Il n’a pas crié. Peut-être parce qu’il ne s’y attendait pas. Peut-être parce qu’au fond, il savait qu’un jour, cela arriverait. Il était allongé sur le canapé, un verre à moitié vide à la main, la télévision diffusant en boucle des images qu’il ne regardait pas. J’ai utilisé ce qu’il aimait le plus, le vin rouge du samedi soir. Je l’ai versé doucement, avec précision. Une dose. Puis deux. Puis un peu plus. Le poison était lent, pas fulgurant. Il a suffoqué, a eu un mouvement de recul. Ses yeux ont changé. J’y ai vu la panique, et une question silencieuse : "Pourquoi ?" Mais il n’y avait plus de pourquoi depuis longtemps. Je n’ai pas pleurée. Cacher un corps est une autre histoire. L’odeur, le poids, la réalité. On croit que ce sera comme dans les films, rapide, propre, maîtrisé. Ça ne l’est pas. J’ai tout lavée trois fois, même si je savais que le sang n’était pas sorti. J’ai démontée le coffre du vieux 4x4, enveloppée le corps dans deux bâches et du plastique épais. J’ai roulée jusqu’à la carrière abandonnée, là où plus personne ne va depuis que la ville a fermé la route. Il a fallu creuser, lentement, en silence. L’aube pointait à peine quand j’ai recouvert ce qui restait de lui. Je me suis promis de ne pas revenir. Personne ne l’a cherché. Personne ne s’est inquiété. Il n’avait pas de vrais amis, pas de famille proche. Juste quelques collègues distants et des voisins indifférents. La police est passée, une fois. Une disparition sans violence, sans signe de lutte, un homme instable qui parle de tout plaquer. Ils ont conclu à un départ volontaire. Un ras-le-bol. Ça arrive, qu’ils ont dit. Surtout pour des hommes comme lui. Depuis, je souris un peu plus. Je parle de lui au passé, avec une pointe de chagrin maîtrisé, comme une veuve digne. Les voisins compatissent. Ils disent que je suis forte, que ce n’est pas facile d’être abandonnée ainsi. Et moi j’acquiesce et je joue bien mon rôle. Je dors mieux aussi, mais parfois, quand tout est calme, j’entends sa voix. Pas celle qui grondait, qui insultait. Non. Celle d’avant, celle qu’il avait quand il m’aimait encore. Alors je me lève, je vais me passer de l’eau sur le visage, et je me dis : "Tu n’as pas le droit de regretter, parce que tu as survécu."