Épisode 12 - Baptême

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Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y

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Les événements de la première nuit avaient plongé Tokri dans un abîme de réflexions, tandis qu’il suivait mécaniquement les deux silhouettes devant lui. Durant son duel contre Sarouh, l'Utak avait eu la sensation que rien ne pouvait l’atteindre. Après avoir vaincu le Genin si facilement, comment avait-il pu être aussi grièvement blessé par un simple brigand sans pouvoir ? Rongé par un sentiment d’insuffisance, Tokri était terrifié par sa propre faiblesse.

Il jeta un bref regard à Mutika, qui ne semblait guère méditer sur ce qui était arrivé à Sarouh, absorbé par sa conversation avec Ayane, la fille du maire. Le rouquin avait élaboré une stratégie dont il était particulièrement fier afin de ruiner la réputation de Chihousou Masaka, et il comptait mettre la belle blonde à contribution, à son insu. Reconnaissant envers son partenaire de rester concentré sur la partie la plus ennuyeuse de leur mission, Tokri se laissa aller à ses démons intérieurs et rumina ses doutes.

Izul, assistée par Gomaki, avait rapidement prodigué les soins nécessaires au Tsumyo. Selon eux, le Gensouard serait sur pied pour la seconde nuit, à condition de ménager sa blessure et de se tenir en seconde ligne. Ne pouvant laisser cette unité de son équipe sans chef, Chihousou désigna Izul à ce poste. La jeune femme en était angoissée, mais n'avait pas osé contredire l’inflexible Masaka.

 Ils finirent par déboucher sur la grande place du village. Le brouhaha de la fête du fer assourdissait les tympans de Tokri. Les marchands vantaient leurs produits, tandis que d’autres tenaient divers stands de jeux. Mutika aperçut Chihousou qui quittait précipitamment la grande place. Ils pressèrent le pas, suivant Ayane qui les guida à travers diverses ruelles jusqu’à faire face au Gensouard.

Bien qu'il ne supportait absolument pas le Chuunin, Tokri reconnaissait que Chihousou Masaka en imposait par sa prestance de ninja aguerri. Malgré sa grande taille, sa musculature restait discrète, et ses cheveux blonds attachés encadraient un visage dont les yeux aveugles étaient masqués par un bandana. Pourtant, il semblait constamment alerte, sensible à la moindre perturbation de son environnement. Le Genin aux cheveux de jais le soupçonnait d’aiguiser ses sens par le Chakra à un niveau bien supérieur à la plupart des shinobi.

— Salut, lui lança sobrement Tokri, impatient que se termine la comédie qui était sur le point de débuter.

— Déjà réveillé ? s’étonna Chihousou en se tournant vers lui, lui donnant l'impression de le pourfendre malgré sa cécité. Je vous avais pourtant donné la permission de vous reposer toute la matinée.

— Eh bien, nous avons été pris d’une grande envie de flâner au soleil, expliqua malicieusement Mutika. N’est-ce pas, Tokri ?

Ce dernier se mordit discrètement la langue. Malgré ses réticences, il se répéta qu'ils ne faisaient qu’obéir aux instructions du Village du Sable. Cela n’en restait pas moins ridicule.

— Exact, répondit à contrecœur Tokri tout en tâchant d’être le plus crédible possible. En cours de route, nous avons rencontré Ayane.

Chihousou tourna la tête vers la jeune femme, qui se mit à rougir jusqu’aux oreilles.

— Ravi de constater que vous n’oubliez pas notre rôle social, déclara placidement Chihousou. N’oubliez toutefois en aucun cas notre réunion, je ne tolérerai aucun retard.

Les deux Genins opinèrent du chef, tandis que Chihousou décida d'oublier momentanément leurs existences et reprit sa marche. Une fois hors de leur vue, Ayane commença à s’esbaudir de ce « superbe shinobi mystérieux ! »

— Succès total ! chuchota Mutika à l’oreille de Tokri, qui soupira d’exaspération.

Estimant avoir suffisamment donné de sa personne, l'Utak prit congé de son collègue et dédia le reste de son après-midi à l’entraînement. Au terme de cette courte session, l’arbre qu’il avait pris pour cible termina criblé de kunai, lancé avec une rage défoulante bien qu’aucun ne l’avait entièrement traversé. Tandis que la nuit commençait à tomber, Tokri rejoignit ses coéquipiers, pestant contre ses progrès désespérément bien trop lents.

Le visage de son père se présenta à son esprit, jubilant face à son impuissance. Un souffle de haine l’envahit, lui faisant retrouver une motivation enragée qui balaya ses doutes. Avant de l’avoir atteint, il n’avait pas le droit de mourir.

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Lorsque les dernières lueurs du crépuscule laissèrent place à l’obscurité, trois ombres filèrent de toit en toit au gré de la brise nocturne.

— Formation serrée, ordonna Chihousou. Séparation interdite sans mon ordre.

Tokri s’abstint de tout commentaire, au contraire de Mutika qui ne manqua pas de faire remarquer que cette formation ne leur permettait pas de couvrir suffisamment de terrain. Le rouquin fut sévèrement remis à sa place par le Chuunin. Peu importait les protestations, Chihousou ne changerait en aucune façon sa stratégie, la blessure de Sarouh dès la première nuit l’ayant suffisamment inquiété pour le pousser à éviter à tout prix d’autres incidents de ce type.

Les trois shinobis arpentèrent leur zone un long moment, veillant à maintenir un contact constant avec l'équipe d’Izul. Le Chuunin était prêt à intervenir à la moindre nécessité.

L’Utak n’aurait su estimer combien de temps s’écoula dans un silence absolu et pesant, uniquement brisé par les déplacements furtifs des animaux nocturnes. Seule la faible lueur de l’astre argenté et les quelques lumières du village éclairaient les ruelles, qui semblaient s’être rétrécies en comparaison à l’effervescence qui avait animé les lieux quelques heures auparavant.

Le trio finit par redescendre dans une ruelle, Chihousou intimant soudainement aux Genins de stopper tout mouvement. Leur supérieur sembla entrer en transe, profondément concentré. Tokri tendit l’oreille, mais ne perçut aucun son. L’imagination de Chihousou lui jouait-il quelques tours ?

Le Gensouard reprit sa marche sans mot dire, laissant les Genins lui emboitaient le pas tout en s’échangeant un regard d’incompréhension jusqu’à ce que Chihousou ne se stoppe soudainement non loin d’une intersection.

— Les voilà, déclara-t-il en un murmure. Allez à leur rencontre par la gauche. Je vais me faufiler par l’arrière et tous les éliminer.

Sans leur laisser le loisir de le questionner, Chihousou disparut de toit en toit. Tokri et Mutika tournèrent au coin de la ruelle et, comme l’avait prédit Chihousou, firent face à sept brigands qui dégainèrent leurs dagues de leurs fourreaux dès qu’ils virent les adolescents. Les poings de l’Utak se crispèrent, impatient d’en découdre

— On va vous laminer, bande de minable ! cracha Mutika avec fougue.

Les brigands éclatèrent de rire, nullement inquiétés par le jeune Chikarate. Tokri fut tenté de les mettre à profit, mais chassa bien vite cette idée de son esprit. Chihousou leur avait demandé de détourner leur attention, pas d'engager le combat. L'Utak aurait tout de même cru que le Masaka serait plus rapide que cela. Frustré, il attendit patiemment que leurs ennemis passent à l'action.

Les brigands se ruèrent vers les Genins, au moment où Chihousou tranchait la gorge de l’un des leurs de ses griffes de métal. Deux autres s’effondrèrent en hurlant, les cuisses transpercées par des kunais, faisant se retourner les quatre derniers. Le plus molosse d’entre eux, dont la taille rivalisait presque avec celle du Chuunin, fonça droit sur leur assaillant, tandis que les valides restants se jetèrent sur les adolescents.

Alors qu'il s'était attendu à mener l'affrontement, Tokri fut surpris par la vivacité de ses deux opposants et fut contraint à des esquives. Incapable de repousser les assauts, il fut bien vite marqué de quelques estafilades. Lors d'une tentative de contre-attaque, son regard fut attiré par d'étranges enflures noircissant leurs tempes.

Du coin de l’œil, le Genin aux cheveux de jais constata que Mutika s’amusait avec son opposant en dansant autour de lui. Échappant de peu à des lames visant ses poings vitaux, l'Utak pesta contre la légèreté de son partenaire. Il finit par reculer de quelques pas et vit au dernier moment l’un des poignards fondre vers son estomac. Tokri serra les dents, s’attendant à sentir le froid tranchant le pénétrer, mais la griffe de Chihousou dévia la frappe au dernier moment en un tintement de métal. Sur un ordre du géant qui avait tenu tête au Chuunin, les trois brigands se replièrent à ses côtés.

— Il est temps d’en finir, murmura Chihousou à un timbre si bas que seul Tokri pouvait l’entendre.

Le Masaka effectua plusieurs mudras, faisant apparaître cinq clones qui génèrérent chacun une boule de feu au creux de leur paume. Les yeux de leurs opposants s’écarquillèrent de stupeur et de terreur.

— Cinq secondes, déclarèrent les Chihousou.

Les Chihousou commencèrent à compter, provoquant la fuite en urgence des brigands. Cette débandade provoqua l’hilarité de Mutika, tandis que Tokri reprenait péniblement son souffle. Sans l’intervention de Chihousou, sa quête de vengeance aurait été stoppée net par la lame d’un vulgaire malfrat. Fulminant intérieurement d’avoir été à nouveau impuissant, son poing droit se crispa de frustration.

Le Chuunin jeta soudainement un kunai vers Mutika, frôlant de peu sa joue gauche. Le teint du garçon blêmit et, abasourdi, il n’esquissa pas le moindre geste lorsque Chihousou le plaqua violemment contre un mur.

— Ton partenaire est à quelques pas, à deux doigts de se faire déchiqueter et tu n’esquisses pas le moindre geste pour l’aider ? cracha le Chuunin avec mépris.

Honteux, Mutika baissa les yeux, incapable de répondre. Les nerfs à vif, Tokri laissa un ricanement jaune lui échapper.

— Ferme-la, lui lâcha froidement Chihousou en se tournant vers lui. Quand on est incapable de faire face à deux minables, on évite de ramener sa grande gueule.

Relâchant sa prise, Chihousou ne se calma pas pour autant.

— Le succès d’une mission réside en la cohésion de l’équipe, récita t-il, acerbe,tel un mantra éculé. Que vous apprend-on à Chikara, mis à part l’art de vous entretuer !

Gardant le silence tout en fusillant son supérieur du regard, Tokri attendit que Chihousou s’éloigne quelque peu. Sans un mot, il s’élança vers la direction qu’avaient pris les malfrats. Le Genin entendit un Masaka furieux lui ordonner de rebrousser chemin, que Tokri ignora royalement. Quelques ruelles plus loin, il rattrapa les quatres bandits qui, alertés par son manque de discrétion, lui firent face. Tokri remarqua que leurs veines sombres avaient disparu. Le plus proche des bandits dégaina un sabre et tenta de frapper. Bien trop lents et imprécis, il n’effleura que de l’air.

Prenant ses distances en une impulsion tout en se penchant vers le flanc gauche de son adversaire, Tokri aiguisa un kunai au Fuuton et le projeta en un rugissement de rage. Le projectile transperça la rotule pour finir profondément enfoncée dans la seconde, envoyant le bandit gémir au sol.

Le colosse sortit une seringue remplie d'un liquide d’un noir opaque, qu'il planta dans son cou. Alors que ses veines se noircirent et se crispérent, il poussa un hurlement, mélange de rage et de douleur, avant de charger un Genin qui s’était instinctivement préparé à l’assaut. A sa grande surprise, il vit Mutika jaillir de l'obscurité pour bondir sur le dos du géant. Interloqué, Tokri les regarda se débattre durant une fraction de seconde, jusqu'à ce que Mutika soit saisi et lourdement expédié face à lui.

L’Utak l’aida à se relever, tandis que l’ours s’approchait d’eux en les menaçant de mille et une souffrance. Un mince bruissement d’air releva un court instant les mèches sur le front de l’Utak, tandis qu’un nouvel affrontement éclatait entre leur ennemi et Chihousou. Derrière eux, Tokri aperçut du coin de l’œil les deux brigands restants s'éclipser. Ne laissant pas le temps à Mutika de l'en empêcher, le Genin se lança à leur poursuite.

Filant discrètement à travers les toits, Tokri traquait ses proies sans se faire remarquer, se récitant les leçons de pistage de l'Académie. Guetter le moment où leur attention serait moindre, ne pas se précipiter et les laisser penser que tout danger était écarté avant de les exécuter prestement.

L’occasion finit par se présenter. A bout de souffle, les deux stoppèrent leur course et se mirent à discuter de la marche à suivre en une panique palpable. Visiblement, cette nuit s'était déroulée bien différemment de ce qui avait été prévu par leur bande.

Espérant que leur discussion lui donnerait le temps nécessaire, Tokri se faufila dans la pénombre d’une demeure. Prenant soin de n’émettre aucun bruit, l’Utak s’approcha progressivement de celui le plus proche, qui lui présentait son dos. D’un coup sec à la nuque, Tokri l'assomma tandis que le second fit quelques pas en arrière. De la surprise ou de la peur, le jeune homme n’aurait su dire ce qui l’emportait en son regard.

Lorsque le ninja fit quelques pas vers lui, il dégaina un canif et visa le visage du jeune homme, qui retint son souffle en sentant la froideur de la lame effleurer son front. L’Utak esquiva sans mal quelques assauts, guettant l’instant qui lui permettrait de prendre le dessus, pour finalement bloquer l’avant-bras entre son poignet et ses côtes. D’un brusque mouvement, Tokri le lui brisa en un craquement sinistre, arrachant à sa victime un hurlement de douleur. Relâchant sa prise, Tokri le laissa geindre pitoyablement face contre terre et prit une grande inspiration, soudainement angoissé.

Une sueur froide perla le long de son front, coulant en de fines gouttes jusqu’à son menton. Une sensation de lourdeur lui étreignit la gorge, faisant remonter un goût de bile jusque dans sa bouche. Il expira en marchant vers le geignard qui tenait avec désespoir son bras meurtri, des convulsions nerveuses tordant son corps. L’Utak le saisit fermement par une épaule et le mit sur le dos, puis plaqua ses genoux contre le plexus solaire de l’inconnu. Le jeune homme eut à lutter pour le maintenir en place.

Tokri attrapa fermement ses avants bras, arrachant au malheureux un nouveau cri de douleur. Agissant au plus vite, il lui transperça chaque paume d’un kunai, les tympans vibrants d’une nouvelle plainte de douleur terrifiée.

Ainsi fixé en croix, Tokri n’avait nulle crainte que sa proie ne lui échappe et ferma les yeux quelques instants, tâchant d’ignorer au mieux les pleurs de sa victime. Secoué de tremblements d’effroi, sa main fébrile glissa le long de sa jambe pour décacheter sa pochette de projectiles. Lentement, il saisit l’un de ses kunais et le fit remonter à hauteur de son visage, avant de fermer les yeux.

L’image du corps inerte de sa mère frappa brutalement son esprit : son sang s’écoulant de la plaie profonde dans son ventre et ses mains d’enfant tachées bien trop tôt de sang, fixant de ses yeux à l'innocence brisée une lame qui goûtait du liquide écarlate.

Ses paupières d’adolescent s’ouvrirent lentement, lorgnant le fil de la lame qu’il maintenait fermement, presque avec désespoir. Forgée avec minutie, elle n’avait d’autre but que de faire couler le sang. Depuis ce jour maudit, il les avait toujours détestés. Enfant, il avait longtemps refusé la vue de tout acier tranchant, ce qui avait été un souci pour son alimentation alors qu’il refusait de se munir du moindre couteau. A l’Académie, il avait longtemps refusé de se présenter aux séances de tir.

Son aîné lui avait alors rappelé sa promesse et l’Utak avait pris sur lui. Pour tuer son père, il lui fallait surmonter sa phobie. Surmontant son dégoût, il s’était révélé talentueux à la manipulation de ce type d’arme, mais au fond de lui, sa terreur ne l’avait jamais quittée.

Tokri fixa l’inconnu droit dans les yeux, écarquillés d'épouvante. Il ne bougeait plus, un lien impalpable d’horreur s’étant tissé entre le bourreau et son condamné. Avait-il accepté sa fin ?

Le souffle court et les poings tremblants, il raffermit sa prise sur le kunai, avant de le brandir au-dessus de sa tête. Il était temps.

L’inconnu continua de fixer Tokri alors que s’abattait sur lui la pointe mortelle. De sa gorge s’éleva un gargouillement écoeurant, dont le flot tiède du torrent écarlate souilla les mains du jeune adolescent. Son regard se perdit dans ceux du mis à mort, dont la lueur de vie s’éteignit peu à peu, emportant avec lui ce qu’il restait de son innocence.

Ses doigts gourds glissèrent lentement le long de la poignée du kunai, fiché dans le larynx du mort.

Soudainement vide, l’adolescent ne pouvait toutefois détacher le regard du visage de sa première victime, imprimant son expression figée de terreur dans son esprit. Tel un spectre, le visage satisfait de Uril Utak s’imposa devant ses yeux. Une larme traça un sillon le long de sa joue et sa voix, en un murmure, se perdit dans les pénombres de Nikidami :

— Je me rapproche de toi.

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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU

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