Chapitre 21 - Académie Submergée

9 minutes de lecture

Gorys esquiva la mâchoire d’un crocodile marin qui fonça dans un de ses congénères qui l’attaquait par devant. Voilà plus de dix minutes qu’il tournait en rond sans parvenir à retrouver l’Académie sans qu’il n’expliqua comment il s’en était tant éloigné. Un peu de courant qui l’avait fait dérivé mêlé à la panique de la poursuite sans doute. Mais il s’épuisait, leur fenêtre d’action se réduisait, Kyos risquait d’être découvert à chaque instant qu’il perdait à chercher son chemin. Au moins, il avait attiré suffisamment de reptiles pour une bonne diversion. Mais cela se révèlerait bien inutile s’il ne parvenait pas à les amener dans l’école.

Le pirate décida de remonter à la surface, il pourrait au moins savoir où il se trouvait par rapport à sa première percée. Il ne se laissa qu’une seconde pour se repérer, c’était déjà suffisant pour qu’un de ses poursuivants le prenne par surprise. La mangrove sauvage rendait chacun de ses coins uniques malgré la pénombre de la nuit, Il reconnut un tronc penché dangereusement au-dessus de l’eau, il en était plus proche tout à l’heure. Il replongea aussitôt, ses muscles douloureux se contractaient au rythme de ses ondulations pressées de plus en plus difficile. Malheureusement, il allait contre le courant et ne put éviter le prédateur qui l’attaqua de face.

Les puissantes mâchoires se saisirent de son épaule, son cri raisonna autant que le sinistre craquement de ses os. Dans l’espoir de ne pas perdre son bras, allumé d’un éclair de lucidité malgré la douleur insoutenable, il nagea dans la même direction que le crocodile qui cherchait à arracher sa prise du reste de son corps.

A l’entrée de l’Académie, Kyos sondait les eaux à peines éclairées par les lanternes. Le temps s’étirait de tension, il douta un instant que le pirate n’avait encore une fois prit ses jambes à son cou.

Un hurlement fendit le silence, il le distinguait mais devinait qu’il était éloigné. La voix de Gorys, il la reconnaissait. Il devait lui apporter son aide ! Il fit une première brasse hors de l’abri et se figea. Ils risquaient de se manquer dans ces marécages opaques. Ce serait contreproductif de partir à sa recherche. Il retourna dans le hall et chercha une solution d’urgence. Il pria que la pirate fut encore en mesure de nager pour retrouver son chemin lorsqu’il saisit la coque d’alarme. Gorys devrait revenir dans la minute avec une belle horde de crocodiles ou ce serait un retour immédiat aux oubliettes. Le son sourd fit écho dans les eaux troubles et ne tarda pas à réveiller l’école endormie.

Dans le tumulte de douleur, le pirate tentait de forcer le crocodile à lâcher prise. La répercussion du son sourd du coquillage l’interpella, il crut que Kyos s’était fait débusquer. Il allait se faire verrouiller la porte au nez ! Il ne mourrait pas ! Une nouvelle vague d’adrénaline lui fit serrer les dents et il enfonça, avec vigueur, son poing dans les tendons du cou du reptile. La force du coup suffit pour que l’animal le lâcha, il en profita pour se précipiter en direction de l’alarme. Sa blessure le ralentissait mais il retrouva son chemin.

Il aperçut Kyos qui esquivait les professeurs et continuait de souffler dans le coque. Il comprit qu’il avait déclencher l’alarme volontairement pour lui permettre de retrouver l’Académie. Tant pis pour la discrétion, Gorys amenait la cavalerie. Tel un boulet de canon, il pénétra dans le hall, agrippa le bras de Kyos et le tira dans le couloir des appartements du corps professoral. Les directives des enseignants face à l’invasion de crocodiles dans l’académie disparurent dans le sillage de leur fuite.

« T’es blessé !

— Ce n’est pas grave, l’émissaire d’abord. »

Kyos insista pour stopper leur course avant d’entrer dans les quartiers de l’envoyé de Falside. Il inspecta son épaule, puis déchira un pan de l’uniforme de l’école pour gainer les blessures du hors-la-loi. Il serait inutile s’il se vidait de son sang et tombait dans les vapes.

Ils firent irruption dans la chambre de l’émissaire, peu surpris que l’homme se fut terré dans ses appartements lorsque l’alarme avait retentie. Il faisait les cent pas dans le salon avec une épée à la main. Savait-il s’en servir ? Sa lâcheté leur soufflait que non mais la prudence les poussait à la méfiance. D’autant qu’ils ne disposaient plus que d’un seul et unique bâton d’entraînement pour se défendre.

L’émissaire pointa sa lame dans leur direction, les menaçait pour les maintenir à bonne distance. Ils devinèrent aisément qu’il n’avait jamais eu à se battre en dehors des salles d’entraînement de Falside. Les civils de la Surface avaient le tort de compter uniquement sur leurs gardiens. Kyos asséna un coup violent dans son épée qu’il lâcha à cause de sa prise maladroite sur le manche. Gorys se glissa dans son dos, posa ses mains sur ses ouïes dans le but de bloquer sa respiration. L’émissaire se débattit, les yeux exorbités, terrifié lorsque Kyos saisit ses mains pour l’en empêcher.

« B…Betta K-yos… Assez… »

Le jeune homme tordit ses poignets pour bloquer un peu plus ses gesticulations.

« Je suis un chevalier d’Atlantide. »

La détermination de sa déclaration brisa ses maigres espoirs de s’en tirer. Il comprit qu’il mourrait noyé par ces deux renégats. Kyos conserva le contact visuel, fasciné de voir, au sens littéral, la vie quitter le corps soumis de ce représentant de l’oppression qu’on lui avait imposée toute sa vie. Alors qu’ils s’attendaient à finir le travail sans encombres, le directeur entra avec son trident de combattant. Kyos grogna, agacé, et lâcha les mains de leur victime pour récupérer l’épée abandonnée plus tôt. Il ne laisserait personne se mettre en travers de la justice. Surtout pas ce tortionnaire de milliers d’enfants déracinés et brisés. Même s’il donnait des signes de repentis face à leur cas qu’il tentait pourtant de réhabiliter. Cet homme avait consacré trop de sa vie à l’idéologie du Haut Conseil pour se raviser aujourd’hui. C’était trop coûteux pour son esprit.

Il se mit en garde, la jambe en appui, les mains fermes sur son épée. Cette arme inhabituelle pour lui ne lui faisait pourtant pas regretter son trident. Il gagnerait. Le premier échange de coups fut un test, l’occasion pour chaque adversaire de jauger l’autre. Le plus jeune reprit sa position, il scannait la posture de son ennemi à la recherche de son point faible, d’un trou dans sa garde. Il opta pour une tactique agressive. Ainsi, il l’occuperait pendant que le pirate terminait le travail, et il le pousserait dans ses retranchements.

Le doyen dévia l’attaque sur sa droite avec les pointes de son trident et frappa les côtes du plus jeune avec le manche. Kyos retint son gémissement, recula d’un pas et rehaussa sa garde avant de revenir à la charge, toujours plus déterminé.

L’arrivée du principal réveilla l’émissaire qui tira partie de ses mains libres. Il écrasa le pied du pirate, enfonça plusieurs fois son coude dans son ventre et s’extirpa de la mort in extremis lorsqu’il sentit sa prise ramollie. Il trébucha, haleta, toussa l’eau accumulée dans son système respiratoire douloureux. Gorys massa son ventre avec une grimace mais ne se laissa pas déconcentrer longtemps. Il le poussa face contre le sol, appuya ses genoux sur ses coudes et replaça ses mains sur ses branchies pour bloquer sa respiration. Il se débattit encore, tentait de taper le dos du combattant avec ses talons sans qu’il ne parvienne à l’atteindre. Sa panique accéléra sa noyade, il jeta un regard de désespoir au directeur mis à mal par le cadet, il priait pour échapper une nouvelle fois à la mort.

Un voile de rage obscurcissait la vue de Kyos qui tentait de repousser cette colère pour ne pas en être submergé dans ce combat où rien ne devait le distraire sous peine d’y laisser sa vie. L’élève devait dépasser le maître ou mourir. Et il ne mourrait pas. Pour que cet émissaire meurt, pour se venger de son enfance volée, pour retrouver Nalya. Il. Ne. Mourrait. Pas. Il esquiva un coup du trident, plongea en avant, sa lame transperça le torse de son ancien dresseur. Le trident chuta sur le sol dans un tintement cristallin, leurs yeux se croisèrent, miroir de leur choc mutuel. Il retira son épée de la chair tendre de son aîné, soutint son corps qui s’affaissa et l’étendit au sol avec une douceur étonnante pour sa rage précédente. Kyos réalisa qu’il se libérait de ses chaînes. Le regret qu’il lut dans le regard résigné du proviseur prouva la sincérité de sa démarche. Il avait cru agir pour le meilleur, servir une noble cause.

La main du pirate sur son épaule le fit sursauter. Ils échangèrent un regard, jetèrent un dernier coup d’œil au corps sans vie de l’émissaire et rejoignirent les recrues. Les aînés devraient accepter que Falside était morte, qu’ils pouvaient désormais partir, retrouver la trace de leur famille, choisir leur vie.

Dans le hall, les professeurs et élèves de dernière année refermaient la double porte après avoir chassé le dernier crocodile. A leur arrivée, sereine, leurs gestes de menace se ravisèrent. Gorys annonça la mort des dirigeants de l’Académie et réitéra la fin du Haut Conseil. Le doute régna dans l’assistance si habituée à ce que le moindre de leurs faits et gestes furent dictés par leur endoctrinement. Le pirate comprit qu’ils auraient besoin d’un guide pour retrouver leur autonomie. Lui qui ne rêvait que de quitter cet endroit maudit, il peinait à abandonner ses congénères.

Il prit Kyos à part, baissa d’un ton alors qu’il était toujours incertain de sa capacité à aider les élèves de cette école. Perdre deux fois ses repères, aussi fort que la famille et le carcan de Falside, devait être difficile pour des adolescents.

« Attends l’aube pour prendre la route, les prédateurs sont moins actifs en journée et tu y verras plus clair. Je reste… Juste le temps de renvoyer tout le monde chez lui.

— Tu es sûr ? Ta liberté t’attend…

— Elle patientera quelques jours de plus.

— Bien. Les plus jeunes se souviennent encore de leur origine, je vais partir avec ceux d’Atlantide et Néritide s’il y en a. »

Le pirate hocha la tête, ravi de ce travail en moins. Il n’avait aucune idée de sa stratégie pour aider les plus âgés, peut-être que leurs dossiers étaient conservés dans le bureau de l’émissaire ou du directeur. Ensuite, il faudrait qu’il organise le retour de chacun.

Le duo suggéra à tous de retourner au lit, la nuit permettait de prendre du recul, les esprits seraient moins échaudés au lendemain. Lorsque les élèves obéirent, les professeurs furent plus perdus encore, impuissants. Ils ignoraient comment imposer leur autorité sans l'appui de leur hiérarchie.

Kyos entraîna le pirate à l'infirmerie de l'institut désormais déchu. Il se dirigea vers l'armoire à pharmacie et fouilla tandis que Gorys s'asseyait sur l'un des lits de soins. Le feu de l'action éteint, son épaule le tiraillait et il arborait une désagréable nausée. Il observa Kyos découvrir ses blessures et les nettoyer avec attention. Ce n'était qu'une petite morsure à ses yeux mais son congénère implacable l'obligea à attendre la fin des soins. Le plus jeune repéra une dent du crocodile plantée dans son omoplate. Il se saisit d'une pince, la retira avec délicatesse et lui offrit avec un sourire.

« Un souvenir… »

Le pirate fit rouler la dent dans sa paume pour l'observer sous toutes ses coutures. Une pointe de nostalgie lui imposa un sourire fatigué. Il venait de clore une partie de sa vie. Il se sentait aussi déraciné que ces adolescents, que faire après sa fuite ? Retourner chez les pirates ? Son équipage était le plus proche d'une famille… L'attendait-il encore ? Est-ce que Nalya lui accorderait la citoyenneté Atlante ?

Kyos contempla les interrogations qui défilaient dans les pupilles du pirate. Il comprenait. Décider de sa voie, après des années de contraintes, c'était effrayant. Il termina de soigner ses blessures et s'assit à ses côtés.

« Tiens-moi au courant, tu sais où me trouver.

— Si la princesse te veut encore…

— Ne me taquine pas… »

Il lui donna un léger coup d'épaule, l'atmosphère allégée. Kyos espérait que la princesse ne l'avait pas déjà oubliée, qu'elle serait au moins heureuse de le revoir en vie. Son cœur se tordait à la simple perspective qu'elle l'éconduisit. Pourrait-il toujours rester à ses côtés en tant que chevalier ? Il doutait que ce soit le meilleur moyen de passer outre ce rejet. Refusant de ruminer, il se leva d'un bond et se dirigea vers la sortie. Ils devaient prévenir les cadets qu'ils avaient réussi et réunir ceux qui venaient d'Atlantide et Néritide pour leur départ.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire ScytheOwens ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0