Épisode 17 - Éradication

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Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y

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Évitant soigneusement de croiser le Masaka, qui supervisait consciencieusement l'aménagement de la zone, l’Utak finissait de poser ses derniers pièges, concentré à ne pas céder à la rage qui l'envahissait depuis le briefing. Une fois sa part remplie, il s’isola d'un bond agile sur le toit depuis lequel ils allaient effectuer la surveillance de cette ultime soirée. Quelques minutes plus tard, Mutika le rejoignit en souriant.

— Chihousou a vérifié nos pièges et est parti patrouiller en solitaire, l’informa t-il en s’asseyant aux côtés de son ami.

— Tant mieux, répondit froidement Tokri.

Déconcerté, Mutika s'en retrouva muet durant quelques minutes, tandis que Tokri accueillit le silence en un soulagement. Hésitant quelques instants, le naturel revint bien vite, le rouquin étant déterminé à lier avec son partenaire avant l'arrivée de l’ennemi.

— Nika et Izul sont encore avec les Gensouards, soupira-t-il. Tu penses que ça se passera bien ?

— Si ce n'est pas le cas, ils auront affaire à moi, asséna sèchement Tokri, grinçant.

Cette fois, le silence se fit plus lourd, au point de mettre Tokri mal à l’aise à son tour. Qu’est ce qui n’allait pas chez lui ? Mutika faisait des efforts pour se rapprocher de lui et il ne trouvait rien de mieux que d’agir comme un parfait connard ? Son ami n'étant en rien responsable de sa colère, lui faire subir sa mauvaise humeur était parfaitement injuste.

— Désolé, s'excusa l'Utak en un soupir. Chihousou m'a mis en rogne.

— A propos de la vraie nature de notre mission ? devina sans mal son ami d’enfance.

Tokri opina du chef, mordant rageusement une lèvre, les poings serrés.

— Mettre en péril un village qui n'a rien demandé par soif de profit, ça me fout les nerfs à vif.

— Ça a toujours été le cas et nous avons été formés pour cela, lui rappela Mutika, tristement compatissant. Chihousou est un con, mais il n'est pas responsable des décisions des Villages. C'est la loi de notre monde : dominé ou être écrasé.

— Ça me fait gerber, cracha Tokri avec dégoût.

Un silence pesant retomba, mais ce fut cette fois Tokri qui se sentit obligé de couper court en précisant après un long soupir :

— Que Masaka applique les ordres sans broncher me met les nerfs à vif. Je sais que les Villages sont gouvernés par des pourritures, mais que ce crétin soit prêt à sacrifier des innocents sans que cela ne lui pose le moindre souci me donne envie...

— De lui mettre ton poing dans la figure ? compléta Mutika malicieusement.

— Ouais, confirma Tokri en un sourire, le premier depuis des heures.

L’adolescent aux cheveux de jais soupira avant d’observer le paysage, tentant de calmer la tempête d'émotions qui se déchaînait en lui.

— Voyons le positif, reprit-il, tentant de regagner un peu d’entrain. On a l'autorisation de faire ce qui est juste : éliminer ces enfoirés jusqu'au dernier.

Mutika pouffa de rire, heureux de retrouver le justicier qu'il avait toujours connu. L'ambiance s'étant détendue, l'Oroshi décida de poser la question qui le titillait depuis la formation de leur équipe :

— Comment va ta famille ?

— Fidèles à eux-mêmes, répondit Tokri en haussant les épaules. Okioto est en mission depuis que je suis Genin. Mon grand-père est démuni sans moi et a embauché une bonne pour les tâches ménagères. Quant à Ryul et Utika, ils se prennent la tête à longueur de journée. Le grand amour, en résumé.

— Content de l'entendre, ria Mutika, ravis d’avoir des nouvelles de cette famille qu’il affectionnait tant.

— Et toi ?

— Toujours pareil, répondit Mutika, un voile de tristesse voilant son regard.

Tokri se mordit une joue, se maudissant de sa maladresse. Depuis leur plus tendre enfance, Tokri avait toujours connu Mutika écrasé par la présence envahissante de sa mère. Cette dernière avait toujours vu d'un mauvais œil l'amitié entre son fils et Tokri, ce dernier étant bien trop rebelle et instable à son goût.

— Elle n'a pas apprécié que nous soyons dans la même équipe ? se risqua Tokri, retenant son ironie de teinter le ton de sa voix.

— Bingo, répondit à demi-mot Mutika.

Nouveau silence, qui eût cette fois un goût plus pesant que les précédents. Malgré sa promotion, la mère de son ami n’avait donc pas changé son opinion à son sujet. Et il craignait d’en deviner la réelle raison. Le poing serré, Tokri s’apprêtait à percer l'abcès lorsqu’une explosion retentissante les ramena à la réalité de leur mission. Les premiers hurlements leur parvinrent, le résultat ne devait pas être beau à voir.

Dans leurs oreillettes, la voix de Chihousou grésilla, tandis que les deux Genins se levèrent d'un même mouvement :

— Tout va bien ?

— Sous contrôle visiblement, répondit Tokri. Le plan a l'air de fonctionner.

— Allez vérifier, ordonna le Masana. J'envoie Gomaki à l'équipe Sud. En cas de soucis, appelez-moi. Chihousou, terminé.

La communication achevée, Tokri dirigea toute son attention sur les brigands. Les Genins inspirérent profondément, réunissant leur courage avant de partir constater leur œuvre.

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L'Utak eut un haut le cœur en arrivant sur le lieu du carnage, les narines noyés par l’odeur de mort. Le spectacle était rude au vu de leur jeune carrière, concrétisation de leurs pires angoisses. Des traces noires d'explosion fissuraient le sol, jonché de bouts de viandes à demi calcinés. De ci de là traînaient des membres arrachés à leurs propriétaires, dont Tokri aurait été bien en peine de reconnaître ce qu'avaient été certains lambeaux sanguinolents. Mais ce n'était pas ce spectacle qui frappa le plus d'horreur l'Utak.

Certaines victimes étaient encore en vie, gémissantes de douleur et de désespoir.

Dépité, Tokri se saisit d'un kunai qu’il aiguisa au Fuuton et s'approcha du geignard le plus proche, aux jambes arrachées. L’Utak se fit un devoir de le fixer droit dans les yeux lorsqu’il lui ficha le projectile en plein front. Le kunai s'enfonça sans bruit, figeant dans le néant les yeux suppliants de l'homme. Tokri sentit sa gorge se serrer, mais il réprima l'envie de détourner le regard, se surprenant à trouver l'acte plus simple que la nuit dernière. Se rapprochait-il de la froideur qu’il haïssait tant chez les shinobis ?

Tokri se tourna vers Mutika, qui s'était muni lui aussi d'un kunai. Tremblant, il avait remonté son écharpe jusqu'à son nez pour se protéger de l’odeur qui emplissait l'atmosphère, cocktail pestilentiel entre l’hémoglobine et la chair calcinée.

— Laisse-moi faire si tu ne te sens pas prêt, lui murmura avec compassion Tokri.

— Non, répondit fermement Mutika. Je dois remplir ma part du boulot.

L'Oroshi prit une grande inspiration et exécuta son premier homme d’un égorgement net et précis. Sentant l'impact de son acte frapper l'âme de son ami, Tokri fut fier de le voir se redresser. Le travail ne faisait que commencer, Mutika n’avait pas le temps de souffler. Il digérerait pleinement l’évènement une fois la mission terminée.

Méthodique, les Genins abattirent mourant après mourant. Ce fut un soulagement lorsqu'ils passèrent aux blessés plus propres, pris par les fils de fer et autres traquenards. Pour penser à autre chose et rendre plus automatique ses gestes, Mutika se remit à parler à travers son écharpe :

— Alors, comment ça se passe entre toi et Nika ? demanda-t-il d’une fausse légèreté.

— Pardon ? s'étonna Tokri en abattant dans le même temps un kunai d'un geste sec.

— Elle te lança de ces regards, ricana l'Oroshi avec malice.

Devant le silence de Tokri, Mutika ne put s'empêcher d'ajouter :

— Et tu n'as pas l'air insensible non plus ...

— Ferme là, lui intima sèchement Tokri.

A peine eut-il prononcé son ordre que le Genin entendit le bruit sec d'une corde claquée, lui laissant juste le temps de se jeter sur le côté pour sentir un trait filer non loin de son flanc.

Pestant contre les failles de leurs installations, Tokri regretta de ne pas avoir demandé quelques conseils supplémentaires en matière de piège à Nika et estima en une fraction de seconde le point de provenance de la flèche avant d’y envoyer à toute vitesse son projectile.

Il entendit un choc non loin de lui, suivi d’un juron de la part de Mutika. Tokri n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait que son ami le heurta avec fracas.

Par-dessus l'épaule de son compagnon, l'Utak apercut un homme tout en muscles fondre sur eux. D'instinct, il poussa son ami sur le côté et intercepta à deux mains les imposantes phalanges de son adversaire. Ce dernier abattit son second poing vers son visage, le forçant à dégager sa gauche pour le bloquer. Le colosse força, poussant Tokri à renforcer sa force physique par le Chakra, grognant sous l’effort. Jambes fléchis, le Genin eut le temps de détailler son adversaire dangereusement proche. Il était l'archétype d’un habitué du système carcéral, avec son crâne rasé, sa boucle d'oreille de mafieux et une profonde cicatrice balafrant sa joue. Plus important, des veines noirâtres étaient apparentes sur ses bras et au niveau des tempes, pulsant d’une intensité hypnotique.

Une colonne de terre s'éleva à côté du visage de Tokri, dans laquelle se ficha une flèche, lui faisant comprendre aussitôt que Mutika venait de lui sauver la vie. L'Oroshi ne s’arrêta pas là et envoya plusieurs kunai dans le buisson d’où provenait l’assaut. L'archer bondit de sa cachette, au moment où Tokri se libérait de son assaillant en prenant appui sur son torse, le repoussant de quelques pas. Mutika effectua quelques signes pour générer des étreintes de terre qui stoppèrent net la course de l’archer en s’emparant de ses chevilles.

Encore en l’air, le taijutsuka transperça le crâne du brigand entravé d’un kunai entre les deux yeux. Mutika relâcha sa prise, laissant leur cible heurter avec lourdeur le sol et les deux Genins se tournèrent vers leur dernier adversaire, qui n'en menait pas large.

— Avec plus de Boost S, je vous exploserais !

Tokri haussa un sourcil, surpris, tandis que le molosse les couvrit de jurons.

— Boost S ? s'étonna Mutika, formulant le questionnement muet de son partenaire.

Les yeux écarquillés, le rasé sembla se rendit compte de son erreur et fonça vers Mutika en hurlant, qui reproduisit les mudras qui provoquèrent l'enlisement des pieds de leur vis à vis. Tokri songea à l'épargner pour interrogatoire, mais se rappela les ordres des Villages : pas de survivant, hormis le chef. Et en vu de sa faible intelligence, ce n'était clairement pas lui.

L'Utak bondit vers l'homme en chargeant sa jambe de Chakra et lui brisa le cou en un sinistre craquement. Mutika le laissa choir au sol et, après une courte hésitation, préféra vérifier le pouls de l'homme afin d'éviter toute mauvaise surprise.

— Tu ne l'as pas loupé, constata t-il après s’être relevé. Nuque brisée.

— Bon débarras, cracha sèchement Tokri.

Leur radio se mit à grésiller. L'Utak prit conscience que Chihousou avait tenté de les joindre plusieurs fois durant le combat. Concentré sur l'action, son esprit avait totalement occulté les appels. Il enclencha le communicateur en appuyant sur son oreillette :

— Désolé, s'excusa t-il. Les pièges avaient des failles, on a dû s'occuper de quelques survivants.

— Rien à foutre ! aboya Chihousou, le souffle court. Besoin d'aide à la place du village !

Des bruits de combats se faisaient entendre à travers la radio, suivis du hurlement effrayé d’une des filles hurler. Chihousou voulut ajouter quelque chose, mais dut s’interrompre, remplacé par un souffle de vent.

— Le chef pose plus de soucis que prévu ! Magnez-vous de rappliquer !

L’aveugle aurait pu s’épargner ce dernier ordre, Tokri et Mutika étant en train de bondir de toit en toit. Une boule d’angoisse noua la gorge de l’Utak, tandis que son cœur battait la chamade. Etait-ce Nika qu'il venait d’entendre crier ?

— On est en route. Tokri, terminé.

Jusqu’à cet échange, jamais il n'avait perçu la moindre nuance d'inquiétude dans la voix du Masaka. Se rappelant que Gomaki était non loin, le Genin aux cheveux de jais se concentra sur la seule chose dont il était actuellement capable : les rejoindre aussi vite que possible. Malgré la gravité de la situation, il ne put s'empêcher de préciser entre deux bonds.

— Mutika ?

— Oui ?

— On est juste amis.

Mutika mit quelques secondes avant de comprendre de quoi son ami parlait. Lorsque le lien fut établi, il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. S'il devait mourir d'ici peu, il aurait au moins eu la satisfaction d'être l'une des rares personnes amusé par le taciturne Utak.


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