Épisode 22 - De maître à élève
Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y
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— Bien, des questions ?
Un silence s’installa, lourd du désarroi des Genins. Bouillonnant, Tokri reprenait ses esprits, son poing refusant de se décrisper jusqu'à blanchir sa paume. Pour ne pas céder à un nouvel excès de violence, l'Utak évita de croiser le regard du Tsumyo.
Pourtant, Tokri avait retenu la leçon le concernant. Ses émotions prenaient bien trop souvent le pas sur sa raison, alors que le mantra du Chuunin était de les mettre de côté afin d'accomplir son devoir envers son Village. Malgré tout, ce principe était contraire à ceux de l'Utak. Ses émotions, en particulier sa rage, avaient permis au petit garçon de survivre au meurtre de sa mère. Les mettre sous cloche reviendrait à le livrer à une forme de mort psychique.
Le Genin avait toutefois pris conscience tout au long de leur précédente mission de la nécessité d'apprendre à les contrôler. Ses tempêtes intérieures le guidaient dans sa quête de vengeance et de pouvoir, mais ne devaient en aucun cas mettre sa vie ou celles de ses alliés en danger. Et jamais plus il ne devrait sous-estimer un adversaire. L'esprit embrouillé, une conclusion s'imposait toutefois nettement en son esprit : il allait lui falloir apprendre à contrer l'art des illusions.
Dans son cas personnel, Tokri se rendit compte qu’il était bien plus furieux contre lui-même qu'envers Sarouh Tsumyo. Concernant le traitement subis à ses collègues, le schéma de pensée était tout autre. Le Chikarate ne cessait de les observer alternativement et constata bien vite que chacun semblait se fermer sur lui-même.
Honteux et désemparé, toute colère s’était dissipée du regard de Mutika. Le regard perdu dans le vague, il évitait de croiser celui de ses partenaires. Gomaki le rejoignit pour lui offrir un mouchoir. Penaud, il mit quelques instants avant de comprendre et finit par se nettoyer en se cachant tant bien que mal de ses amis.
A genoux, Nika se tenait les mains, levés au niveau de son visage empourpré pour camoufler ses yeux. Tokri n'avait pas besoin de les voir pour savoir qu’elle était en larmes. La jeune marionnettiste n'avait que peu confiance en elle et le Genin craignait que cet épisode ait détruit la faible assurance qu'elle avait réussi à se forger.
Izul tenait toujours sur ses jambes, bien que vacillante et fixant ses pieds, les joues presque autant empourpré que celles de Nika. Son regard était tout aussi humide et elle ne s'en cachait pas. S'en était-elle seulement rendu compte ? Comme sous le poids de l’humiliation qu’elle venait de subir, la kunoichi d’azur levait de temps à autre la tête, mais la rebaissait dès qu'elle croisait le regard de Sarouh ou de Tokri.
L'Utak pensait comprendre ce qu'elle avait subi. Et c'est ce point qui le mettait particulièrement en colère. Jouer sur les peurs et le sentiment de culpabilité était une chose, mais toucher à l'intimité le rendait fou de rage.
Gomaki Myô tapa dans ses mains, dans une volonté évidente de tous les sortir de leur torpeur.
— Bien. Je pense que nous pouvons nous arrêter pour aujourd'hui.
Le Juunin se tourna vers Sarouh et lui adressa un sourire reconnaissant tout en sortant une cigarette de son paquet.
— Tu y es allé bien plus fort que je me l'étais imaginé, déclara-t-il tout en allumant du pouce. J'imagine que tu as besoin de repos.
— Effectivement, répondit-il sans se départir de son sourire.
Déterminé à tenir sa nouvelle résolution, le jeune homme remarqua alors que l'expression du Chuunin était forcée. Était-il plus épuisé qu'il ne voulait le montrer ? Malgré cela, sa fureur contenue fit trembler l’Utak de rage, le forçant à détourner une fois de plus les yeux pour tenter d’apaiser le flot brûlant qui menaçait de jaillir.
Sarouh fit quelques pas en vue de quitter le terrain d'entraînement lorsque Gomaki l'interpella une dernière fois :
— Tsumyo ?
— Oui ? répondit le concerné, un peu surpris.
— Les règles de cette séance étaient exceptionnelles. N'en fais pas une habitude.
Le Juunin n'avait en aucun cas changé d'intonation. Aimable, le sous-entendu n'en demeurait pas moins clair. Sarouh ouvrit la bouche, avant de la refermer, clairement interloqué.
— Je comprends, se contenta-t-il finalement de répondre.
Le Chuunin reprit sa marche, d’un pas traînant. Gomaki attendit qu'il soit suffisamment éloigné avant de s'adresser à ses élèves sur un ton compatissant.
— Cet entraînement a été éprouvant pour vous tous. Vous avez quartier libre pour aujourd'hui. Rendez-vous demain à la même heure.
Le groupe de jeunes commença à se diriger vers la sortie du terrain d'entraînement lorsque le Juunin ajouta :
— Tokri ? Je souhaiterais te parler seul à seul.
Les Genins s'échangèrent des regards surpris. L'Utak espéra en son for intérieur qu'il ne s'agissait pas de mauvaises nouvelles concernant le brigand qu'il avait tué lors de la seconde nuit. Tandis que Gomaki écrasait sa cigarette et l'envoyait dans une poubelle par une légère brise levée d’un mouvement de main, les Genins convinrent d'un point de rendez-vous.
Alors que le groupe quittait le terrain, leurs murmures fatigués et quelques regards fuyants trahirent les chamboulements agitant les adolescents. Tokri hésita un instant, le regard fixé sur les empreintes laissées par leurs pas dans le sable du terrain, avant de rejoindre Gomaki sur le banc de pierre, qui venait de s’allumer une cigarette d'une flammèche du pouce. L'Utak savait cette pensée puérile, mais il ne pouvait s'empêcher d'admirer le charisme du Juunin lorsqu'il effectuait ce tour.
— Comment vas-tu ? lui demanda Gomaki, paternel, lorsqu'ils furent installés.
— Bien, répondit Tokri, quelque peu décontenancé. Je suppose.
S'attendant à subir une remontrance, le jeune homme était véritablement surpris par cette question emplie de bienveillance.
— Ces dernières semaines ont été éprouvantes, commenta Gomaki en laissant filer un trait de fumée. Je tenais à ce que tu saches que je suis fier de la direction que tu as pris dernièrement. Tu progresses, et pas que du point de vue martial.
Tokri ouvrit la bouche pour le remercier, mais aucun son n'en sortit, ce qui sembla amuser son mentor.
— Il y a tout de même quelques points sur lesquels tu vas devoir travailler, le prévint le Myô, son regard perçant le jaugeant. C'était l'objectif de la session d'aujourd'hui. Tu vois de quoi je parle ?
— Je dois contrôler mes sentiments, l'informa Tokri, les mâchoires serrées.
— Cette voie me semble saine, en convint Gomaki en un sourire presque imperceptible. Bien plus que celles suivies par bien trop de shinobis de ma connaissance.
Un bref instant, son regard se voila, comme assaillis par de douloureux souvenirs. Tokri respecta son silence et, bien qu’intrigué par la signification des propos de son sensei, demanda :
— Vous vouliez me voir uniquement pour cela ?
— Non, reprit le Juunin, retrouvant son quiétude habituelle. J'ai des informations à te transmettre, et quelques missions à te confier.
Le Myô jeta sa cigarette au sol, l'écrasa, et l'envoya une fois encore dans une poubelle d'une légère brise.
— J'ai reçu la conclusion du QG concernant l’homme que tu as tué, l’informa t-il avec sérieux. Chikara considère sa mort comme étant une résultante logique de la mission.
L'Utak ne put retenir un soupir de soulagement. Le contraire aurait été surprenant, le meurtre étant un acte naturel du shinobi. Cette épée de damoclès était toutefois une source de stress dont Tokri était ravi de se débarrasser.
Gomaki sembla hésiter, mais craqua finalement et sortit une nouvelle cigarette.
— Passons au réel motif de cette entrevue, dit-il tout en l'allumant. Pour améliorer la cohésion du groupe, j'ai jugé qu'il était bon de nommer un chef d'équipe. Pour me seconder, et également assurer le commandement lors de mes absences.
Il marqua un temps de pause pour tirer sur sa cigarette. Tokri attendit patiemment, approuvant silencieusement l’opinion du Myô. Izul devrait être tout à fait apte à maintenir l’ordre tout en structurant leur groupe.
— Je vous ai observé durant ces premières semaines, l'informa t-il tranquillement tout en expirant de la fumée. Ma conclusion est la suivante : tu es le plus apte à ce poste.
Surpris, l’Utak se retrouva sans souffle. Lui, un chef d'équipe ? Meilleur ami de Okioto, Tokri se doutait que Gomali était au courant de son objectif. De plus, le Genin avait prouvé plus d'une fois qu'il avait des difficultés à gérer sa colère et avait été en rejet de la carrière de ninja durant de longues années.
— J'ai longuement réfléchi avant de prendre cette décision, lui assura t-il, semblant saisir les questionnements saisissant son pupille. Tu es mentalement bien plus fort que tu ne te l'imagines.
— Izul ne serait pas meilleure à ce poste ? ne put s'empêcher de douter le jeune homme. Ou Nika ?
Le visage de Gomaki fut brièvement masqué par un nuage de fumée qui n'empêcha pas le Genin de percevoir un léger pincement de lèvres. Lorsque la fumée se dissipa, il fut surpris de découvrir un regard peiné chez son mentor.
— Tu ne connais pas tes partenaires aussi bien que tu le penses, affirma Gomaki avec douceur. Crois moi, leurs failles actuelles m'empêchent de leur confier ce rôle.
— Comme si je n'en avais pas, rétorqua le jeune homme, amer.
— Je sais sur quelle base tragique tu as construit ta vie. Et c'est ce qui fait la différence entre eux et toi.
Il reprit une bouffée, cherchant les mots justes et laissant le temps à Tokri d'intégrer ses premières affirmations.
— Je préfère que tu apprennes les détails en te liant à tes collègues, ajouta t-il tout en posant une main encourageante sur son épaule. Crois moi, ils ont besoin d’un guerrier tel que toi pour avancer.
Touché par sa confiance, la gorge de Tokri se serra d’émotion en lisant la sincèrité dans les yeux de son sensei.
— Tu as l’étoffe d’un leader précisément car tu es celui qui a appris à rester debout malgré les tourments qui t'étreignent au quotidien.
Le regard brillant, Tokri détourna les yeux. Jamais il n'avait reçu de tels compliments, pas même de la part de son frère.
— Merci, répondit Tokri d'une petite voix.
Sentant quelques larmes couler le long de ses joues, il se frotta vigoureusement le visage de sa manche. D'instinct, il imagina quelques excuses. La fumée de cigarette ? Du sable dans les yeux ? Avec bienveillance, Gomaki ne lui en tint pas rigueur.
— J'officialiserai ce statut demain, l’informa t-il solennellement, avant de lui demander. Es-tu prêt pour tes premières directives ?
Mutique par l'émotion mais déterminé à se montrer à la hauteur de la tâche, Tokri opina du chef.
— Tâche de requinquer l’équipe et apprends à mieux les connaître, le pria Gomaki, redevenant soudainement totalement professionnel. La compréhension de ses troupes est la compétence première d'un chef d’unité.
L'Utak se mordit la lèvre, le poids de la responsabilité pesant avec lourdeur sur ses épaules. Pendant des années, il avait bâti des murailles autour de lui. Désormais, il devait trouver une brèche dans celles des autres.
— Je vais faire au mieux, assura toutefois Tokri.
— Je n'en doute pas, répondit Gomaki en le gratifiant d'un encourageant sourire qui mit du baume au cœur de son élève. Ma seconde demande concerne notre ami Gensouard.
Nouvelle inspiration de cigarette, tandis que Tokri haussa un sourcil de surprise.
— Tsumyo ? précisa t-il instinctivement, presque à contrecœur.
— Etant donné le contexte de son séjour, Chikara et Gensou ont convenu qu'il serait bon pour les relations de nos Villages que nous continuions notre collaboration. Ce genre de collaboration renforce l’Alliance des Trois.
Tokri soupira d'exaspération, faisant soulever quelques mèches de son front. Il retint son sarcasme, conscient que son grand-père lui avait transmis son septième vis à vis de la fragile Armistice entre les Trois, signé il y a de cela une dizaine d'années.
Pour atteindre ses objectifs, il tentait de faire abstraction du dégoût que lui inspirait le fait de n'être qu'un pion sacrifiable de l'échiquier Yuukanien. Gomaki décida de passer outre la réaction de son élève. La journée avait été riche en émotions et en surprise pour le nerveux Genin, et il ne doutait pas qu’il aborderait avec lui et les autres l’importance du rôle politique et social du ninja. Qu'ils le veuillent ou non.
— Je te demanderai donc d'intégrer ce garçon à l'équipe.
— Formidable, grinça l'Utak qui parvint miraculeusement à retenir un juron.
Les deux rôles lui semblaient contradictoire. Remonter le moral de l'équipe tout en intégrant l'illusionniste responsable de la ruine de leur mental. Son rôle de chef commençait fort.
— Il est hors de la juridiction de son Village, reprit Gomaki, impassible dans ses explications. Jusqu'à nouvel ordre, il n'est en aucun cas votre responsable hiérarchique. Sarouh participera aux entraînements et vous conseillera sous ma direction. Son rôle est celui de consultant et d'agent de liaison. Tu me suis ?
— Ouais, répondit sèchement Tokri. Permission d'être totalement honnête ?
— Accordé, dit Gomaki en inspirant sur sa cigarette.
— Chikara me casse les couilles avec sa politique.
Gomaki éclata d'un rire franc et manqua de s'étouffer avec sa bouffée.
— Ce genre d'ordre ne sera pas le dernier, le prévint Gomaki avec compassion. Il te faudra t’y habituer.
— Je me doute, répondit Tokri d'un demi-sourire.
— Ne sois pas si braqué envers Sarouh, lui conseilla doucement le Juunin. Ce garçon a subi son lot d'épreuves, j’en suis persuadé.
— Je ne pense pas qu'il ait un mauvais fond, répondit Tokri, se remémorant leurs échanges à Nikidami. Mais après la séance d'aujourd'hui, je crains que l'estime de l'équipe soit au plus bas. En particulier pour Mutika. C’était également particulier pour Izul.
— Je le pense aussi, lui confirma Gomaki, une pointe de regret dans la voix. Fais de ton mieux et en tant que sensei, je tâcherai de te faciliter la tâche. Outre son expérience, Sarouh est une opportunité martiale pour vous.
— Il m'a déjà aidé à Nikidami, lui apprit Tokri. C'est grâce à lui que j'ai réussi à maîtriser la technique d'affûtage. Je pense qu'il pourra nous aider à parfaire nos manipulations du Chakra. Et tout le monde a dû comprendre la nécessité d'apprendre à se défendre du genjutsu.
— Tout le monde y trouvera son compte dans cette histoire, conclut Gomaki en effectuant son rituel avec son mégot. Lui y compris.
Le Juunin se leva, signifiant que la conversation touchait à son terme.
— Je te laisse rejoindre tes camarades, dit Gomaki tandis que Tokri se levait à son tour. Ressourcez-vous. De mon côté, je vais aller régler quelques formalités avec le QG et m'entretenir avec Sarouh.
— Bien.
Tous deux quittèrent le terrain d'entraînement et se séparèrent à l'opposé de l'autre. A peine eut-il fait quelques pas que l'Utak s'arrêta et se retourna pour interpeller Gomaki :
— Sensei ?
Gomaki se retourna à son tour, surpris.
— Oui ?
— Merci. Pour votre confiance et...
Il hésita, puis décida d'achever sa phrase :
— ... Pour tout le reste.
Gomaki s'alluma une cigarette, une expression amusée aux lèvres.
— Vous méritez qu'on se donne pour vous, affirma t-il avec conviction.
Le Myô lui tourna le dos et reprit sa route, le laissant face à ses pensées. D’un pas vif et déterminé, Tokri marcha vers leur point de rassemblement, trois amis attendant de retrouver le sourire.
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Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU
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