Chapitre 10 - Limbes Historiques

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Faerys ne tint que deux jours de convalescence avant de perdre patience. Il voulut envoyer un message à son amant mais on lui interdisait l'accès à tout terminal électronique. Et la méthode à l'ancienne, avec les tortues migrantes, ne fonctionnait pas sans destination. Tant que Sperys restait dans l'ombre, il serait coincé. Peut-être qu'il ne répondrait même pas à un message électronique de peur d'être intercepté par Falside.

Le poulpe jeta un œil dans le couloir. Il n'était pas hors-jeu, il poursuivait le combat. Heureusement que son amant lui avait confié un indice sur la suite de son plan, il pourrait l'aider, même détenu dans sa propre cité. Ces histoires de Léviathan et de Kraken l'intriguaient. Les aquaïens avaient aussi leurs mythes ; ces créatures de légendes en faisaient partie. Loin d'être les seules d'ailleurs : Charybde et Scylla, Hai Ho Shang, Namazu, etc. De grands monstres marins qu'ils partageaient avec les civilisations terrestres. D'aucun dirait qu'un fond de vérité habitait ces histoires, mais celle enseignée par les programmes du Haut Conseil affirmait, de façon tout à fait péremptoire, qu'ils n'avaient jamais existés. Sperys y croyait. Avant leur séparation, il se serait immédiatement jeté sur sa sœur pour réclamer la vérité.

Aujourd'hui, il se rendait compte que Sperys n'était pas infaillible, il n'avait pas prévu l'intervention des combattants et son abordage lui paraissait désormais tout aussi flamboyant que suicidaire. Le doute de sa mort pressait sa poitrine à chaque espoir éconduit. Il porta sa main à sa clef toujours disparue. Il soupçonnait Falside de lui avoir volée.

« La mission. Concentres-toi Fae. »

Pas l'ombre de l'un des deux combattants envoyés en renfort à Kyos. Nalya leur avait attribué la plus petite chambre du palais. Il en avait souri, sa sœur avait développé un côté passif agressif tôt dans sa jeunesse pour montrer son mécontentement sans perdre la face. C'était puéril, et inutile, mais plus accessible que son masque de princesse. C'était sa sœur.

Fier d'avoir semé ses geôliers, le prince longea le corridor jusqu'à la double porte des sous-sol du palais. Cette partie de la demeure royale était strictement réservée au roi et à lignée Magnalja couronnée. Donc son père, et bientôt sa sœur. On accédait à cette aile par le bureau ancestral des dirigeants atlantes, à l'ouest de la salle du trône. Faerys avait tant joué, échappé à ses précepteurs dans les couloirs de ce palais qu'il en connaissait les moindres détours et circonvolutions. Si certains raccourcis rapetissèrent avec le temps, il parvenait toujours à se glisser où il le désirait. Faerys affectionnait le spacieux bureau de sa lignée, même s'il ne poserait jamais ses fesses dans le fauteuil. Enfin, il se le permettait autant que sur le trône. Pourtant, la vie de règne ne l'attirait pas, ces actes se cantonnaient à des jeux et provocations.

Le prince souleva la clenche et poussa le battant droit. Le sol s'ouvrait devant lui dans la noirceur la plus totale que la lumière du couloir ne parvenait pas à percer. Le poulpe retira son sac à dos, récupéra une lanterne carrée contenant des poissons luminescents. Une respiration pour rassembler son courage et il sauta dans le trou. Malgré son rejet de l'autorité, il n'avait jamais osé braver l'interdit de cette porte. Aujourd'hui, le pas était franchi. Il cligna des yeux pour s'habituer à la pénombre, les formes se dessinèrent autour de lui. Il s'attendait à des ruines, une plaine poussiéreuse, un débarras.

Le sous-sol était en forme de dôme, encore plus grand que la salle de commande du Haut Conseil. De larges plans de travail s'organisaient en spirale sous le plafond à la fresque défraîchit. Le poulpe se rapprocha de la mosaïque en partie couverte de mousse verdâtre. La lumière froide de sa lanterne chassait les ombres pour découvrir la représentation du blason de sa famille. Un serpent enroulé autour d'un trident avec la lettre « a » de leur alphabet en fond. Faerys retourna au sol, ses doigts lissèrent la surface d'une table, une empreinte se traçant dans la couche d'algue.

Il prit un morceau de métal ciselé. La finesse de l'ouvrage imitait des écailles rugueuses de serpent. Il gratta le verso de l'écaille et sourit au sceau de la plus ancienne fonderie de Neritide. Celle qui fabriquait également les tridents de combattants. Son savoir plurimillénaire était inestimable. Le prince glissa l'écaille dans son sac avant de poursuivre son exploration. L'eau plus fraîche anesthésiait la douleur de ses blessures.

Sur un autre établi, un immense morceau d'émail jauni par le temps et le manque d'entretien. Le cône courbé mesurait autour du mètre quatre-vingt. L'idée qu'une créature arborait une rangée de crocs de cette taille envoyait des frissons le long de son échine. Le poulpe sentit un courant tiède et repéra une herse dans la paroi. Il testa les gongs rongés de sel, ils cédèrent au bout de quelques minutes à secouer la grille. Il tomba en arrière, emporté par sa propre force. Le prince grogna de douleur, jeta la grille sur le côté et se redressa pour suivre le courant. Le tunnel courait sur une cinquantaine de mètres, terminé d'une seconde herse.

Il testa sa solidité et observa les alentours. Il reconnut les sirènes de la ville et le quartier de perliculture. Atlantide était une grande fabricante de perles. Les plus précieuses venaient de la Magnaspatia, loin à l'ouest. Faerys appréciait ce quartier d'élevage : ses rideaux d'huîtres suspendues, son ambiance intimiste, la minutieuse inspection des ostréiculteurs. Le secret de la fabrication de la monnaie aquaïenne imposait son silence au sein de ces champs. Gardés par les cultivateurs sous le serment des monnayeurs, l'argent du monde sous-marin grandissait. Faerys se souvint avoir semer son père entre ces rangées de d'huîtres.

***

« Faerys ! Cesses de faire l'enfant ! Rentres au palais ! »

Le prince, alors âgé d'une dizaine d'années, nageait à toute vitesse et trouva refuge dans la forêt de coquillages suspendues. La carrure imposante du roi d'Atlantide envoyait de l'adrénaline à travers son corps de vilain garnement. Il gloussa, contourna un cordage et jeta un œil en direction de son géniteur.

Le roi arborait une couronne perlée de noir à l'instar de la tiare de sa fille. Son long manteau structuré imitait la surface d'une carapace dans le prolongement de son crâne sombre. Tortue luth, Myos Magnalja grommelait à l'encontre de son fils intenable. Voilà trois jours qu'il échappait à son précepteur. Il poussa un profond soupir, croisa les bras sur son torse d'un air mécontent, tapota son bras de son index puis souffla de nouveau avant de reprendre sa nage. Il avait la fâcheuse impression de rentrer dans son jeu en lui faisant la chasse. Il changea de tactique : une nage plus lente, imitation de celle d'un requin.

« Attention... Si j'attrape le vilain garçon, je vais le croquer et le dévorer tout cru. »

Un nouveau rire, emplit de joie, se glissa entre les cordages. Le cœur de l'atlante s'attendrit, son ire s'envola. Il repéra l'origine des éclats de bonheur et se dirigea vers la zone de culture adossée au palais royal. La grille en partie ensablée interpella son attention. Il devrait la faire condamner. Il le nota dans un coin de sa tête bien qu'il ne manquerait pas d'oublier. Il remarqua alors le reflet argenté des robes de son fils. Il sourit, s'approcha de l'entrepôt de certification de la qualité et de l'origine des perles produites et saisit son fils dissimulé entre deux plateaux de corail jaune.

Un cri se perdit dans les champs déserts en cette heure prématurée de l'après-midi. Le garçonnet gloussa, se débattit contre les chatouilles vengeresses de son paternel et rendit les armes. Le roi cessa sa maigre sanction pour son absentéisme. Il contempla le visage arrondi de son fils, hérité de sa mère. S’il avait pu hériter de son caractère doux et raisonnable. Le roi savait que son fils ne serait pas une tortue. Le premier depuis des millénaires pour sa famille. Il abhorrait la honte qu’il ressentait, Faerys ne choisissait pas son caractère. Il n’était pas non plus l’héritier, alors quelle importance ? Pourquoi se sentait-il honteux de son existence ? Il voudrait l’aimer autant que sa femme.

« Puisses-tu me pardonner un jour… »

***

Le pardon. Pour quelle raison ? Une perpétuelle déception ? Rôle que Faerys avait embrassé à bras le corps pour ne pas devenir une pâle copie de sa grande sœur. Au moins, il avait reçu un peu de son attention. Aussi maigre soit elle. Faerys trembla, ses larmes se mêlèrent à l’eau salée autour de lui alors que la culpabilité l’assaillait de nouveau. Il se recroquevilla contre la herse, son front pressé sur le métal rongé. Son père était mort en croyant qu’il lui tenait encore rancœur. Le poids de l’éducation et de l’histoire familiale était seul responsable, Faerys comprenait la difficulté d’y échapper. La voix tremblante de sanglots, il murmura à l’océan qu’il le pardonnait.

Il s’octroya quelques minutes qu’il aurait dû prendre à la crémation. Il évacua sa peine à l’aune de ce tendre souvenir, rare instant d’intimité qu’ils avaient partagé. Une intense fatigue tomba sur ses épaules bien qu’un poids libérait son cœur.

Il rassembla son courage, se redressa et reprit son exploration. De retour dans le dôme, il chercha d’autres indices. Un socle cylindrique attira son attention. Il ressemblait à ceux utilisés pour exposer les tridents dans les armureries. Du bout de l’ongle, il gratta la plaque gravée à l’avant. A nouveau le sceau de sa famille. Voilà qui ne l’avançait pas. Désespéré d’une piste, il fouilla le moindre meuble. Malheureusement, l’écrit utilisé à l’époque ne survivait pas au passage du temps sous l’eau.

A la tombée de la nuit, il quitta les ruines et reprit son chemin dans les couloirs du palais d’un air innocent. Il jeta un œil à la salle du trône. Quelle surprise. Nalya y travaillait encore malgré l’heure avancée de la soirée. Faerys contempla son visage penché sur une tablette. Il l’avait toujours trouvée resplendissante. Aujourd’hui, la lassitude entachait son aura royale. Les pupilles ternes, la stature moins affirmée. Quelle infamie ! Encadrée de la nacre du trône, elle devrait surplomber le monde.

« Je croirai que tu t’avoues vaincue avec une tête pareille.

— … Quel choix me reste-t-il ? Surveillée, cloîtrée, en disgrâce. »

Faerys secoua la tête, la vindicte de sa sœur arborait bien plus de ténacité d’ordinaire. Un sourire fleurit sur son visage poupon ; Nalya abordait, pour la première fois, le mauvais rôle. Elle n’avait jamais été grondée, ni remise à sa place. Leurs parents n’en avaient jamais eu besoin.

« Tu te mets à ma place pour une fois. Alors acceptes un conseil. Ta grâce, tu ne la dois qu’à toi, et ton peuple en tant que souveraine, pas à Falside. Je sais que résister à une autorité injuste ne fait pas partie de l’éducation d’une princesse, mais tout le monde devrait être capable d’envoyer paître un imbécile. Qui plus est lorsqu’il met en danger la vie de milliers d’aquaïens. »

Nalya garda le silence. Les mots creusaient leur chemin dans l’esprit combattif de la jeune femme. La défaite la révoltait au fond d’elle-même. Son être bouillonnait au moindre message du Haut Conseil sur sa tablette. Elle se leva, abandonnant ses fonctions pour la soirée. Elle se plongeait dans le travail pour ne pas tourner en rond dans sa chambre, seul lieu où elle n’avait pas une escorte permanente. Elle ignorait Kyos autant que possible malgré ses maigres tentatives d’engager le dialogue avec elle. Elle l’avait jeté de la salle du trône quelques heures plus tôt pour avoir la paix. Elle s’étonnait de le voir obéir alors que sa mission était de l’épier à tous les instants.

Le duo longea la galerie de portraits lorsque le poulpe se figea. Il se retourna vers les tableaux les plus anciens et remarqua qu’un trident similaire était représenté à chaque génération. Il était sûr que le portrait de son père n’arborait pas cette arme. Ignorant les interrogations de son aînée, Faerys remonta la galerie jusqu’à dénicher le premier tableau sans cette relique familiale. Bingo ! Plys II. Et aucun des suivants.

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