Épisode 13 - Investigations
Explosion de souffrance derrière les yeux, puis dans l'épaule et l'abdomen, alors que Sarouh se relevait en un sursaut, comme réveillé d'un cauchemar. Son mouvement fut avorté par une jolie kunoichi aux cheveux bleus azur, qui le bloqua fermement mais sans violence contre son matelas.
— Doucement ! Tu es encore mal en point.
— ...Izul ?
La lumière lui brûla les yeux, alors qu'il discernait enfin ce qui l'entourait. Les souvenirs de la veille lui revinrent, brouillons et confus. Son sauvetage in extremis. Ses quatre meurtres. La lame du mercenaire qui l'avait traversé de part en part. Il posa doucement ses doigts au niveau de son ventre pour y trouver d'épais bandages. Il avait été obligé d'encaisser frontalement l'assaut pour sauver la Genin lui faisant face.
— Tu as eu beaucoup de chance, Sarouh. L'acier n'a trouvé ni artère ni organe.
— Ce n'était pas que de la chance, protesta faiblement l’intéressé. Même si je ne pouvais pas totalement esquiver, j'ai pu me déplacer légèrement au dernier moment...
— Pourquoi ? l'interrompit-t-elle, d'une voix blanche.
— Pardon ?
— Pourquoi tu as fait ça pour moi ! Je ne suis pas des tiens !
Le jeune garçon la regarda, décontenancé. Sa voix s'était mise à partir dans les aigus d'un coup. Il ne trouva pas tout de suite quoi lui répondre et le silence retomba dans la pièce. Seul à seule dans sa chambre d’hôtel, il chercha son regard, avant d'essayer de formuler une réponse satisfaisante. La kunoichi, assise sur une chaise à côté de son lit de convalescence regardait obstinément vers le bas, les poings fermés tremblants. Elle était hors d'elle. Sarouh s’excusa, sans même trop savoir pourquoi.
— Je suis désolé, le but n’était pas de t’inquiéter. Mais je n'avais pas le choix. La protection des alliés n'est pas trop mon domaine de prédilection. Je n’ai rien pu faire d’autre qu’éliminer la menace.
— Ce n'est pas ce que je t'ai demandé.
— Je n'ai pris aucun plaisir à la prendre, cette attaque, répondit le Chuunin, laissant poindre l’impatience dans sa voix. En tant que chef de cette unité improvisée, il était hors de question que l'un de mes hommes soit blessé, encore moins le premier soir. Imagine, si Chikara apprenait qu'un ninja de la Cascade avait laissé une aspirante se faire toucher...
— Ce n'était donc que de l'ego et du calcul ?
Sarouh explosa en son for intérieur. Allait-elle le lâcher à un moment ? Il s'attendait à de la gratitude, pas à une dispute. La douleur le rendait aigri, sa propre impuissance l'agaçait et altérait son jugement. Vraiment, il n'avait pas besoin d’un rappel de ses mauvais choix.
Et que voulait-elle au juste ? Ne pouvait-elle pas simplement le remercier et passer à autre chose ? Le réveil sous les cris était pénible pour le Chuunin qui s'en voulait bien assez. Il comprenait mal ce qu'elle lui reprochait exactement. Était-il supposé la laisser se faire abattre sous ses yeux ? Ou lui reprochait-elle son manque de force ? Sarouh lui répondit après un petit silence, d’une voix glaciale à en faire frémir le pire des blizzards :
— Je t'ai protégée parce que je ne voulais pas de blessé. Je t'ai protégée parce que c'était mon devoir et que je trouvais ça juste. Je t'ai protégée parce que tu n'as pas été foutue de le faire toi-même. Le jour où tu sauras te gérer, tu pourras peut-être donner des leçons aux autres.
Il n’avait pas su s’arrêter et avait fini par simplement se défouler sur Izul. Elle se recroquevilla plus fort que s'il l'avait frappée, les lèvres tremblantes et le regard bas. A ce moment exact, le shinobi comprit enfin. Ils ressentaient la même chose : la culpabilité et l’impuissance. Cette dispute n’était qu’une mascarade, un prétexte pour mieux se détester.
— Izul, écoute moi bien, se radoucit le Chuunin après un petit silence gêné. Sans toi je serais mort, ne l'oublie pas. Et pour cela, tu as ma gratitude éternelle. Mais on ne gueule pas sur son supérieur au réveil. Nous reparlerons de tout ça.
La kunoichi se tourna vers lui, surprise par la soudaine familiarité de son supérieur. La peur et la honte lui avaient fait oublier ses manières. Retrouvant son calme, elle lui adressa un salut respectueux et emprunt de gratitude avant de sortir précipitamment, écarlate. Dehors, elle croisa Chihousou qui lui apprendrait qu'elle prendrait temporairement la place de coordinatrice dans l'unité. Ensuite, le géant blond vint l'informer qu'il était dispensé pour cette journée et que son rôle pour cette nuit serait moindre.
Concrètement, il ne devait intervenir qu'en cas d'urgence et assurerait un rôle de stratège et relais. Son collègue Gensouard le rabroua pour sa faiblesse, mais rien de ce qu'il pu dire n'était pire que ce que le jeune homme aux cheveux bleus avait déjà eu le temps de penser lui-même.
Pourquoi ne s’était-il pas cloné à nouveau ? Après réflexion, il en avait la réserve. Même une copie illusoire lui aurait acheté le temps nécessaire. Les brigands, plus forts et rapides que prévu n’en demeuraient pas moins des totaux profanes en matière d’art shinobi. Fuir avec Izul dans les bras, le temps de retirer la flèche, puis revenir finir le travail était également une option. La panique n’était pas une excuse. Sous les invectives du Masaka, Sarouh se refaisait le film de cette nuit fatidique. Si la peur de voir une coéquipière menacée le paralysait, il risquait de permettre à la situation de se produire. Le Chuunin fulminait de sa faiblesse. Certains traumas ne disparaissent pas si facilement.
Chihousou n’écouta pas les maigres justifications de Sarouh. Pourtant, il y avait des objets d’inquiétude. La force et la discrétion des ennemis étaient surprenantes et en grande irrégularité avec ce qui était attendu. Le chef d’équipe balaya ces remarques d’un revers de ses griffes, trop concentré sur les manquements de son subalterne. Livide, le convalescent demeura alors silencieux jusqu'à ce que son supérieur parte irrité par son mutisme têtu. Ils ne pourraient jamais se supporter.
Le blessé soupira bruyamment, avant d’inspecter précautionneusement sa chambre, les pensées à la dérive. L’épuisement le frappa soudain, alors que ses nerfs en feu le suppliaient de ne pas trop en faire. Le corps des shinobis étaient significativement plus robustes et guérissaient d’autant plus vite, mais sans ninjutsu médical, il serait hors-jeu un certain temps.
A la recherche d’Aura, Sarouh constata avoir été déshabillé, probablement par Izul. Un coup en plus pour son égo. Ses affaires avaient été nettoyées, pliées et rangées de manière militaire sur son bureau, avec la bourse contenant ses projectiles. Son katana, quant à lui, était accroché au mur, bien protégé de son fourreau gravé. Il éprouva un vif soulagement en touchant le précieux cadeau du bout des doigts. Rien n'avait été oublié. Pourtant, le soldat demeurait agité. Il comprit après plusieurs minutes ce qu’il manquait : la récompense de l'héritage avait disparu.
Dans son état, il l’avait presque oublié, mais avant d’arriver à Nikidami, l’escouade Gensouarde avait été chargée de retrouver et escorter une bien trop précieuse statue pour l’immondice que c’était. Ils avaient été généreusement récompensés. Pourtant, il n’y avait plus trace du moindre de ces ryos.
Il se mordit le pouce alors que son cerveau épuisé entrait en ébullition, immédiatement à la recherche de coupables potentiels. Chihousou était un connard, mais ne volerait pas l’un des siens, alité, en étant son supérieur. S’exposer à la cour martiale pour si peu n’avait pas de sens. Les habitants n'oseraient pas s'en prendre aux ninjas qui assuraient leur protection, le risque encouru dépassait largement le bénéfice. Il utilisa le gyo et se concentra sur son odorat, mais ne décela rien d’inhabituel, seulement l’odeur obsédante d’Izul.
Restaient Kazuo et les Chikarates. Le premier était insupportable, son insubordination n’étant disputée que par sa prétention. Et il lui avait mené la vie dure tout le voyage. C'était un bon suspect. D'un autre côté, les Chikarates n'avaient probablement pas aimé qu'il défie ainsi Tokri. Le sauvetage de leur partenaire n'avait peut-être pas compensé. Les deux jeunes hommes du Village du Sable n'y avaient même pas assisté, il était possible qu'ils ne ressentent aucune reconnaissance. De plus le contexte les protégeait. Ainsi blessé Sarouh devait paraître beaucoup moins impressionnant. Cependant, il voyait mal l'Utak le voler et clairement, Izul était à exclure. Le rouquin à l’écharpe d’ocre était donc le suspect principal du côté du Désert.
Il interrogerait donc Kazuo en premier, par praticité. Puis, il se porterait vers Gomaki pour savoir lequel des élèves était le coupable. Sans l'aider, il ne pourrait pas l'interdire de discuter avec eux. Nouveau soupir. Le Gensouard avait vraiment besoin de cet argent. Et clairement pas de l’effort de mener un interrogatoire pour récupérer ce qui lui revenait de droit. Il pesta, avant de réfléchir à ce qu'il pouvait faire pour occuper sa journée. Il n'était pas en état d'enquêter plus pour le moment, de toute façon.
Ce fut l'entraînement au en qui l'emporta. Ainsi, le Tsumyo médita une bonne partie de l'après-midi, poussant son apprentissage de l'art de la détection par le chakra. Seules la rigueur et une parfaite maîtrise de l'énergie spirituelle permettaient une utilisation de cette technique. Progresser dans ce domaine, c'était progresser dans tous les arts ninjas. Notamment le genjutsu, l’un des plus exigeants.
Épuisant pour la concentration, son petit exercice avait au moins l'avantage de ne demander aucun déplacement, ni de générer de fatigue en soi, tant que la bulle de perception n'était pas trop étendue. Puis, il se laissa de nouveau aller au sommeil. Il serait encore de garde toute la nuit et ses blessures lui coûtaient plus qu'il ne voulait l'admettre.
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Au crépuscule, il s'équipa délicatement. Ses plaies lui faisaient toujours mal, mais il était capable de se déplacer. Gomaki et Izul avaient fait du bon boulot. Il jeta un dernier regard à l'emplacement où sa bourse aurait dû se trouver en équipant Aura à son flanc et sortit en grommelant.
Dernier arrivé, il n'y avait que les membres de sa section sur place, l'équipe dirigée par Chihousou déjà partie à la porte Nord. Izul et Nika lui adressèrent un regard inquiet, mais ne dirent rien. Kazuo était trop occupé à bien se faire voir par les kunoichis pour se sentir concerné par le bien être de son supérieur. L’effronté ne perdait rien pour attendre. Sarouh resta silencieux, écoutant assidûment les directives de leur nouvelle cheffe. Il l'encouragea d'un sourire et d'un petit signe de tête.
Elle opta pour la même stratégie que son homologue Gensouard : formation serrée, patrouille d'un point à un autre. Il était assez peu probable qu'un assaut d'envergure ait de nouveau lieu. Sarouh devait être en retrait, n'ayant qu'un rôle d'observation et éventuellement de liaison avec la porte Nord.
La nuit fut assez calme dans leur périmètre. C’était au tour de l’équipe de Chihousou de se confronter aux bandits. Était-ce un aveu de faiblesse, ou une stratégie ? Alors que les deux filles commençaient à se demander si elles ne feraient pas mieux de remonter pour aider leurs camarades, Sarouh se sentit obligé de leur rappeler qu'ils ne devaient pas déserter leur poste, au risque d’exposer les civils de leur incertitude mal placée. De plus, Chihousou maîtrisait la situation. A peu près.
La cheffe du petit escadron ordonna donc de continuer ainsi, non sans inquiétude. Le calme de la nuit permit au Chuunin blessé d'arriver derrière un Kazuo patrouillant beaucoup trop sereinement à son goût. Tout dans le personnage l'exaspérait. Ses attitudes, sa voix, son comportement. Même sa coiffure. Il faisait honte aux Sabishii. Avec un sourire qui n'augurait rien de bon, il posa sa main sur l'épaule du blondinet , après avoir composé les mudras dont il avait besoin.
— Kazuo, mon ami, tu n'aurais pas, par hasard, eu la mauvaise idée de te servir dans ma chambre ?
Alors qu'il se raidissait de surprise en entendant les funestes paroles de son supérieur, sa vue se brouilla. Désormais dans une dimension qui ignorait les lois de la physique, d’un noir absolu, une odeur de souffre insoutenable le saisit, alors qu’il peinait à contrôler son corps dans cet espace sans haut ni bas. Autour de lui, des formes immondes rappelant des globes oculaires à l’iris rouges s'ouvrirent en déchirant le voile des ténèbres qui l'entourait. D’énormes sourires grotesques aux dents effilées apparurent, sans lèvres pour les entourer. La peur l’envahit, alors que la certitude glacée que sa fin était proche le possédait tout entier. Les formes allaient le dévorer. Il hurla. Pourtant, aucun son ne sortit de sa bouche.
— Non. Tu n'es autorisé qu'à répondre à mes questions, Kazuo.
La voix pleine de distorsions venait de partout autour de lui, si cela avait encore un sens, et se réverbérait à l'intérieur du crâne du Genin qui souffrait de chaque mot. Chaque fois que son nom était prononcé, la pression qu'il ressentait augmentait d'un cran, effroyable et douloureuse étreinte sur sa psychée.
— C'est pas moi ! J'y suis pour rien !
— Explique-moi alors, Kazuo, reprit l’horrible voix d’un ton doucereux. Comment mon argent a-t-il pu disparaître ? Les Chikarates ne sont pas au courant pour l'héritage et Chihousou ne ferait pas ça.
L’infâme sourire le plus proche s'ouvrit, découvrant un tunnel sans fond de dents et de pics hérissés qui allaient engloutir le Genin, promesse de souffrances terribles si sa réponse ne s'avérait pas à la hauteur. Il payait pour toutes les fois où il avait agacé le Tsumyo, qui s'était lâché sur son genjutsu. Sa victime n'était absolument pas capable de le briser. Paniquant, il vida son sac :
— Je t'en supplie ! Arrête ! Je me suis juste vanté auprès d'Izul de tout le blé qu'on avait récupéré grâce au transport de la statuette ! J'ai un peu exagéré l'histoire, mais c'est tout !
Evidemment. Sarouh aurait aimé être surpris, mais il n'en était rien. L'illusion se brisa aussi rapidement qu'elle s'était mise en place, laissant un Kazuo pantelant, transpirant et livide sur ses quatre fers, à deux doigts de vomir. Il contempla avec dédain sa victime, avant de reprendre son poste, comme si de rien n’était. Le Genin n’avait personne à qui se plaindre de toute manière. Son propre clan le fustigerait pour son comportement et il ne méritait aucune compassion.
Il lui faudrait donc une entrevue avec Gomaki. Il n'était pas sûr de savoir comment se positionner avec lui. Le ninja supérieur, malgré son air tranquille et sa détente apparente avait un regard qui semblait le transpercer. Si celui-ci défendait ses poulains, la reprise de l'argent serait problématique. Et sans preuves, impossible de déposer une plainte officielle dans une mission de coopération intervillage. Le voleur y avait sûrement pensé. Cela l’irrita d’autant plus. Il n'avait plus qu'à espérer que le Juunin aurait un sens de l'honneur. Un vœu bien naïf.
La fin de la nuit fut une longue et douloureuse attente. Les plaies du Chuunin ne le laissaient pas tranquille et le manque d'action pesait sur le moral des troupes qui s’inquiétait pour l’équipe Nord. Heureusement, Chihousou les rasséréna en leur indiquant avec la diplomatie qui le caractérisait qu'à part le manque de cohésion des deux Genins, il n'y avait rien de remarquable de leur côté, et que tout était sous contrôle. Il termina son exposé en indiquant que Tokri était un peu sonné après avoir tué, comme s’il était parti chercher du pain. Le géant blond ne donna aucun détail crispant un peu plus son collègue déjà sur les nerfs. L'aube pointant le bout de son nez, il annonça que la deuxième nuit de surveillance était enfin finie.
Sur le retour de l'auberge, Sarouh informa poliment en privé le Masaka des découvertes de la nuit. Chihousou déjà de bien méchante humeur à cause des événements récents convoqua immédiatement Kazuo. Il allait en remettre une couche. Voilà qui devrait lui apprendre définitivement à la boucler. Avant de se quitter, Izul changea les pansements et examina Sarouh une dernière fois, dans un silence où l’épuisement régnait.
— Tu as fait du bon boulot ce soir.
La kunoichi le remercia d’un timide sourire et quitta la pièce, troublée et en proie au tourment. Cette mission lui coûtait cher, et il était bien placé pour le comprendre. Cette nuit aux couleurs de rite de passage à l’âge adulte marquerait un tournant dans leur carrière comme dans leurs personnalités. Lui-même l’avait vécu bien plus jeune qu’eux et ne pouvait s’empêcher de ressentir de la compassion pour la médecin de fortune.
Après sa toilette, les pensées du Tsumyo se tournèrent vers le lendemain. L'entrevue avec Gomaki lui permettrait de montrer de la gratitude. En cela, il continuait à remplir sa mission. Épuisé, il s'endormit d'un sommeil à nouveau agité de cauchemars.
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