Chapitre 19 - Doux Tsunami

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Kyos plaqua le pirate au sol d’un habile mouvement sous le regard sévère du directeur de l’académie. Depuis son arrivée, l’ancien gardien de Falside suivait les entraînements à la perfection. Il ne voulait pas donner d’excuses à l’instructeur pour le punir. Il voulait sortir de ces oubliettes. Mais il gardait pied, il ne retomberait pas sous l’influence de leurs dogmes. L’image de la princesse l’obsédait, elle était sa bouée, il sortirait et la retrouverait.

De son côté, Gorys regrettait doucement l’arrivée du second combattant. Au début, ne plus être seul fut un profond soulagement. Maintenant qu’il se faisait mettre au tapis, il n’était plus si ravi. Le pirate gigota pour se défaire de la prise experte de son congénère entraîné. C’était plus facile contre des élèves inexpérimentés.

L’émissaire du Haut Conseil entra dans le gymnase, le teint blafard, les mains nerveuses mais les yeux orageux. Les deux prisonniers échangèrent un long regard équivoque, son attitude énigmatique suggérait une importante nouvelle. Bonne pour eux, ils l’espéraient. Ils tendirent l’oreille alors que les deux dirigeants échangeaient des messes basses qui les frustrèrent ; ils ne purent capter la moindre information. Mais les yeux exorbités, les traits figés de choc, l’apparition d’une veine dans le cou du principal confirmèrent une nouvelle terrible pour l’ennemi. La curiosité les dévorait à présent. Mais comment l’obtenir ?

Lorsque l’émissaire quitta la pièce, sans même prendre la peine de leur adresser un regard, ils restèrent au sol à guetter la réaction du proviseur. Elle se fit attendre, il resta longuement figé, le regard hagard. Les minutes s’égrenèrent jusqu’à ce que, profondément perturbé, il s’assied. L’attente cessa alors.

« Falside est tombée… »

Gorys retint un cri de joie alors que Kyos se trouva aussi secoué que le combattant le plus âgé. Cet ordre, établi depuis des millénaires ; cet ordre qu’on leur apprenait être irrévocable et éternel. Tombé, fini, mort ? C’était inconcevable, même pour Kyos qui avait soutenu la princesse dans sa rébellion.

« Que s’est-il passé ?

— Ce calmar recherché est revenu avec les forces armées humaines. Ils ont pulvérisé la cité. Mais il y a des survivants : deux membres du Haut Conseil et une cinquantaine de gardiens. »

Bien, ne pas crier victoire trop vite alors. Même si la garde d’Atlantide contrebalançait désormais l’armée de Falside, les combattants restaient entraînés et mieux équipés. De plus, cette perte soudaine de repère risquait d’augmenter leur fanatisme plutôt que de le détruire. Gorys tenta sa chance. Il poussa Kyos afin de se relever et approcha du doyen.

« Laissez-nous partir, cette école n’a plus aucun sens ni utilité.

— Je, s’interrompit-il dans une sincère hésitation, ne peux pas. Tous les consuls ne sont pas morts. Ce n’est qu’une question de temps, ils vont se réorganiser. Et nous serons fidèles au poste, comme toujours. »

Le proviseur ravala ses doutes, il ne pouvait pas trahir, ni célébrer le malheur de la Surface. Il devait montrer l’exemple aux jeunes, ne pas les informer de cette terrible nouvelle. Cette situation n’était que temporaire, ce n’était pas nécessaire de leur en faire part. Il décida de renvoyer ses deux cadets en cellule. Les maintenir séparés et punis leur passerait l’envie de briser son institut.

Congédiés, Kyos et Gorys suivirent les bettas de garde. Ils n’en resteraient pas là, c’était leur chance. Non seulement de sortir d’ici, mais aussi de rejoindre la résistance organisée par Sperys et Nalya. De son incarcération, Kyos espérait se rendre encore utile à la jeune femme qu’il aimait. Elle n’était pas une demoiselle en détresse et lui non plus. Ils étaient des guerriers, des chevaliers ! Elle et Sperys avait mis Falside à genoux, il réserverait le même sort à l’Académie !

Gorys cogitait. Sa lâcheté lui hurlait de fuir à la première occasion ; mais son mensonge le hantait. Il avait planté Sperys alors qu'il avait dit se rendre ici pour faire sauter cet important pilier de la puissance du Haut Conseil. Le destin l’avait rattrapé et il se trouvait à nouveau devant un choix. La lâcheté ou la résistance. Il avait fui toute sa vie… Opter pour le courage, enfin, lui coupait nette la respiration.

Il jeta un regard à Kyos, arbora un sourire taquin face à sa mine déterminée et bomba le torse. Ses branchies s’ouvrirent largement sur sa gorge – courage – et il lâcha la bombe d’un air nonchalant. Les élèves, les plus jeunes, aux alentours se figèrent de stupeur alors que les plus âgés les menacèrent de leur arme. Gorys soutint les prunelles orageuses de l’aîné du groupe. La ligne relevée de ses lèvres soulignait son effronterie.

« C’est la vérité, annoncée à l’instant même par l’émissaire. Demandez-lui des comptes à lui. Falside est morte ! Vous êtes libres !

— C’est ça, en attendant vous allez la boucler dans votre chambre. »

Bien qu’il écourtait la conversation, le pirate sut qu’il avait semé les graines. Les plus jeunes poseraient des questions, parleraient à nouveau de rentrer chez eux pour ceux qui se souvenaient encore de leur famille. Les plus âgés se méfierait le temps que leurs instincts rebelles d’adolescents ne ressurgissent. Même si son retour dans ce placard obscur lui déplaisait, il se convainquit qu’il n’avait plus besoin que d’une note de patience.

Une fois la porte close dans son dos, Gorys s’assit sur sa couche de fortune. Ses doigts glissèrent dans sa crête qui poussait depuis son arrivée puisqu’il n’avait pas accès à quelques rasoir ou ciseaux. Son panache d’une surprenante blancheur lui arrivait juste à la mâchoire. Il s’allongeait vite, il le gênait, lui qui le coupait depuis que sa mère n’était plus en mesure de le faire à sa place. Etrangement, il se sentait aussi plus complet avec, il faisait partie de lui. Et aujourd’hui, il n’aurait plus jamais à le cacher. Il bascula en arrière, grogna de douleur lorsque sa tête tapa un peu trop fort sur la surface dure de son lit et soupira, submergé par la hâte de sortir du noir.

Dans la cellule qui jouxtait, Kyos tendait l’oreille dans l’espoir d’entendre les réactions, les conséquences de la révélation osée du pirate. Il s’attendait à tout moment à ce que l’émissaire, ou le proviseur, entra pour les condamner à jamais au silence. Il ne rendrait pas l’âme sans se battre, il retrouverait Nalya, il le fallait, il ne désirait rien de plus aujourd’hui. Pour occuper son temps dans cette prison, il s’était imaginé mille et un scénarii de leurs retrouvailles. Il avait passé en revue toutes les déclarations qu’il pourrait lui faire. Il rêvait d’un chaste premier baiser. Doux, tendre, bref, sincère. Oserait-il le moment venu ? Il se plaisait à penser que ces divagations lui faciliteraient la tâche. Car il n’aurait jamais meilleure occasion qu’emporté dans l’euphorie de la revoir saine et sauve.

Au cœur de la nuit, bien qu’ils n’avaient pas la moindre idée de l’heure dans leur boîte hermétique, leur porte s’ouvrirent. Des chuchotements brisèrent le silence, accompagnés par la lumière du couloir. Kyos se leva tandis que Gorys s’assît sur sa couche. Ils attendirent, dans l’expectative, jusqu’à ce qu’une silhouette de petite taille ne se dessine dans la lueur. Une voix encore enfantine raisonna.

« On veut rentrer chez nous. »

Gorys sourit en coin. Les enfants se fichaient qu’il dise ou non la vérité ; ils étaient en enfer et voulaient s’échapper autant que lui. Les deux adultes quittèrent leur cellule. Un léger malaise s’installa ; tous les regards les suivaient, dans l’attente d’une directive. Autant Kyos que Gorys avaient l’habitude des responsabilités : le pirate avec son équipage, le soldat avec son trinôme ou les populations qui attendaient leur secours. Mais, à cet instant, ils se sentaient gauches. Aider était inconnu du pirate alors que la rébellion l’était à l’ancien militaire. En revanche, les enfants les déstabilisaient autant l’un que l’autre.

Ils échangèrent un nouveau regard et se rapprochèrent pour converser à voix basse sur la marche à suivre. La formation plus avancée des élèves les plus âgés posait problème car ils défendraient l’Académie, quoi qu’il leur en coûterait. Et exposer les enfants aux dangers du combat ne les enchantait guère. La solution apparut rapidement : s’attaquer à l’émissaire. Il ne devait pas avoir de garde dans l’école où se formait l’armée de Falside. Un petit doute subsistait, le Haut Conseil ne croyait qu’en lui-même. S’il n’y avait pas de garde, ils pourraient le maîtriser à deux sans aucun souci.

Kyos se souvenait encore de l’école comme s’il en était sorti la veille. Il prit la direction des quartiers du corps professoral. Sans doute le lieu le plus dangereux de l’institut. Plus que les crocodiles qui rôdaient à l’extérieur. Il se stoppa ; voici une diversion toute trouvée. Il demanda aux adolescents de se mettre à l’abri dans leur dortoir et de ne pas ouvrir la porte s’ils entendaient du boucan.

Gorys écouta son plan qu’il trouva fort… empreint de piraterie. Il s’amusa de cette idée simple mais ingénieuse. Peut-être que si Kyos pouvait apprendre la résistance si vite, il pouvait apprendre l’entraide aussi rapidement aussi. Il le suivit à la porte principale. Deux jeunes combattants surveillaient l’entrée : un exercice pour les habituer à enchaîner des journées sans repos. Kyos se souvenait comme il tombait d’épuisement au bout de quarante-huit heures sans sommeil. Heureusement, ils tournaient et il y avait assez d’élèves pour qu’il ne le fasse pas plus d’une fois par mois.

Un soupir lui échappa à ce souvenir. Cet endroit devait tomber avec Falside, aucun des adolescents ici ne l’avait demandé. Ils s’accolèrent à un mur, en couverture, et mirent au point leur attaque. Le but n’était pas de blesser les élèves, leur objectif restait de déclencher l’alarme et d’occuper les mieux formés avec une invasion de crocodiles.

Vifs, ils lancèrent l’assaut. Leurs adversaires, évidemment peu alertes car épuisés et qu’il ne se passait jamais rien durant les nuits de veille en dehors de quelques nouvelles recrues qui tentaient parfois leur chance avant de passer quelques jours aux oubliettes. Maîtrisés d’une prise basique pour les combattants aguerris qu’ils étaient, ils déposèrent avec précautions les deux adolescents dans un placard et se saisirent de leur bâton d’entraînement.

Ils déplacèrent la lourde poutre de bois qui bloquait les battants de la porte renforcée, puis ils les ouvrirent en grand sur les eaux troubles de la baie de palétuviers. Ils devaient à présent attirer les reptiles à l’intérieur du bâtiment. Jouer les appâts ne les rassuraient pas, mais ils devaient réussir. Qu’ils s’enfuient maintenant, ou fassent tomber l’Académie, ils les affronteraient quand même. Gorys prit son courage à deux mains, il intima à Kyos de surveiller la porte au cas où un adulte viendrait lui fermer au nez. Le militaire se méfia, les pirates restaient lâches, mais il décida que se faire confiance était leur meilleure chance de réussite.

Gorys s’aventura à l’extérieur, en fait, s’enfuir sans boussole était probablement impossible, on ne voyait pas à cinq mètres et la pâle lueur de la lune n’améliorait pas la visibilité. Il déglutit et tendit l’oreille dans l’espoir de compenser ce handicap. Il savait que ces monstres marins rôdaient près de l’école puisqu’il avait été agressé à son arrivée. Les trouver ne devait pas être la plus grosse difficulté de cette improvisation. Il leva la tête vers la surface, ces bêtes n’avaient pas de branchies, ils devaient remonter pour respirer. Ni une, ni deux, il tenta sa chance et perça la surface. Un tour sur lui-même pendant que ses poumons prenaient le relais, il remarqua quelques silhouettes aux apparences de troncs morts qui flottaient. Des troncs de trois à six mètres. Ses requins de Sylvaréna lui manqueraient presque.

Un mauvais pressentiment glaça son cœur. Il baissa les yeux sur l’eau opaque, un mur était plus transparent que cette mer d’huile. N’importe quoi pourrait lui foncer dessus sans qu’il ne le voit malgré la carrure imposante de ces prédateurs paresseux. L’urgence de retourner à l’abri des murs de l’institut envahit ses tripes. Il plongea, guetta les alentours comme s’il pouvait être rassuré.

Une ombre mouvante se dessina au dernier moment, une seconde suffit pour apercevoir la gueule béante aux dents mal alignées. Le pirate tendit son bâton devant lui, le crocodile referma ses puissantes mâchoires dessus, le brisant d’un coup sec et sans la moindre difficulté. Cependant, cela suffit à Gorys pour faire demi-tour et nager de toutes ses forces afin de survivre. Rapidement, un nouveau problème s’ajouta : où était l’Académie ?

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