Chapitre 14 - Cambriolage Périlleux

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Gorys ouvrit les yeux à l’aune d’une présence près de son lit dans l’infirmerie de l’académie. Il restait sur le qui-vive, de peur que le directeur ne profite de la moindre faiblesse pour lui tomber dessus. Ses sourcils se froncèrent devant le proviseur, l’hostilité habituelle de son visage s’était effacée au profit d’un éclat de respect au fond de ses prunelles. L’adrénaline reflua à l’absence de menace.

« La vie de pirate est rude, n’est-ce pas ?

— Elle est un choix, on en accepte les conséquences. »

Vite dit, sa mère avait choisi pour lui. Mais il aurait pu se rendre à n’importe quel moment. Il avait choisi de maintenir ce cap. La liberté, la camaraderie, il s’y était attaché. Et depuis son arrivée dans cette académie, il remerciait chaque jour la décision de sa mère. Elle l’avait sauvé, elle lui avait offert une vie qui en valait la peine.

« Un choix… »

Un concept inconnu de ce combattant. S’était-il un jour posé, ne serait-ce qu’une seule, question sur ses actes ? Il n’en avait pas le souvenir. Gorys se redressa, grimaça en portant sa main à ses côtes douloureuses et s’adossa à l’oreiller. Il sonda le directeur silencieux. Ce simple mot le perturbait plus que toutes les missions à la moralité douteuse qu’on lui avait confiées. Même en tant que proviseur de l’Académie : les menus de la cantine étaient établis par l’ambassadeur de la Surface, les directives, les programmes venaient du Haut Conseil. Décidait-il de quoi que ce fut ici ? L’avait-il jamais fait ? Non. Il avait atteint ce poste par le mérite, par sa loyauté indéfectible à Falside, pas pour sa soumission. Il avait gagné la confiance du Haut Conseil.

Le pirate contempla son visage se fermer en même temps que son esprit. Mais la graine du doute était semée, elle germerait avec le temps. Il s’éloigna, ordonna à un autre combattant de monter la garde près de son lit afin que personne ne s’approcha de lui. Un sourire amusé lui échappa. S’il parvenait à instaurer le doute dans le cœur du directeur, il se méfiait de son influence sur les nouveaux. Son geôlier était un combattant aguerri, son endoctrinement était bien ancré, il ne lui adresserait ni un mot, ni un regard. Ça ne l’empêcherait pas de parler. Il devait profiter du moindre moment hors de l’isolement des oubliettes.

***

Kyos se saisit avec douceur de la main de la princesse afin d’inspecter ses phalanges. Il s’assurait que ce coup de poing, magnifique au demeurant, ne l’avait pas blessée. Il tâta les os et articulations avant de conclure que tout allait pour le mieux.

Faerys riait et félicitait sa sœur de son éclat de rébellion. L’air égaré de la princesse se mua peu à peu en un sourire libérateur. Le choc passé, elle ne s’était pas sentie aussi soulagée depuis la maladie de ses parents. Elle rit également, ses nerfs se relâchaient. Leurs regards s’entrecroisèrent et ses iris pétillantes lui conférèrent une joie alors que son cœur battait à l’unisson de celui de la princesse.

« Merci d’avoir pris la situation en main.

— Merci à vous… Vous nous avez offert l’opportunité d’accéder au coffre. »

Et merci de lui avoir ouvert l’esprit, de le motiver à s’élever contre Falside. Il sonda le corridor autour d’eux afin de rompre le contact visuel qui les isolaient dans une bulle de confort qu’il quittait toujours avec regret. Faerys se fit la réflexion qu’ils formaient un couple adéquat. Chacun porté par ses devoirs, sa formation. Kyos possédait les qualités d’un roi consort, il laissait la lignée Magnalja briller, soutenait et protégeait Nalya. Il connaîtrait sa place, respecterait sa sœur, se dévouerait à la cité. Son aînée avait peut-être meilleur goût que lui en matière d’hommes. Il n’avait toujours aucunes nouvelles de Sperys et l’inquiétude se mêlait à la colère. L’abandon le blessait autant que sa mort potentielle le terrifiait. Il y songeait dès qu’il était seul. Le sort de Sperys le hantait. Il devait préparer un gros coup, pour être sûr que le calmar en entendrait parler et saurait qu’il avait survécu à l’arrestation.

Le trio s’engouffra dans les couloirs, guidé par Kyos qui connaissait le chemin vers la chambre forte. Faerys marchait en arrière du soldat, aux côtés de sa sœur. Son cœur s’arrêtait chaque fois qu’ils passaient devant un gardien de la cité en poste dans les corridors et les escaliers. A la surprise des frères et sœurs, le combattant fit une nouvelle fois preuve d’autorité face à ses congénères qui étaient formatés à se plier aux ordres et peinaient à remettre en question les explications fournies par Kyos. De toute façon, il était aussi un betta, aucune raison de se méfier, il n’y avait pas de traîtres parmi eux. Improbable, impossible !

Le sas en avant de la porte fortifiée était gardé par un trinôme de combattants. Personne n’accédait aux coffres sans un ordre écrit et l’accompagnement de deux conseillers. L’imposante porte de métal se constituait de deux battants et d’un cercle les reliant. Le métal finement ouvragé d’une carte des fonds marins brillait à la lumière bleutée diffusée par les aquariums suspendus au plafond. Ils devraient se débarrasser de ces soldats. Il s’agirait d’une véritable déclaration de guerre contre Falside. Si Kyos ne doutait pas que tuer des combattants amuserait Faerys, Nalya considérerait ce risque à l’aune de la valeur de ce trident qu’elle convoitait.

Et Nalya hésitait. Ils étaient désarmés en plus. Faerys ne manqua pas le doute affiché de sa sœur. Elle n’avait besoin que d’une petite motivation, une poussée, un rien. Ils étaient trois contre trois, même désarmés, ils pouvaient s’en sortir, Kyos avait son propre trident et eux avaient un entraînement. Ils avaient aussi appris de leur escapade en Sylvaréna. Il posa ses mains sur les épaules de la princesse et plongea son regard dans le sien.

« Il nous faut ce trident. Il nous revient de droit. Falside nous l’a volé parce qu’il permet de réveiller le Léviathan. Nous n’aurions plus à craindre le Haut Conseil ! »

Nalya fronça les sourcils. Elle savait que son frère ne s’intéressait pas à cet artéfact par hasard. Pour peu qu’il ait encore des contacts avec Sperys Camb, elle jurerait qu’il lui offrirait. Néanmoins, elle ne pouvait lui donner tort. Si cette arme contrôlait le Léviathan, la Surface ne tenterait plus d’imposer son influence à Atlantide. Pas de mariage arrangé non plus. Et elle pourrait garantir la liberté à Kyos. Elle jeta un regard en coin au militaire. Il pouvait être dépêché loin d’elle n’importe quand. Quand il plairait aux consuls. Cette simple possibilité lui donnait envie de tout casser. Pour son peuple, pour sa lignée, pour elle, elle devait récupérer son héritage.

Elle hocha la tête, il serait temps de réprimander son cadet plus tard. Ils se mirent d’accord pour agir avec le plus de vivacité possible. L’un des gardes pouvait s’éliminer dès le début de l’affrontement. Kyos avança face au chef d’équipe qu’il reconnaissait au galon doré sur son armure. Il devrait viser juste. Du premier coup.

Le soldat tendit la main, lui intima de s’arrêter, Kyos saisit son trident, le manche télescopique émit un clic sonore, le corps du gardien tomba dans un gargouillis sinistre. Le temps se figea autour de Kyos, une nausée monta dans son corps révulsé de cet acte de trahison à son conditionnement. Le cri de la princesse le tira de sa torpeur, la jeune femme retenait l’arme de l’un de leurs assaillants qui menaçait de l’atteindre. Nalya serra les dents, asséna un coup de pied dans le genou protégé du soldat qui perdit son appui un bref instant qui suffit à la princesse pour arracher le trident et l’enfoncer de toutes ses forces dans sa gorge, son geste accompagné d’une rage salvatrice qui lui conféra la puissance nécessaire à ce retournement de situation. Elle ne doutait pas que son statut de princesse lui avait offert l’avantage. Le betta n’avait pas voulu la tuer ou la blesser gravement. Elle était lucide. Emportée par l’action, elle venait de prendre une vie. La vue du cadavre l’enveloppa d’une spirale vertigineuse. Son attention se focalisait sur le soldat malgré la nausée qui menaçait de lui faire rendre son petit-déjeuner.

Kyos aida le cadet à se débarrasser du dernier gardien, le jeune homme peinant à cause de ses récentes blessures.

Elle distribua les clefs. Kyos se plaça à la serrure de droite, Faerys à gauche et elle au centre. Ils poussèrent les caches vers le haut et entrèrent les clefs dans les serrures. Faerys fit trois tours avant de comprendre qu’elle tournait dans le vide. L’ouverture se révélait plus complexe qu’attendue. Ils tentèrent chacun leur tour, à la recherche d’un ordre mais leurs essais restèrent vains.

Kyos s’efforça d’ignorer les corps de ses anciens camarades étendus au sol. Il se remémora les rares visites des consuls lors de ses gardes à ce poste. Il repassa chacun des gestes des conseillers dans son esprit et se souvint. Son regard se promena sur les lignes ciselées dans le métal. La carte ne correspondait pas tout à fait à la topographie de la mer de l’Académie. Il l’avait assez étudié en cours de stratégie et d’appréhension du terrain pour se rappeler des moindres détails de celle-ci. C’était vraiment discret, les lignes se confondaient parfaitement parmi les autres. Il appuya ses doigts autour de la serrure et fit tourner la plaque dérobée jusqu’à ce que la carte corresponde à la réalité. Un discret déclic lui fit tourner de nouveau la clef qui déverrouilla la serrure.

Il expliqua la marche à suivre à ses deux compères. Ils s’empressèrent d’ouvrir la porte. Nalya le félicita avec chaleur. Il se sentit flatté des compliments de la princesse. Ses joues s’échauffèrent et son regard fuît celui de la tortue reconnaissante.

Il lui fit signe de passer devant, lui offrant l’honneur de pénétrer dans le coffre-fort en première. Nalya se glissa entre les étendues d’étagères vitrées. Ces dernières regorgeaient d’artéfacts issus de toutes les cultures aquaïennes et de toutes les époques de leur histoire. Elle contempla une rangée de masques typiques de Piccaqua. Des siècles d’histoires les jaugeaient à travers ces vitrines. Tous ces objets renfermaient-ils un secret similaire à celui du trident d’Atlantide ? L’étendu trouva une fin au centre de la pièce. Les étagères se rejoignaient en cercle autour d’une console ancrée dans le sol.

L’écran de veille ondulait de couleurs irisées. La princesse balaya la surface pour réveiller l’ordinateur. La système d’exploitation était relativement simpliste, il n’y avait qu’une seule application sur le bureau. Celle qui recensait le contenu du coffre. Elle double cliqua sur l’icône de bibliothèque et explora l’outil afin d’en saisir le fonctionnement. Une fois encore, rien de bien complexe. Elle ouvrit la liste des objets, tapa « trident » dans la barre de recherche et dénicha rapidement l’objet de ses convoitises. Une photo de l’arme s’accompagnait d’un encart au sujet de ses caractéristiques. Son frère ne lui avait pas menti, le trident permettait de libérer le Léviathan.

« Emplacement 42b, lut Faerys, je vais le chercher. »

Alors qu’il disparaissait dans l’allée b, elle ouvrit, par curiosité, la fiche d’un autre artéfact au hasard. Elle découvrit un coffret sylvarénien du XVIIIème siècle capable de capter les rêves d’autrui. Elle releva la tête, sonda la pièce et se mordit la lèvre. Falside volait les trésors des cités aquaïennes. Elle les privait de leurs moyens de défense. Sans ces artéfacts, toute ville craignait l’armée de la Surface.

« Nous ne pouvons abandonner ces objets ici…

— Nous ne pouvons les emporter, Altesse, partons avant d’être arrêtés. »

Faerys les rejoignit avec le fameux trident. Il était encore plus éblouissant que sur les portraits de ses ancêtres. Le métal argenté reflétait la lumière au point qu’il arborait un air irréel. Le poulpe lui offrit un sourire et tendit l’arme avec respect. Elle s’en saisit, le manche vibrait dans sa main tel un lointain écho dans l’océan. Elle ne possédait pas de hampe télescopique comme les tridents récents, toute la surface bénéficiait d’un travail d’orfèvre. Les arabesques s’entrelaçaient dans un relief agréable au toucher tout autant qu’à l’œil. Néritide ne devait pas avoir fait d’ouvrage plus magnifique, fin et précieux depuis. Elle avait l’impression de tenir la puissance de la lignée Magnalja au creux de sa paume. Plys II n’était qu’un fou d’avoir confié ce trident à Falside.

Faerys et Kyos s'éloignèrent en direction de la porte, prêts à repartir. Voyant que la princesse était absorbée par son héritage familial, le soldat renégat fouilla sa poche et tendit la clef dérobée au plus jeune. Un symbole de paix entre eux. Kyos avait regagné la confiance de la princesse et le prince ne le traitait plus avec autant de mépris. De plus, son conseil de prendre des initiatives le hântait régulièrement. Etonné de revoir le cadeau de son amant, Faerys le saisit comme s'il était le bien le plus précieux de l'univers. Un discret sourire de gratitude et il la dissimula dans sa propre poche.

Nalya jeta un dernier regard sur le reste de la salle. Un coffre, les artéfacts ne risquaient rien ici. Elle se promettait de revenir les chercher et de les rendre aux cités à qui ils revenaient de droit. Elle emboîta le pas de Kyos et Faerys vers la sortie, refermèrent la double porte et reprirent le chemin de la mer. Ils devaient s’extirper de Falside sans être intercepté avant. Le trident d’Atlantide ne passerait pas inaperçu.

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