Épisode 23 - Jardin secret

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Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y

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 Rasséréné par les paroles de son mentor, Tokri était en route pour la zone commerciale de Chikara. En pleine réflexion sur la façon dont il allait aborder ses amis, le jeune homme se mordait la lèvre à chaque hésitation, effleurant de la main la surface douce et chaude des bâtiments de sable et de roche, comme dans un espoir que son Village lui offre le plan parfait pour requinquer les apprentis ninjas.

 Lorsqu’il les rejoignit, Tokri comprit en un coup d'œil que la tâche allait être ardue. Mines renfrognés, chacun esquivait le regard des autres. Ils ne virent qu'au dernier moment l'arrivée de l'Utak, mains dans les poches. Mutika fut le premier à lever des yeux lourds de fatigue vers lui :

— Alors ? Que te voulait Gomaki ? lui demanda-t-il d’une voix quelque peu éteinte.

— M'informer que je n'aurai pas de sanction vis à vis de la seconde nuit, lâcha tranquillement Tokri, un sourire en coin.

 Le Genin fut ravi de l'effet produit par sa petite phrase. Les visages abattus s’éclairérent, en particulier celui de la Hynomori qui rayonna.

— Pourquoi ne voulait-il pas annoncer la nouvelle devant nous ? s'étonna la perspicace kunoichi d’azur.

 Tokri passa devant eux et leur fit de le suivre tout en répondant :

— Il avait des informations à me transmettre. Je vais vous expliquer, mais pas ici.

 Étonnée, la fine équipe suivit presque instinctivement. Ils passèrent devant plusieurs boutiques, sans trop comprendre où Tokri les emmenait. Après quelques minutes de marche, l’Utak s'arrêta devant un magasin d'alimentation.

— Attendez-moi là, dit-il à l'attention de ses équipiers.

 Sans laisser le temps à quiconque de réagir, il entra dans l'établissement, les laissant s'échanger des regards interloqués.

— Vous comprenez où il veut en venir ? demanda Nika, dubitative.

— Absolument pas, répondit Izul en se tournant vers Mutika. Une idée ?

—J'ai beau le connaître depuis longtemps, j’ai souvent du mal à le cerner, bredouilla le rouquin en se grattant la joue avec gêne.

 Au bout de quelques minutes, Tokri sortit finalement du magasin, un pack d'eau dans une main et un de bières dans l’autre.

— Je me suis dit qu'on avait besoin de décompresser, décréta t-il, presque candide.

 Il commença à reprendre la route, avant de constater que ses collègues ne le suivaient pas. Il s'arrêta et fit volte-face, étonné.

— Ne le prends pas mal, lui dit Izul d'une petite voix. Mais... Tu peux nous expliquer ce qui se passe ?

— Tu te comportes étrangement, ajouta timidement Nika.

— Ah, lâcha Tokri qui commençait à prendre conscience de la raison du malaise.

 Depuis la formation de l’équipe, Tokri avait toujours gardé ses distances. Réticent à l’idée de s’attacher depuis la mort de sa mère, il s’était enfermé par réflexe dans sa carapace d’isolement, une défense instinctive contre les blessures potentielles qu’il ne voulait plus subir. Si la mission avait fini par raviver son lien avec Mutika, sa peur de souffrir l’avait tenu à l’écart d’un véritable rapprochement avec la Team Gomaki.

 Son attachement à ses camarades s’était tissé imperceptiblement, lui demandant du temps avant de se l’admettre. Les filles n’en avaient même pas eu conscience, jusqu’à ce qu’un monstre le force à envisager le sacrifice de sa propre vie.

 Ses barrières tombées, sa sollicitude soudaine les déstabilisait à juste titre. Tokri, lui, peinait à comprendre que les liens humains obéissaient à des règles bien plus complexes qu’un affrontement.

— Tu ne peux pas nous transmettre tes infos maintenant ? insista Izul en croisant les bras.

— Je pourrais, répondit Tokri en haussant les épaules. Mais tant qu'à faire, autant se mettre à l'aise.

 La kunoichi d’azur voulut répondre, mais elle fut interrompue par Mutika qui lui passa devant pour rejoindre son ami. Le rouquin tendit une main vers l'un des packs de son ami, qui mit quelques instants avant de comprendre son intention.

— Tu as une idée derrière la tête, c'est ça ? lui demanda-t-il en se saisissant des bières.

— Je connais un coin sympa, confirma le taijutsuka en un petit sourire.

 Mutika le jaugea d’un faux air analytique, avant de se tourner vers les filles.

— Promis, il n'est pas sous emprise d'un genjutsu ! plaisanta-t-il, goguenard.

 Cette boutade fit son petit effet et détendit le groupe, qui rirent de bon coeur tout en suivant avec curiosité Tokri à travers les ruelles, jusqu'à atteindre l’un des promontoires rocheux de Chikara. Les Genins le longèrent jusqu'à déboucher sur un escalier.

— Il y a un peu de montée, mais ça vaut le coup, leur assura Tokri, sûr de lui.

 Tokri entama l’ascension d’un pas assuré, ses semelles raclant parfois la surface irrégulière des marches creusées dans la roche. Derrière lui, ses camarades grognaient légèrement, heurtant leurs pieds contre les pierres traîtresses malgré les mises en garde du Genin aux cheveux de jais.

 L'accès était vieillissant et peu entretenu par le Village, à un point qui avait amené l'Utak à se demander si le QG en avait souvenir, n’y ayant jamais rencontré quiconque en dehors de Toshirô.

 Une fois au sommet, Tokri continua à les guider. Tous gardaient le silence, observant les environs avec curiosité en se demandant où le jeune homme souhaitait les emmener. Ils finirent par atteindre le bout de la plate-forme rocheuse, ouvrant sur un incroyable panorama de la cité. Le Village était construit en un demi-arc de cercle avec le QG comme point central. De ce bâtiment, noyau de l’activité Chikarate, partaient de grandes artères menant aux secteurs stratégiques de la cité-ninja, tels que l'hôpital ou la zone commerciale.

 Face à eux, le second promontoire se dressait, presque solitaire dans l’océan de sable ondulant sous la brise, au-delà des enceintes de Chikara. Les ombres dessinées par le soleil jouaient sur la roche en des motifs mouvants.

— Bienvenue chez moi, annonça Tokri en s'asseyant.

  Sortant deux bouteilles d'eau, le Genin aux cheveux de jais en but une gorgée, tandis que ses amis s'asseyaient à ses côtés en se disposant de sorte à se voir les uns les autres. Mutika ouvrit son chargement et tendit une bière à Tokri, qui la décapsula d'un mouvement du pouce. Assise près de lui, Nika prit la seconde bouteille d'eau, alors que l'Utak eut la surprise de voir Izul tendre la main vers Mutika pour une boisson alcoolisée.

— C'est magnifique, commenta rêveusement Nika en admirant la vue.

— J'adore venir ici, répondit Tokri en un demi-sourire. Loin de tout, mais proche du Village. C'est tranquille pour s'entraîner, et relaxant pour les pauses.

— Tu viens souvent ? s'étonna Izul en décapsulant sa boisson à l'aide d'un shuriken.

— Tous les soirs. Parfois le matin.

 Izul but une gorgée, pensive. La jeune fille s'était faite la réflexion que Tokri était celui qui avait progressé le plus rapidement parmi eux. Elle comprenait mieux le comment, bien que la raison de son zèle lui échappait. A l'Académie, il n'avait jamais montré un quelconque attachement au métier de ninja et il avait longtemps été un cancre parmi tant d'autres de son point de vue. Depuis la formation de l'équipe Gomaki, elle redécouvrait le jeune homme et elle devait admettre qu'il la surprenait de jour en jour.

— On t'écoute, lui rappela Mutika, n'oubliant pas que son ami avait des informations à leur transmettre.

 Avec appréhension, Tokri termina sa gorgée avant de répondre, tout en prenant la décision qu'il valait mieux ne pas y aller par quatre chemins.

— Gomaki a décidé de me nommer chef d'équipe, leur annonça-t-il, direct.

 Un silence de surprise suivit cette déclaration, chacun tentant de déterminer ce que cela signifiait pour les jours à venir.

— Personnellement, j'aurai pensé à Izul pour ce rôle, reprit Tokri d’une voix trahissant ses doutes. Elle nous a prouvé en être capable.

— Pardon ? s'étonna la concernée.

— Tes plans étaient parfaits, lui assura sincèrement son nouveau chef. Sans eux, nous ne nous en serions pas aussi bien sortis.

 Pour une fois, ce ne fut pas Nika qui se mit à rougir. Surprise par ce compliment qui ne souffrait d'aucune remise en question, les joues de la jeune femme s'empourprérent. Elle baissa les yeux vers sa bière lorsqu'elle répondit :

— L'esprit stratégique ne fait pas tout pour un chargé d'unité.

— Un bon leader doit être capable d’inspirer ses troupes, continua Mutika, d’un ton professionnel qui lui était inhabituel.

 A ses mots, Tokri se mordit une lèvre. Il ne se reconnaissait pas du tout dans cette description et craignait de plus en plus que ses partenaires ne l'acceptent pas dans le rôle qui lui avait été attribué.

— Honnêtement, je pense que Tokri est le meilleur choix, murmura Nika, un sourire timide aux lèvres.

— Pourquoi cela ? lui demanda l’intéressé, les sourcils froncés.

 Le demoiselle aux mèches pourpres et violettes se mordit une lèvre, hésitante, puis décida de livrer sa pensée sans détour, en un débit quelque peu saccadé.

— Tu es toujours le premier à te relever, peu importe la difficulté, expliqua-t-elle, son adorable rougeur sur ses joues poupon. Ça motive, même quand on doute.

— Je ne le fais que pour moi, tenta de se justifier maladroitement Tokri.

— Ça ne change rien au fait que ce soit inspirant, répliqua Mutika avant de boire une gorgée. T'as la force de caractère qui va avec le rôle.

 Izul releva la tête, s’étant contenté de jouer avec le goulot de sa bouteille depuis le compliment de Tokri, qu’elle sentait bien peu à l'aise avec le choix de leur sensei. La jeune femme comprenait la pression pesant sur ses épaules, mais ce qu'ils avaient vécu à Nikidami la poussait à l'encourager à assumer le statut qui lui avait été confié.

— Tu étais prêt à sacrifier ta vie pour nous protéger, lui rappela Izul. Quelqu'un capable de se résigner à cette extrémité me donne sincèrement envie de me fier à lui.

 Gêné par ces compliments, Tokri s'enfuit derrière sa bouteille en buvant une longue rasade, tentant de cacher maladroitement la rougeur qui lui montait aux joues. Ses camarades continuaient à échanger, mais leurs voix semblérent momentanément lointaines. Peu habitué à recevoir la confiance de ses pairs, les voir accueillir la nouvelle avec foi le rassurait et lui donnait envie de se montrer à la hauteur.

— Mais c'est qu'il rougit le mignon, le taquina Mutika.

— Tagueule, rétorqua Tokri, un demi-sourire au coin des lèvres.

— Ok chef, ne put s'empêcher d’ironiser l'Oroshi.

 Un fou rire général secoua la bande d'adolescents. Remués par les récents événements, tous prirent conscience qu'ils en avaient grandement besoin. Tokri prit le temps de reprendre son souffle et que chacun retrouve un semblant de sérieux avant d'attaquer le sujet qu'il savait d'avance être plus difficile à digérer que son nouveau statut.

— J'ai une dernière chose à vous dire, reprit-il d’un ton plus ferme et grave. Nous allons devoir prolonger notre collaboration avec le Tsumyo.

— Pardon ? manqua de s'étouffer Mutika dans une exclamation mi-furieuse mi-surprise.

 A la surprise de l'Utak, Izul et Nika affichèrent un large sourire enchanté, la demoiselle d’azue semblant particulièrement réceptive à cette annonce. Compte tenu de ce qu'elle avait subi lors de l'entraînement au genjutsu, Tokri en fut décontenancé, s'étant attendu à une réaction semblable à celle de Mutika.

— C'est une blague ? s'emporta le rouquin avec colère. Ce mec nous prend de haut, nous martèle la gueule avec son genjutsu de merde et on devrait continuer à supporter sa présence ?

— On a déconné avec les illusions, rétorqua sévèrement Tokri. En particulier toi et moi.

— Je m'en fous ! C'est une raclure ce type ! enragea le rouquin d'un geste de main évocateur. C'est pas vous qui vous êtes mangé le plus gros morceau !

— C’était mérité, la coupa sèchement Izul.

 Mutika en resta muet de stupéfaction quelques instants, avant de formuler la pensée de l'Utak de manière plus abrupt qu'il ne l'aurait fait :

— Ce mec t'a pratiquement violée psychiquement et tu le défends ? asséna froidement l’Oroshi.

 La mâchoire d'Izul se crispa, et, pour la première fois depuis qu’il la connaissait, Tokri vit ses yeux s'embraser. Il ne put s’empêcher de se demander si c'était à cela qu'il ressemblait lorsqu'il se mettait en colère.

— Tu n'as donc strictement rien compris à la leçon, conclua Izul, tranchante.

 Durant un temps de silence bien trop long, le rouquin et la belle azurée se fixèrent en chien de faïence. Remarquant ses poings serrés, l’Utak se demandait si elle se retenait de le frapper et hésita à intervenir pour finalement décider que tous deux avaient besoin de livrer leurs ressentis de cette rude expérience.

— Développe, l'invita Mutika, presque en un grognement.

— Il s'est servi de ce qui existait en nous, expliqua Izul d’une voix tremblante, détournant soudainement les yeux tout en rougissant. Sarouh les a juste fait ressurgir en les accentuant. Si tu as un souci avec les éléments qu’il a manipulé, travaille sur toi-même.

 Ayant saisi la mécanique pour son cas personnel, Tokri s'était demandé si Sarouh avait procédé de la même façon pour chacun d'entre eux. Ses doutes s'étaient particulièrement portés sur Izul, mais les explications de cette dernière lui prouvaient que tel était le cas.

— Tu as donc envie de te le taper, lâcha Mutika d'un ton dont Tokri crut percevoir une pointe de jalousie.

— Ça te regarde ? rétorqua Izul, piquée au vif.

— Ça suffit, les coupa brutalement Tokri.

 Ces mots étaient tombés comme un couperet. Ce n'était pas une demande, mais un ordre qui ne souffrait d'aucune remise en question. Mutika, sur le point de répliquer, l'avait bien compris et ferma la bouche.

— Le débat est clos, conclut l'Utak. Je comprends vos points de vue à tous deux, mais je vous interdis de vous manquer de respect.

— Tu partages son avis ? l'interrogea Mutika, acide.

— Je me retrouve pleinement dans les explications d'Izul, confirma stoïquement Tokri, nullement intimidé. La rage que j'ai ressentis est en permanence en moi, je la contiens au quotidien. Tsumyo a juste eu besoin de la réveiller pour me piéger.

 Mutika ricana nerveusement et termina en une fois sa bouteille.

— Super, ronchonna t-il en la lançant devant lui. Tu es de son côté toi aussi.

— Fourre-toi dans le crâne qu'il n'y a pas de camp, gronda fermement Tokri. Nika, que penses-tu de la séance d'aujourd'hui ?

 L’Hynomori sursauta en entendant son prénom. Silencieuse tout au long du houleux débat, Tokri était curieux de prendre connaissance de son analyse qu’il savait d’avance pertinent. Lorsqu'elle répondit, ce fut avec un calme ponctué de crainte.

— C'était à la fois violent et nécessaire, dit-elle d’une petite voix. Nous n'avions pas conscience de la dangerosité de cet art. Imaginez si un genjutsuka nous avait attaqué ainsi en pleine mission ? Nous serions tous morts.

 L'Oroshi baissa les yeux et se mordit l'intérieur d'une joue. Il savait que ses amis avaient raison, mais l'admettre lui coûtait. Tokri ne doutait pas que son ami comprenait la leçon à en tirer : chacun devait travailler sur ses propres failles.

— Quoiqu'il en soit, Tsumyo va rester au sein de l'équipe. Que cela nous plaise ou non, Chikara l'impose pour renforcer les liens entre nos Villages.

 L’Utak soupira et fit voler la capsule d'une seconde bière d’un mouvement sec du pouce.

— Je ne vais pas vous faire un cours de politique, c’est suffisamment emmerdant comme ça.

 Cette dernière remarque arracha un sourire au rouquin. Il connaissait suffisamment Tokri pour savoir qu'il retenait son avis concernant l'échiquier politique et leurs rôles de pions.

— Officiellement, il est un agent de liaison entre Gensou et Chikara, continua le chef d’équipe sur le ton de la conclusion. Officieusement, Gomaki m'a fait remarquer que Tsumyo a autant à gagner que nous dans cette affaire.

 Avoir autant parlé lui avait donné soif et il savoura les gorgées qui suivirent. Il avait jugé préférable qu’éviter de mentionner qu'il connaissait personnellement les compétences pédagogiques du Gensouard leur éviterait un nouveau conflit.

 Le jeune homme se demandait si l’affaire du boost S avait un lien avec la décision de faire perdurer le partenariat entre la Team Gomaki et Sarouh. Les QG leur avaient-ils confié l’enquête ? Suffisamment préoccupés, l’Utak préféraient ne pas parasiter les pensées de l’équipe de ses soupçons.

— Pour finir, je note tes reproches envers lui Mutika, le rassura Tokri, plus doux. J'en parlerai à Gomaki et nous verrons. T'as merdé en volant la bourse de Tsumyo, mais il n'avait pas à te faire subir un genjutsu aussi violent.

 Mutika s'ouvrit également une bière, et la but en silence. Le reste de l'après-midi se déroula dans une relative détente, les adolescents profitant du paysage et des bouteilles pour se détendre tout en se rafraîchissant. Mutika fut à cran un temps, mais relâcha peu à peu la pression, bien qu’il fut tout de même le premier à rentrer chez lui. Tokri n'aurait su dire s'il obéissait à un couvre-feu imposé par sa mère ou s'il était encore trop en colère vis-à-vis de l’intégration de Sarouh. Les deux à la fois peut-être ?

 Nika et Tokri accompagnèrent Izul jusqu'à chez elle. L'ambiance resta conviviale une partie du chemin, mais l'Utak remarqua que plus ils approchèrent de leur destination et moins la kunoichi d’azur prenait la parole. Arrivé au bout de sa rue, Izul les remercia précipitamment de l'avoir accompagné et leur souhaita une bonne soirée sans leur laisser la possibilité de l'accompagner jusqu'au pas de sa porte.

— Etrange, marmonna Tokri en la voyant s'éloigner jusque chez elle.

— Quoi donc ? s'étonna Nika.

 L'Utak se frotta les yeux de son pouce et de l'index.

— Oublie. Je me fais sûrement des idées, soupira le jeune homme. La journée a été épuisante.

— C'est vrai, admit Nika. Tokri, je peux te demander quelque chose ?

— Je comptais te raccompagner, crut la rassurer l’adolescent.

 Prise de court, la Hynomori fit glisser sa frange devant ses yeux.

 Ils reprirent leur marche dans un relatif silence, malgré les tentatives de l'Utak de rallumer la conversation. N’obtenant que peu de réponses de son amie, il mit cela sur le compte de la réserve naturelle de l'Hynomori, certainement alimenté par la fatigue. Tokri ne put toutefois s'empêcher de la trouver particulièrement pensive. Quelque chose la travaillait ?

 Ils finirent face à l'entrée du domaine du clan Hynomori. Deux immenses piloris en bois en encadraient l’accès, leurs sommets reliés par un écriteau sur lequel étaient gravées diverses représentations de marionnettes. Tokri songea qu’il devait s’agir des pantins ayant marqué l’Histoire du clan.

— Bon eh bien, à demain Nika.

 Il venait de lui tourner le dos lorsque la marionnettiste lui saisit le poignet.

— Attends Tokri ! Je voulais te demander quelque chose d'important.

 Surpris, Tokri se tourna vers elle et l'interrogea du regard.

— Oui ? l'invita t-il gentiment.

 Elle hésita une fraction de seconde en se mordillant la lèvre, avant de finalement se lancer :

— Je vais réparer Kokuro, lui annonça-t-elle fébrilement en se triturant les doigts. J'ai quelques idées pour l'améliorer et le renforcer, pour qu'il ne soit plus détruit aussi facilement.

— Fais attention à ne pas le ralentir, lui conseilla Tokri. Sa vitesse est l'un de ses meilleurs atouts.

— Ce sera inévitable, mais j'ai quelques idées pour limiter cette perte de vivacité, commença à lui détailler la marionnettiste. Il va me falloir le traiter avec des pièces de métal spéciales. Et pour y parvenir, j’ai besoin de l'aide de quelqu'un de physiquement fort.

 Etait-ce cela la raison pour laquelle elle s'était perdue dans ses pensées ?

— La mienne ?

— Si cela ne te dérange pas bien sûr, dit-elle en relevant l'une de ses mèches violettes de son front, alors que le rouge commençait à monter à ses joues.

— Bien sûr que non. Mais ton père ne peut pas t'aider ? Ou ton mentor de clan ?

— Il est de tradition chez les Hynomori de construire et de réparer soi-même ses marionnettes, lui expliqua Nika, sa voix apaisée trahissant son soudain soulagement. Un Hynomori peut en conseiller un autre, mais toute aide en pratique est interdite.

 L'Utak leva un sourcil de surprise, ne saisissant pas la logique de son amie.

— Et que moi je t'aide, ça ne va pas les déranger ?

— Le clan considère les alliés en dehors du clan comme une ressource du marionnettiste, précisa Nika.

— Si je te suis bien, ils me verront comme un outil ? s’étonna l’Utak.

 Gênée, Nika vira au rouge pivoine et baissa les yeux une fraction de seconde. Lorsqu'elle osa replonger son regard dans le sien, elle sembla s'excuser en lui adressant une adorable moue.

— C'est ça.

— Tu commences quand ? lui demanda Tokri, acceptant tacitement d'apporter son aide.

— Demain matin ! Tu peux venir quatre heures avant notre session avec Gomaki. Merci Tokri !

 Elle s'inclina en guise d'au revoir. Cela gênait toujours autant l'Utak, peu réceptif aux codes de politesse traditionnel. Le jeune homme lui adressa un bref signe de la main, et reprit la route vers la zone commerciale. Le Genin comptait s'acheter de quoi dîner rapidement avant de se rendre à son entraînement nocturne à la plate-forme rocheuse. Son corps accusait encore le contre-coup subis par le genjutsu, mais s’être si peu entraîné depuis leur retour de mission lui était insupportable.

 Il ignorait s'il s'était montré à la hauteur des attentes de son sensei pour ses débuts comme chef d'équipe. Ce dont il était sûr était que chaque membre de leur formation allait lui demander des efforts d'humanité dont il doutait encore posséder.

 Les échanges s'annonçaient houleux entre Sarouh et Mutika et le comportement étrange d'Izul titillait son instinct. Mieux valait également prendre garde à ce que la réserve de Nika ne l'empêche pas de progresser. Quant au Tsumyo, il représentait une variable inconnue à l’équation. Tokri soupira, tout cela l’exaspérait déjà.

 Alors pourquoi ne pouvait-il pas s'empêcher de sourire ?

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