Chapitre 20 - Expédition Fructueuse

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Nalya contempla le trou après que Sperys eut disparu dedans. Elle s'inquiétait, espérait, souhaitait. Elle envisagea de s'asseoir et d'attendre son retour mais elle se rappela avoir beaucoup à s'occuper. La brève réflexion qu'elle aurait dû lui demander où se trouvait le Léviathan lui traversa l'esprit mais elle était si fatiguée qu'elle n'eut pas la force de le regretter.

Elle avait d'autres affaires plus immédiates : annoncer la fin du Haut Conseil au monde, mener des recherches dans les ruines de Falside dans l'espoir de sauver les reliques des autres cités, préparer une rencontre diplomatique avec les humains… Pour peu que la négociation fut encore possible. Elle ne comprenait pas ce qui leur était si difficile à reconnaître qu'ils n'étaient pas seuls sur la planète et qu'ils ne pouvaient se permettre de pourrir le biome de leurs colocataires.

Son train de pensées s'interrompit lorsqu'un soldat vint la trouver. Il la prévint de l'approche de survivants de la Surface. Sa bonté la poussa à leur offrir le bénéfice du doute. Peut-être qu'ils étaient repentis après leur tour de force du jour. Qu'ils comprenaient qu'ils étaient responsables de cette destruction. Que cette malheureuse solution n'avait été que leur dernier recours contre leur obstination à maintenir les aquaïens dans la soumission et l'ignorance.

C'est pourquoi, la reine alla à la rencontre des rescapés. Beaucoup étaient blessés, peu gravement et elle en fut bêtement heureuse. Elle n'oubliait pourtant pas les centaines de morts causées par cette attaque. La rancœur qu'elle avait développée au fil des actes outrageux de Falside s'était dissipée sans même qu'elle ne le remarqua. Elle n'était plus en colère, elle les trouvait pitoyables à présent.

A la tête des survivants, Rucyos et un autre membre du conseil dont le respect ne l’avait pas poussée à retenir son nom. Sa bienveillance s’envola face à la rage visible sur le visage du crabe. Vive, une gifle échauffa la joue de la jeune femme.

« Sale gamine ! Cette fois, vous êtes finie ! Vous allez céder votre place en dédommagement de la perte de Falside ! Je vous somme de me livrer Sperys Camb pour meurtre, manipulation, et trahison, exigea-t-il dans une hystérie incontrôlée. »

Les chevaliers d’Atlantide menacèrent Rucyos pour défendre leur reine tandis que la violence physique du consul à l’égard de la jeune femme questionnait une partie des militaires et civils derrière lui. Nalya redressa la tête, toisa le crabe avec un mépris affiché. C’était la dernière de ses humiliations.

« Gardes. Arrêtez-le, il sera jugé par les aquaïens eux-mêmes au cours d’un procès public. Les autres survivants resteront hors de la cité jusqu’à ce qu’ils décident de se libérer ou de s’enfoncer dans la servitude. Nous leur apporterons confort et soins. »

Ses chevaliers empoignèrent le consul qui interpella ses combattants au secours. A sa surprise, personne ne bougea. Il se fit donc emporté de force malgré ses menaces à l’égard de Nalya et des anciens gardiens de Falside.

***

Sperys crut sincèrement que ce gouffre n’avait pas de fond tant la descente s’étirait dans le temps. L’absence de divertissements n’aidait pas sa patience non plus. Cependant, à la maigre lueur de son caisson lumineux, il aperçut enfin le sable. Il se couvrit le nez pour ne pas inspirer le nuage soulevé par le choc du rocher sur le fond et se libéra de la chaîne d’un habile mouvement de poignet.

Le nuage retomba, permettant un peu plus de visibilité au nérite. Il tendit le bras afin d’éclairer le plus loin possible avec sa pâle source de lumière, il frissonna. La température et la pression lui soufflaient qu’il était au-delà des quatre-milles mètres de profondeur, même pour l’habitant abyssal qu’il était, le climat était hostile à long terme. Le champ de fumeurs chauffait les eaux autour de Néritide, de même que l’amas d’épaves permettait de conserver la chaleur des nombreuses créatures vivant dans et sur la cité.

La peur surgit de nouveau, Faerys devait être frigorifié s’il était encore en vie. La frénésie s’empara de ses gestes, les rendit hâtifs, affolés, urgents. Les restes de squelette ne le dérangeaient pas. Il n’avait même pas de vêtement pour réchauffer son amant s’il le retrouvait. Il devrait vite le ramener dans les eaux tempérées d’Atlantide.

Il le vit alors. Sa silhouette roulée en boule sur l’inconfortable rocher toujours relié à sa cheville. Sa silhouette grelottante couverte d’une fine couche de neige marine. Il accourut, le prit dans ses bras et chassa avec délicatesse la neige sur sa joue.

« Fae… Allez debout, je t’ai dit que je ne voulais pas d’un martyr. »

Le plus jeune eut le tournis lorsqu’il fut bougé à son insu, il ignorait combien de temps il avait passé prostré, et quand est-ce qu’il s’était allongé. Un discret grognement d’inconfort lui échappa alors qu’une voix lointaine le tirait de son apathie. Il connaissait ce timbre, il affolait son cœur mais la raison le poussait à se rappeler à l’ordre. Sperys ne pouvait pas être dans cette fosse avec lui. Pourtant, un autre corps chassait un peu le froid glacial qui atrophiait lentement ses muscles tremblants d’hypothermie. Il se força à ouvrir les yeux, respirer devenait douloureux, la lumière l’ébloui. D’autres tentacules s’enroulèrent autour des siens dans de tendres étreintes et les larmes piquèrent ses yeux et ses sinus. Son sauveur ne pouvait être quelqu’un d’autre que Sperys. Il était venu pour lui. Il avait mis leur révolution en pause le temps de le retrouver.

Un souffle contre son oreille lui demanda toute sa concentration, son cerveau associait péniblement le sens de ses mots. Mais le message le rassurait bien qu’il doutait de s’en souvenir aussitôt que le calmar cessa de lui parler. Le poids à ses chevilles disparut et un bras soutint son dos tandis que l’autre se glissait sous ses genoux. Il gémit et se lova contre le torse chaud appuyé contre sa joue, il se sentait mieux, de nouveau prêt à s’endormir.

Sperys s’assit contre la paroi de pierre de l’impressionnant puit, sa lanterne posée à sa droite. Il ajusta le corps de son cadet sur ses genoux, ses doigts massaient son crâne, son autre bras fermement enroulé autour de sa taille. Il espérait le réchauffer et le réveiller suffisamment pour ne pas traîner un poids mort toute la remontée. Il n’était pas certain d’y parvenir d’ailleurs. Il continuait de lui parler, cherchait son attention et des réponses. A force de patience, il réussit : les paupières du poulpe restèrent ouvertes sur ses pupilles hagardes.

La tête contre la paroi, il exhala un soupir de soulagement. Faerys s’en tirerait bien vivant, il était arrivé à temps. Il l’avait sauvé. Son cœur tambourinait lentement mais durement dans sa cage thoracique, lourd de l’aveu qui souhaitait déborder de ses lèvres. Sa prise se resserra sur le corps de son amant alors qu’il s’apprêtait à se déclarer amoureux pour la première fois de sa courte vie. Ces simples mots lui étaient plus insurmontable que de monter une rébellion, manipuler les humains et détruire Falside réunis. Il ne doutait pas que le poulpe attendait que ses sentiments lui soient retournés, la difficulté n’était pas là, il ne craignait pas son rejet. Avouer cet amour… C’était comme faire mourir une part de lui-même. Accepter que son cœur soit tombé pour les belles prunelles rectangulaires de ce prince atypique. Admettre qu’il n’était pas descendu dans ce trou pour la clef qu’il lui avait offerte, mais pour Faerys. Il se pencha lentement à son oreille, clos ses paupières, ses mots vinrent du plus profond de son cœur dans un chuchotement pudique.

« Je t’aime Fae… »

La déclaration eut le mérite de mettre le prince en alerte dès que l’information atteignit son cerveau engourdi. Il redressa la tête, à la recherche des yeux de Sperys qui fixait son collier que ses tentacules caressaient. Alors qu’il hésitait entre lui demander de répéter, le taquiner ou lui confirmer ses propres émois, il remarqua des sources de lumières autour d’eux.

« Regardes… »

La déception mêlée d’outrage que sa déclaration soit sans retour le poussa à détourner la tête comme pour échapper à l’humiliation. Il remarqua alors la même chose que le plus jeune, ce qui éclipsa ces émotions négatives. Le gouffre s’était mystérieusement illuminé, ils pouvaient désormais voir à une centaine de mètres.

La lueur bleutée se répartissait dans l’anarchie, elle sortait du sable par endroit et s’étendait dans tout l’espace, bien plus vaste que ce que ne laissait présager le trou dans la cour du palais atlante. Poussé par la curiosité, le duo se leva et approcha d’une des sources d’éclairage. De prime abord, ils crurent à un tube, mais au toucher, l’aspect organique de la surface ne fit aucun doute. La surface d’une remarquable dureté n’en était pas moins molle lorsque Faerys la pressa. Cela lui rappelait la texture de ses propres tentacules. Le couple suivit les lumières qui se rassemblaient toutes un peu plus loin, Sperys souleva la lanterne pour éclairer le cornet d’un gigantesque calmar noir de suie sous la neige marine. Une vague de joie déferla dans son corps ; le Kraken ! Il était immense, et il ne voyait pas sa taille exacte car son corps était en partie enfouit dans le sable.

« On l’a trouvé… On l’a trouvé ! »

Dépassé par l’euphorie, le calmar prit son amant dans ses bras. Des éclats de rires brisèrent le vide ambiant alors qu’ils pressaient leur front et frottaient leur nez avec tendresse. La déclaration de son amant se rappela alors à la mémoire du plus jeune. L’embarras de l’avoir laissée en suspens le fit rougir. Il se rattrapa.

« Au fait, je t’aime aussi. »

Le sourire incontrôlé qui étira les lèvres de Sperys souligna son minois enfantin. Son bonheur rassura Faerys ; il ne regrettait pas son aveu. Les tentacules du prince s’enroulèrent autour du fermoir de son collier afin de le décrocher et de rendre la clef à son amant ; il méritait amplement de réveiller le Kraken. Sperys saisit le pendentif, il frotta la pulpe de ses doigts contre la gravure de calmar. La clef vibrait dans sa main, comme si une voix lointaine raisonnait à travers le métal.

Il approcha du monstre marin et chassa la poussière à la recherche de la serrure adaptée. Il remarqua, au cours de sa découverte, que des parties mécaniques étaient implantées dans la créature. Entre les globes oculaires, un dispositif en croissant disposait d’un cache. Il le poussa et révéla un trou assez grand pour y pénétrer la main. Une légère grimace de dégoût lui échappa mais il s’aventura. Un sas se referma sur son poignet et il sentit alors une ouverture sur le fond. Il tâtonna pour glisser la clef dans la serrure puis la tourna vers la gauche, deux tours complets. Une pointe de douleur traversa le dos de sa main.

Le sas libéra sa main qu’il s’empressa d’ôter afin de la tâter. Une goutte de sang perlait sur sa peau mais la blessure restait bénigne. Le sol trembla sous leurs pieds. Ils se soutinrent mutuellement alors que les bras du Kraken s’activaient, sortaient du sable, s’enroulaient et s’étiraient. La clef dans sa main vibra un peu plus fort, il attacha le collier à son cou et sentit une présence au fond de son esprit. Comme une voix intérieure mais clairement autre que la sienne. Une faim irascible naquit au creux de son ventre jusqu’à se muer en douleur.

La bête rugit de rage dans sa tête, un sifflement vrilla ses oreilles, la colère du monstre lui donnait des envies de meurtre. Des flashs de souvenirs qui ne lui appartenaient pas interférèrent dans ses pensées. Il gémit, des fantômes de combattants l’encerclaient et tiraient ses tentacules pour le plaquer au sol. Plusieurs dizaines étaient nécessaires pour maintenir chacun de ses tentacules.

Faerys enlaça le corps prostré de son amant, effrayé par cette réaction virulente. Il l’appelait dans l’espoir d’attirer son attention alors que le Kraken s’éveillait de sa longue sieste forcée. Face à la douleur qui heurtait son esprit chaque fois qu’il repoussait les visions, il décida de les laisser venir. Sa mémoire se mêla à celle du calmar titanesque dans un tumulte de crissements, de douleur, d’opérations, d’attaques de navires, un sentiment de trahison profond lorsque Falside avait ordonné son hibernation forcée que son dernier maître avait concédé.

Sperys rassembla toute sa volonté pour lui transmettre un sentiment de sérénité et de sécurité. Il s'évanouirait si le Kraken ne revenait pas au calme. Entreprise ardue compte tenu du chaos de son esprit mais, à force de patience, il réussit. La créature s'apaisa enfin et lui permit de se redresser. Il rassura son amant, puis admira le monstre de légende face à eux. Il caressa un de ses tentacules à proximité, lui offrant un contact bienveillant.

« Tu es libre... »

Aux yeux des deux hommes passionnés de céphalopodes, le Kraken était le spécimen le plus unique qui leur avait été donné de voir. La créature étira ses bras jusqu'à trouver la sortie de sa grotte et elle s'empressa de s'y engouffrer. Sperys et Faerys s'accrochèrent à elle afin de se laisser porter sans effort à la sortie de cette fosse.

La vitesse du calmar les surprit, pour un être si gros et affamé, il restait vivace. La remontée dura près d'une heure entière mais leur parut moins lente que la descente, ils étaient ensembles, exaltés de cet enchaînement de bonnes nouvelles, et impatients de recouvrer la lumière naturelle du soleil. De l'obscurité à la pénombre, ils se sentirent revivre une fois libérés du gouffre.

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