbutiait à peine.

D'une nage décidée, il rejoignit la chambre du convalescent. Suite au dramatique attentat de Sperys, ce dernier était porté disparu et nul ne connaissait les participants de ce massacre. Faerys ne doutait pas un seul instant qu'il eut survécu. Il en avait réchappé, il était en vie et préparait la suite de la rébellion.

Le militaire frappa à la porte et attendit d'être autorisé à entrer. Cela prit une poignée de secondes trop longue pour ne pas dissimuler un acte suspect. Il ne dirait rien, il n'était pas un traître. Enfin. Techniquement, il trahissait la Surface. Donc il l'était, mais pas auprès de la famille Magnalja. Il pénétra dans le jardin secret du prince. La chambre était ordonnée malgré la quantité d'objets personnels. Des instruments, du matériel d'art, des peluches. Beaucoup se couvraient d'une mousse verte qui suggérait que le jeune homme n'y avait pas touché depuis longtemps. Des tentatives ratées de trouver sa place. Seul le nécessaire de couture, étalé sur le bureau entre les chutes de tissu, semblait utilisé. Une robe inachevée verdissait aussi sur un mannequin. Elle lui semblait inspirée et de bonne facture pourtant.

« C'était un cadeau pour l'anniversaire de ma mère. Nous avions le goût du style en commun.

— C'est très réussi, vous devriez la terminer.

— J'aurai tout le temps, coincé ici grâce à vous.

— Je ne vous ai pas dénoncé, je vous ai même protégé des conséquences de votre barbarie sur ces pêcheurs humains.

— J'ai cru comprendre. Et ce n'est pas parce que vous êtes amoureux de ma sœur que je vais vous croire. »

Kyos se sentit plus humilié qu'à l'Académie. Il baissa les yeux, déglutit et remis son panache sur le côté d'un coup de main. L'ambition du cadet de le rendre mal-à-l'aise était réussie. L'idée de garder la clef fit son chemin dans sa tête. Il ne se savait pas rancunier. Il contempla le poulpe qui ne ferait pas le moindre effort pour entretenir cette conversation. Évidemment, il était l'opportun. Il redressa la tête et s'ouvrit au prince.

« J'admire l'authenticité de vos convictions et la force de votre amour. J'envie de ne pouvoir en faire de même, n'ayant pas de passé, je n'ai pas d'avenir.

— Quel ramassis d'inepties. Je ne crois pas que Nalya apprécie les pleurnicheries. Ni l'hypocrisie. Vous avez une histoire, comme tout le monde. Votre formatage en fait partie intégrante, acceptez-le et avancez si vous désirez vous en échapper. »

L'un des points communs que Faerys s'était trouvé avec son amant était celui-ci. Rien de plus insupportable que ceux qui s’apitoient sur leur sort. A leurs yeux, ils se complaisaient dans leurs malheurs. Réussir à s'en sortir ne dépendait pas totalement de soi, mais la volonté oui. Le souffle coupé par la dureté de ces mots, Kyos les considéra tout de même. Il n'envisageait pas que son passage à l'académie puisse être un début. Il ne releva pas l'insolence du jeune homme mais conserva la clef au fond de sa besace. Peut-être que Nalya désapprouverait de lui rendre. Peut-être qu'elle désapprouverait qu'il se soucia de son opinion plutôt que de forger la sienne. Quel casse-tête. Le voilà perdu.

Faerys fronça les sourcils face à la profonde réflexion du soldat. Lui resterait-il un bout de cerveau après tant d'années sous l'influence de Falside ? Le doute s'instaura en lui. Sperys lui avait offert sa chance alors qu'il n'aurait pu le considérer que comme prince d'une lignée bien soumise au Haut Conseil. Et si c'était le cas ? Non, Sperys n'aurait pas feint leur relation, il était stratège mais pas cruel. Il ne lui aurait pas permis de tomber amoureux de lui. Une insidieuse angoisse s'installa au sein de sa poitrine. Il mordilla l'ongle de son pouce, son regard s'égara dans le vide alors que ses pensées parasites s'enroulaient en épaisses volutes glacées autour de lui.

Il congédia Kyos aussi sèchement que sa sœur. Il n'avait pas besoin qu'il lui tienne la main. Il gérerait ses tourments seul. Le militaire s'inclina et disparut. Bredouille dans le corridor, il hésita sur ses prochaines activités. L'idée de s'enfermer dans sa chambre l'asphyxiait. Errer dans la cité se rapprochait de son état d'esprit. Personne ne requérait sa présence au palais.

Les rues pastel d'Atlantide resplendissaient de propreté. Le peuple avait accueilli chaleureusement sa future reine, Falside tenait leur courte bravade secrète. Les Magnalja dirigeaient la ville depuis sa fondation, ils étaient aimés, jamais les atlantes n'accepteraient que la Surface les sanctionnent ou ne les destituent. La vie était paisible à Atlantide, une routine huilée à la perfection. La rigueur de la courtoisie tranchait avec l'austérité fonctionnelle de Falside ou le joyeux chaos de Néritide. Kyos se prenait à apprécier découvrir l'identité de chaque cité indépendante de leur espèce à la culture si riche. La solitude le frappa au milieu de l'avenue principale bondée.

***

Sperys s'éveilla. Une menotte l'empêcha de passer sa main sur son visage dans l'espoir de se débarbouiller de son sommeil. La chaleur ambiante lui rendait ardu le moindre mouvement. Il haleta, ses pupilles peinaient à s'habituer à la lumière. Le blanc de la pièce reflétait les rayons des néons. Outre la luminosité, une désagréable odeur piquait ses narines. Il l’ignorait mais il s’agissait du parfum alcoolisé du produit utilisé pour la stérilisation du laboratoire. Des bips réguliers sifflaient à ses oreilles sensibles. Il se sentait groggy, son corps ne répondait qu'avec la force de sa volonté.

Une ombre le surplomba ce qui lui permit d'ouvrir ses paupières complètement. Un terrestre dotée d'un masque qui couvrait sa bouche et son nez. Le nérite tenta de s'éloigner malgré ses liens qui le tenaient en place, implacables. Ses tentacules ne répondaient pas, à son profond désespoir. Il détourna la tête, résista à la main gantée de latex qui força son visage à faire face à une minuscule lampe. Le faisceau lui fit fermer les paupières pour protéger ses rétines malmenées. L'humain parut satisfait car il relâcha sa prise pour consulter un moniteur à sa gauche.

Sa peau le démangea, rendue sèche par le manque d'humidité et irritée par la chemise d'hôpital immaculée. Ses chevilles étaient entravées à l'instar de ses poignets. Le calmar réclama de l'eau d'une voix rauque. En vain, l'humain ne comprenait pas sa langue. Enfin, il le crût jusqu'à ce que le médecin l'arrose d'un brumisateur bienvenu. Ses poumons s'éclaircirent avec ses pensées. Il avait survécu. Mais il était désormais pris au piège. Avait-il dormi longtemps ? Où était-il ? Son intégrité physique n'était pas compromise, les terrestres ne lui avaient donc rien fait pour le moment. Il s'attendait à un interrogatoire. Même s'ils devraient trouver un moyen de communiquer avec lui avant. Voilà qui lui laissait le temps de programmer son évasion.

***

Gorys entra dans un bordel de la ville abyssale de Médioride. Citée de la sortie sud orientale de la Sylvaréna, elle était reconnue des voyageurs en quête de plaisirs. Et des pirates. Médioride était l'une des seules villes à accepter la présence des apatrides. Quel soulagement après sa traversée solitaire de cette mer en voie de décomposition. Il allait laisser Sperys Camb et sa Révolution derrière lui bien qu'il lui avait fait le don d'une cargaison d'humidificateurs portatifs pour son abordage. Il n'avait aucune idée du résultat de cette opération mais il préférait l'ignorer à présent. Hors de question qu'il pointe sa nageoire à l'Académie. Il comptait prendre du bon temps et attendre patiemment de réunir son équipage parti aux quatre courants répandre les projets du calmar.

Avec le recul, il regrettait de les avoir envoyé. Il regrettait d'avoir pensé un instant que Falside pouvait être défaite. Le poisson s'assit à un bar et consulta la liste des drogues disponibles. Il opta pour la plus forte, il se sentait bien trop misérable pour l'assumer. Il avait laissé Sperys se suicider dans sa folle entreprise, un jeune prince était mort et Atlantide, citée la plus puissante, était sous la coupe de la Surface. Deux perles roulèrent sur le comptoir, il récupéra son aiguille et s'installa dans un oreiller géant du fond du bordel. Une prostituée passa devant lui, ses mains jointes à celles de son client. Elle lui souriait d'une douceur infinie. L'homme se sentait aimé par ce simple sourire.

Le pirate s'avachit dans le coussin et positionna l'aiguille contre son bras. L'écran mural attira alors son attention. Ce bar, fréquenté de voyageurs, de mercenaires et de pirates, diffusait les avis de recherches émis par le Haut Conseil ou les autres villes s'ils avaient été validés par Falside avant. Son visage apparaissait sur le diaporama à la suite de celui de Sperys. Alors, ils ignoraient s'il s'en était sorti ou non. Il souhaita que oui. Sperys était une courte mais surprenante rencontre.

Sans se redresser, l'apatride jeta un regard circulaire à la salle. Se droguer au milieu de ces potentiels chasseurs de tête semblait une bien piètre idée, autant leur tapoter l'épaule directement. Ses compagnons l'attendraient ici comme convenu, peu importait le temps qu'il mettrait à apparaître. La vue de deux aquaïens au chapelet de cauris le convainquit de fuir les lieux publics. Il rangea l'aiguille dans son éprouvette et s'éclipsa du bordel par le mince hublot arraché du yatch. Un coup d'oeil en arrière lui suffit pour comprendre qu'il était déjà repéré. Les deux mercenaires abandonnèrent leur place au pied des scènes de danseurs érotiques pour rejoindre la sortie et le pister. Un juron siffla entre ses dents serrées, la réalité ne lui accorderait pas le moindre répit. Il longea la coque du bateau de luxe, épia derrière le gouvernail et sprinta jusqu'à un conteneur rouillé reconverti en local commercial pour un joailler. Il souffla et jeta un oeil en arrière pour constater avec horreur que les deux mercenaires l'avaient pris en chasse. Leurs dents pointues et le blanc et bleu aquatique de leur peau lui suggéraient qu'ils étaient des requins. Peu étonnant car ce métier se pratiquait principalement par des squales.

Le betta prit appui sur le conteneur standardisé rouge et se propulsa dans une ruelle en contrebas. Ses poursuivants ne se laissèrent pas abattre et le suivirent aussitôt. Dans sa descente rapide, Gorys dévia pour se mettre dans l'axe d'un vieux mât qu'il saisit au passage. Il fit une pirouette autour et se propulsa de nouveau, en sens inverse. Lui qui pensa acquérir assez de vitesse pour passer entre les chasseurs, il se fit saisir, sa course interrompue avec une brutalité qui fit craquer ses épaules. Sa tête percuta la quille d'une frégate où un des requins le maintint tandis que l'autre récupérait le tube à essai contenant la drogue achetée plus tôt.

Le pirate se débattit, parvint à asséner un coup dans les côtes de son agresseur puis sentit la chaude piqûre à la jonction de son cou et de son épaule. Son cœur battait si vite d'adrénaline que le psychotrope se répandit dans ses veines telles une traînée de poudre. Les lumières s'intensifièrent autour de lui, ses muscles se relâchèrent et plus rien ne compta. Les manipulations des deux mercenaires n'étaient rien de plus que des évènements lointains et inaccessibles dans son esprit embué d'images colorées et psychédéliques.

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