Chapitre 18 - Écoutilles Closes

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Nalya gravit les escaliers de Falside, suivie de sa garde. Le temps accordé par la Surface arrivait à son terme ; aucun signe de Sperys et les cités abyssales qui suivaient le calmar lui tournaient le dos. Néritide n'avait plus de voix portante pour affirmer son soutien. Peu importait, la Révolution n'aurait pas lieu aujourd'hui, mais elle ne lâcherait pas l'indépendance d'Atlantide. Non négociable.

À nouveau, la jeune femme n'avait pas eu la naïveté de venir sans escorte. Le Haut Conseil gardait ses positions ? Elle aussi. Mais lancer une guerre quelques jours après son couronnement était suicidaire. Surtout après des millénaires de paix. Elle devait absolument repartir de cet entretien avec une victoire. Aussi minable soit-elle pour ne pas être en porte-à-faux avec son peuple face auquel elle avait dénoncé l'inaction de Falside.

À l'entrée, l'habituel trinôme de combattants, et à sa surprise : Rucyos. Espérait-il que sa présence la fasse se sentir considérée ? Comme si ça changeait quoi que ce fut. Qu'ils lui rendissent Kyos, le dernier de ses proches, elle percevrait éventuellement sa considération. Néanmoins, hormis les gardes de nuit, tous ignoraient le sort de son cadet. Inutile de l'ébruiter.

Le consul loua, avec hypocrisie, son bon sens. Elle l'écouta à peine, si bien que son silence l'interpella plus que n'importe quelle phrase alambiquée. Il regardait droit derrière elle.

La reine se tourna et découvrit au loin un immense navire gris au pont plat à l'exception d'une tour située du côté tribord. Il naviguait dans leur direction, à n'en pas douter. De ce vaisseau descendit un canot qui poursuivit la route pendant que la porte-avion jetait l'ancre.

Rucyos lança une alerte pour que les troupes soient prêtes à intervenir. Cependant, il ne donna pas l'ordre d'attaque. Si les humains pouvaient repartir et que leurs espèces continuent de s'ignorer, ce serait parfait.

L'embarcation aborda les escaliers. Six humains encadraient Sperys. La tortue fit appel à toute sa volonté pour maintenir un visage impassible. Mais elle voulait sourire. Et frapper le calmar. Elle voulait discuter de Faerys. Mais voilà que cet idiot débarquait avec une cavalerie dont elle se doutait être involontaire à leur dessein.

Rucyos était moins heureux qu’elle de revoir le céphalopode rebelle. En réalité, son visage satisfait faisait naître une rage sans nom en lui. Ce sale fauteur de trouble avait failli réussir son coup, et au moment d’éteindre les dernières braises qu’il avait soufflé, le voilà qui réapparaissait de nulle part. Avec des humains. Il avait emmené les humains à Falside. L’élimination de ce nuisible devenait urgente. Les humains accepteraient peut-être la négociation s’ils rendaient justice en mettant ce révolutionnaire du dimanche à mort. Une maigre consolation compte tenu des pertes et dégâts causés lors de l’abordage de ce navire de croisière.

Les soldats s’écartèrent pour laisser Sperys rejoindre la reine et le consul. Le jeune homme adressa un rictus à Rucyos puis il s’intéressa à la jeune femme face à laquelle il s’inclina avec respect.

« Mes félicitations pour votre promotion, Altesse. Veuillez pardonner mon retard, j’aurai été honoré d’assister au couronnement d’une véritable reine.

— Taisez-vous donc, interrompit Rucyos, votre voix a déjà fait suffisamment de mal.

— C’est à moi qu’il s’adressait. Vous qui la fermez si bien face aux humains, taisez-vous. »

Un sourire étira les lèvres du nérite. Où était la princesse docile ? Son regard parcourut la foule autour d’eux et ses sourcils se froncèrent face à l’absence du prince et du betta. Son cœur battit plus fort tandis qu’il rationnalisait. Il avait vu la photographie. Fae vivait. Peut-être que Nalya l’avait contraint à rester à Atlantide. Le calmar plongea son regard dans celui de la jeune femme. Il comprit à quel point son cœur était lourd, une conversation s’imposerait un peu plus tard.

Il fit un signe de tête pour désigner discrètement les humains ; Nalya inclina son trident légèrement en réponse. Leur détermination mutuelle alourdissait l’atmosphère. Rucyos comprit trop tard.

Comme au ralenti, Sperys se jeta sur un des militaires et lui arracha l’arme à sa poitrine dans une roulade qui le sauva des premières balles tirées en sa direction par les humains. Le gardien de Falside sur la trajectoire de ces dernières n’eut pas la même chance.

Le calmar avait assisté à quelques-uns de leurs entraînements, il retira la sécurité du Glock 17 et visa le torse d’un autre soldat. Le recul le surprit au point qu’il toucha l’épaule plutôt que le torse.

La reine profit a de la diversion de Sperys pour enfoncer son trident dans le dos d’un humain. Les pointes transpercèrent le kevlar de son pare-balle sans la moindre difficulté. Sa garde n’attendit pas d’ordre pour la rejoindre dans la bataille. Alors qu’elle allait vers sa prochaine victime, Rucyos tenta de l’arrêter. Elle frappa son ventre du pommeau de son arme, surprise de la dureté de sa peau, légitime pour un crabe, elle se fit jeter au sol par le consul. La langue inconnue criée par l’un des humains dans un rectangle noir accrochée à sa poitrine ne les inquiéta pas.

Il beugla des ordres aux combattants pour qu’ils arrêtent les renégats. Voyant que la reine se relevait, il prit sa tête et la frappa contre la pierre ivoire de la cité. Elle gémit de douleur, désorientée par le violent choc. La brutalité soudaine du consul surpris les combattants. Ils hésitèrent une seconde à suivre son ordre, assez pour que Sperys colle le pistolet sur la tempe du crabe.

« Je ne risque pas de manquer. Dégages.

— Vous ne quitterez pas Falside vivant.

— Peut-être, mais cette dent pourrie de l’intérieur sera enfin arrachée de l’océan. Vous avez déjà perdu. »

Le calmar sourit en regardant les avions à réaction décoller du pont du porte-avion pour voler dans leur direction. Falside était finie. Rucyos recula face à la menace, tétanisé. Au quart de tout, Sperys n’attendit pas pour aider la souveraine à se remettre debout puis la soutint jusqu’à sauter à l’eau, la jeune femme tenait mollement son trident, impossible de l’abandonner ici, suivis par les gardes atlantes. L’ordre d’évacuation lancé par le consul atteignit à peine leurs oreilles.

In extremis, car les premiers missiles percutèrent la cité dans un déluge de feu et de métal. Un nuage de bulles masqua leur vue un bref instant avant d’être chassé par des masses de pierres qui brisaient le flot des vagues et déplaçaient quantité d’eau. Le tonnerre des explosions leur parvenait toujours sous la surface de l’océan et malgré le bris des lames.

Sperys lâcha une flopée de juron. Il ondula de toutes ses forces pour éviter d’être emporté par le fond à cause d’un morceau de rocher d’une douzaine de mètres arraché de la molaire pourrie. Nalya, encore sonnée, rendait ses manœuvres d’évitement difficiles. Il cherchait à s’éloigner de Falside, loin de la destruction.

Leur échappée se transforma en course d’obstacles. Sperys se sentait minuscule. Les mains glacées de la mort manquèrent de le saisir sous cette effroyable pluie de pierre et de feu. Vif, il freina pour laisser couler un autre lourd bloc puis poursuivit sa route jusqu’à retrouver un océan calme.

Il se retourna, le souffle court de son effort. La terreur battait encore dans ses veines. Il repéra quelques gardes de la reine qui avaient aussi survécu à la traversée. Un long soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’il chutait sur le sable du fond marin. Il déposa avec délicatesse Nalya, inspecta la blessure à sa tête et s’autorisa enfin à se relâcher. Il s’allongea et admira la surface de l’eau qui ondoyait, soulagé. Le reste de sa nervosité s’exprima dans un rire libérateur.

Nalya haussa les sourcils face à son hilarité soudaine mais communicative. Si bien, qu’elle força un sourire sur son propre visage. Elle ne mesurait pas encore les conséquences, ni même la suite des négociations avec les humains, mais le Haut Conseil n’était plus. Et ils s’en sortaient vivants. Pas mal, n’est-ce pas ? Elle se sentait plus fière d’elle que lorsqu’elle récitait ses leçons à la perfection.

Une fois remis de leurs émotions, ils attendirent que les éclats de de feu et le trouble de la chute de Falside se dissipent. L'eau s'éclaircit et la lumière du soleil perça de nouveau les vagues pour réchauffer leur peau. Nalya vérifia ses soldats, inquiète de leurs blessures. Deux manquaient à l’appel. S’ils avaient péri, elle espérait retrouver leur corps pour assurer le deuil des familles. Les gardes atlantes n’avaient rien à voir avec les marionnettes de Falside, ils se mariaient et faisaient des enfants.

Le silence anima le chemin du retour, la fatigue engourdissait leurs muscles. Les endorphines chassaient l’adrénaline tant qu’ils rêvaient du repos qui les attendait à la cité. Cet état épuisé n’empêchait pas Nalya, ni Sperys, de penser au cas de Faerys. Ils désiraient une discussion rapidement, mais en privé.

Le révolutionnaire refusait que son intérêt sincère pour le jeune homme s’ébruite. Sa pudeur était plus développée pour l’amour que pour le sexe. D’aucuns le trouveraient étrange mais le calmar, toujours sur les routes, veillait à ne pas s’attacher sentimentalement.

Pour Nalya qui dissimulait la condamnation de son frère, il était impensable d’en parler en public. Au palais, elle envoya les survivants de son escorte aux soins tandis qu’elle guidait Sperys à son bureau. Leur nage accéléra dans les corridors, mais ralentit à l’approche de la porte. Ils appréhendaient tous deux le résultat de ce futur échange.

La jeune femme s’assit sur l’un des fauteuil face au bureau plutôt qu’à celui de derrière. La distance imposée par l’imposante table lui semblait malvenue. Le calmar prit place également. Le silence s’étira dans l’embarras, rompu par Sperys.

« Les coordonnées de Falside, c’était osé, mais bien joué. Pas mal pour une princesse docile.

— Merci, sourit-elle, l’abordage était suicidaire. Vous avez eu de la chance.

— Il se peut… Que j’ai cru à la mort de Faerys… »

La jeune femme contempla ses mains alors que le calmar attendait une réponse à son interrogation sous-entendue. Elle frotta ses pouces l’un contre l’autre et inspira en profondeur.

« Il m’a avoué qu’il était le meurtrier. Il prétend que tu ne lui as rien demandé.

— … Il a grandi…

— Oui, au moment le plus inopportun. Est-ce vrai ?

— Je lui ai demandé de me faire entrer au palais. Mais il a pris ce fardeau comme une responsabilité personnelle. Il a insisté. Mes condoléances étaient sincères.

— Je sais… C’est ce qui m’empêche de vous haïr, vous et Fae… Je sais que vous aviez raison. Ce ne sont pas les anciens qui se révoltent. Le temps était compté, vous avez sacrifié ce qui était nécessaire.

— Grâce à vous, cela n’a pas été vain.

— … La fosse. »

Sperys hocha la tête, il s’en doutait. Nalya s’était illustrée en tant que reine. Il pensait pouvoir faire appel à la sœur à présent.

« Permettez-moi d’y descendre, même si je ne trouve qu’un corps. »

Nalya le jaugea de longues secondes puis hocha la tête en retour. Son cœur priait qu’il soit encore en vie. Elle n’était pas raisonnable mais elle n’avait pas la force de renoncer à sa dernière chance de retrouver son frère. Elle ne lui rendrait pas son nom, le trône ne l’intéressait pas de toute façon, mais ils pouvaient rester frères et sœurs. En toute simplicité. Elle ne devait pas se raccrocher à ce désir égoïste.

Le duo, bien qu’épuisé, se dirigea vers la fosse. La reine guida le calmar à la réserve où ils entreposaient les outils pour bricoler les chaînes. Le nérite s’équipa d’une pince et d’un caisson-lanterne pour ne pas descendre dans l’obscurité totale. Son corps réclamait le repos, mais s’il avait la moindre de chance de sauver son petit-ami, il ne pouvait se permettre d’attendre. Il enroula son poignet autour d’une épaisse chaîne au bout de laquelle pesait un roc d’une demie tonne, Nalya l’aida à le faire rouler jusqu’au trou béant et sombre.

Le rocher bascula, Sperys se sentit happé par la gravité et entama son interminable chute. Cette descente rapide remua son ventre. Une insidieuse crainte et un inconfort de la hausse rapide de pression. Et pourtant, il avait de la lumière, il pouvait lâcher la chaîne et remonter à tout moment. Il imaginait la peur de Faerys. Il allait le ramener et se promettait de lui faire découvrir le monde, comme il en rêvait.

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