Épisode 24 - Otage

10 minutes de lecture

Opening : https://www.youtube.com/watch?v=DDjPc51fR8Y

****

 Sarouh traversa la dune, jeta un dernier regard furtif par-dessus son épaule, puis, dès qu'il fut certain d’être hors de vue des Chikarates, s'affaissa dans le sable chaud. Sa crinière cobalte se mêla à l'ocre tandis qu'il reprenait difficilement son souffle.

 S’était-il vraiment cru capable de les manipuler ainsi, avant de coller une dérouillée mentale pareille à Mutika sans en payer les frais ? Quelle blague. Au moins avait-il réussi à dissimuler sa faiblesse.

 Il remercia mentalement Asori et Irumi de leurs enseignements. Mais affalé ainsi, il se sentait faible. Misérable. Pourquoi se donner en spectacle de la sorte ? N’était-ce que de l’ego ? Tenait-il déjà tant à eux ?

Les émotions sont l'ennemi du shinobi. Aussi dure qu'avait été cette leçon, il croyait en son bien-fondé. Quelles auraient été les chances de l’équipe Myo si elle l’avait croisé en situation réelle ? Il aurait pu les assassiner les uns après les autres. Il s’imaginait sans mal, Aura au travers la gorge de Nika, arborant un sinistre sourire destiné à enrager le reste du groupe. Le scénario se déployait dans son esprit avec une logique froide et implacable. Un frisson le parcourut alors qu'il chassait cette pensée. Cela ne pourrait plus se produire. Il y avait personnellement veillé.

 Ses pensées s’égarèrent sur le solaire sourire d’Izul. Elle n’avait cessé de l’éblouir et il s’était laissé séduire par le mirage un instant. Qu’avait-il bien pu espérer ? Sa petite démonstration leur avait bien montré qu’il n’était pas l’un des leurs. Le Tsumyo demeurerait un Gensouard et un ennemi potentiel. Qu’importe si ses intentions étaient louables. A cette pensée, Sarouh posa sa main sur sa gorge, grimaçant.

 Dans ce monde absurde, ils pourraient s’affronter dans un futur très proche. Sarouh mourrait alors des conséquences de ses propres conseils. Quelle connerie. Mais serait-ce si mal ? N’était-ce pas le but ? Il se frotta les yeux d’une main en soufflant, chassant l’épuisement et l’amertume qui l’envahissaient. L’illusionniste se morigéna.

 À la seconde où il avait foulé le sol Chikarate, le devoir d’exemplarité des ambassadeurs lui incombait S'il ne voulait effectivement jamais avoir à subir ses visions d'horreur, il devait s’activer. Péniblement, il se redressa. Plein de sable, et bien décidé à finir ses tâches du jour, il apprécia fugacement les vêtements prêtés par Izul. Très légers, ils remplissaient efficacement leur office. Il faudrait au moins lui rendre ça. Sa mâchoire se crispa à cette idée. Dans le pire des cas, Sarouh se servirait du QG comme intermédiaire. C'était justement sa destination, qui n’avait pour seul mérite de lui éviter l’hôpital.

 Le Gensouard erra au gré des familiers bâtiments de sable, se promenant dans les larges artères qui composaient le Village du désert, priant son énergie de revenir. Les souvenirs du Tournoi lui revinrent sans crier gare. La dernière fois qu’il était passé par ici, Sarouh courait vers l’hôpital s’enquérir de l’état de sa coéquipière métamorphosée. Que serait-il devenu si Cacaunoy était restée elle-même ce jour-là ?

 Décidé à faire abstraction de ces vaines questions, il s’offrit une glace, espérant que le sucre l’aiderait à se remettre de sa faiblesse. Les blessures s’étaient enchaînées plus vite que les soins et il n’était plus que l’ombre de lui-même depuis l’opération. Quand avait-il pu se reposer pour la dernière fois ? Y être contraint était peut-être une bénédiction.

 Le soleil ardent lui brûla la nuque, le forçant à raser les murs. Il allait à nouveau devoir s’adapter à ce terrible climat. L’air sec embrasait ses poumons, le sable insidieux le grattait, la chaleur étouffante rendait ses pensées confuses. La fièvre revint, vicieuse comme un serpent pour le prendre à la gorge. Le désert se méritait et n’avait aucune pitié pour les faibles, principe qu’illustraient fièrement les Chikarates. Il se concentra sur la fraîcheur de sa glace et sur son devoir. Les émotions attendraient leur tour, s'il venait un jour.

 Ninja confirmé d’une autre faction, en dehors de sa juridiction, Sarouh ne disposait que d’une liberté très relative dans l’enceinte de ce Village. Il lui était difficile d’estimer combien de temps il serait coincé ici. Sa force spirituelle était amoindrie et il était hors de question de partir par ses propres moyens. Sa vie n’était plus en danger, mais tous les talents de Chikara n’avaient pu empêcher son corps de se déliter. Même les shinobis avaient leurs limites.

 Et la Cascade n’allait pas s’empresser de le rapatrier, surtout avec ses derniers écarts. Sarouh repensa aux conseils de ses parents, avec amertume. La montée en grade n’était-elle pas supposée lui permettre une meilleure intégration ? La vive morsure de l’ironie ne l’amusait pas.

 Ayant établi tout ce qui lui était inaccessible, le Chuunin énuméra ses nouvelles priorités. Travailler en tant que diplomate, dévorer tout ce que contenait la bibliothèque Chikarate, et s’efforcer de guérir. Le spectre de la mission de Nikidami projetait une ombre menaçante sur son avenir. Difficile de savoir à l’avance ce que les différentes hiérarchies décideraient sans connaître les coupables. Se préparer à plier bagages en vitesse, après avoir recueilli le plus d’informations possibles sur la position du Désert était la seule stratégie viable. Anticiper leurs raisonnements était capital.

 A leur place, il s’assignerait à une équipe pour pouvoir à la fois profiter de ses compétences et le tenir à l'œil. Tenter de lui soutirer des informations. Maintenir le lien avec Gensou, leur demander du soutien. Puis, contacter Mahou, montrer patte blanche. Éviter de déstabiliser l’équilibre entre les Trois, et avancer leurs pions. L’illusionniste grimaça. Il n’aimait pas du tout où le menait son raisonnement.

 Tout cela lui donnait un infernal mal de crâne. S’il avait été membre d’un quelconque clan important de la Cascade, il aurait déjà été ramené au bercail. Parfaitement disposable, Sarouh allait devoir prendre ses propres initiatives dans l’ignorance généralisée. Dissimulant son exaspération derrière son sourire de façade, il arriva à l’accueil, où il fut invité par une jeune femme aussi agréable que professionnelle à attendre dans la salle dédiée. Tout occupé qu’il était à masquer ses tremblements et sa douleur, il ne prêta guère attention à son joli visage encadré de cheveux blonds

*****

 L’attente sembla interminable. La migraine cisaillait son crâne en deux et chaque minute s’égrainait en un supplice dont le convalescent se passait bien. Alors que Sarouh se demandait s’il allait en mourir avant ou après son rendez-vous, il fut invité à entrer dans une vaste pièce circulaire où trois personnes l’attendaient, assises autour d’un long bureau de noyer en arc de cercle. Une sensation oppressante donnant immédiatement au Gensouard l’impression d’être cerné le prit aux tripes.

 Pourtant, aucune de ces personnes ne portaient la tenue officielle de Kage, indiquant par là qu’ils n’avaient qu’un rôle d’intermédiaire. Son cas était donc déjà réglé, ou ne méritait pas les grandes instances. Cela rassura un peu Sarouh. Il dissimula sa douleur en se pinçant le nez. L’odeur du vieux papier lui envahissait les narines, et il ouvrit les yeux sur les gratte-papiers avec une confiance en lui renouvelée.

 Le premier soldat, dans la quarantaine et à l’air bourru s’adressa à lui d’une voix grave et joviale, qui tranchait avec l’ambiance sérieuse :

— Tsumyo, enfin ! Enchanté, nous sommes les représentants du Conseil ce jour. J’espère que l’attente n’a pas été trop longue, de nombreuses affaires avaient besoin de notre attention.

 Une femme mâture, le visage masqué par une longue capuche à sa gauche reprit la parole, d’une voix revêche, immédiatement agacée par le comportement de son collègue. Instinctivement, Sarouh su qui possédait le vrai pouvoir ici.

— De plus, vos rapports nous ont donné quelques… difficultés.

 Merveilleux. Sarouh voulait tout, sauf donner du fil à retordre à ces gens-là. Sans perdre son air impassible, il attendit patiemment que le doyen dégarni, logiquement assis au centre, reprenne la parole :

 — En ce qui vous concerne, Gensou n’a pas de réclamations et vous souhaite un prompt rétablissement.

 Sarouh entendit qu’il pouvait bien se débrouiller tout seul dans le désert, mais ne montra aucun signe d’agacement, saluant seulement la nouvelle de la tête, alors que le vieil homme poursuivait :

— Vos propos ont été parfaitement corroborés par Gomaki Myô, le Juunin vous ayant accompagné lors de votre mission. L’enquête étant en pause, au moins jusqu’à l’obtention des autopsies conjointes, il en a profité pour formuler une demande à votre encontre.

— Une demande ?

 La dernière pièce du puzzle tombait en place. Une sensation de malaise étreint Sarouh qui dû déployer des trésors de contrôle de lui-même pour garder ses mains derrière son dos. La sage du conseil reprit, impatiente :

— Oui. il vous a précédé ici et a demandé votre intégration temporaire à son équipe. Si vous êtes d’accord, cela va de soi. Nous comprendrions que vous vouliez rester au repos. Nous avons cru comprendre que vous avez subi de graves blessures lors de cette mission, notamment en protégeant l’une des nôtres.

 Merveilleux. Le choix que leur laissait le conseil était illusoire, un enfant le comprendrait. Sa position était trop sensible pour qu’il puisse se permettre de refuser. Il allait être beau l’esprit d’équipe après ce fameux entraînement. A quoi jouait Gomaki ? Notant mentalement qu’il n’en avait pas fini avec le karma, Sarouh s’inclina avec raideur en acceptant de fait sa mission.

 En sortant de la pièce, le Tsumyo tiqua enfin sur le “N’en fais pas une habitude” que le Juunin lui avait lancé. Évidemment. Comment en aurait-il pu être autrement ? Le Chuunin se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le laisser faire ce qu’il voulait pendant la leçon au genjutsu était à la fois un entraînement pour ses élèves, mais aussi un test pour lui. Difficile de dire ce que le trentenaire en avait déduit.

 Épuisé par l’échiquier politique, les relations aux soldats du Désert et par la souffrance physique, il vacilla un instant aux portes du bâtiment administratif. Gomaki, tout sourire, l’y attendait. Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, le frêle illusionniste eut envie de mettre un coup de boule au chauve trapu qui l’exaspérait tant.

— Ils ont officialisé la nouvelle ? commença-t-il en s’allumant une cigarette du pouce.

— En effet, siffla Sarouh, peinant à garder sa contenance.

— Ne fais pas cette tête. Je pense que tu y gagneras également. Après tout, tu as le profil parfait pour me seconder dans leur entraînement et la réciproque est vraie.

 Bien sûr qu’il avait raison. Le Tsumyo le savait bien. Le Village du taijutsu et ses pratiquants avaient effectivement beaucoup à lui apprendre, tant point de vue culturel que martial. Tomber dans l’équipe de l’Utak faisait sens à tous les niveaux, mais cela n’apaisait son coeur en rien. Il planta avec défiance son regard dans celui du Juunin :

— Je n’aime pas être manipulé.

— Sois sérieux quelques secondes, tu veux ? Cette décision et la meilleure. Et tu le sais.

 Sarouh, dont la patience s’effritait face à sa migraine croissante, garda un silence obstiné. Quel intérêt avait pu trouver Gomaki à scier sa relation entre lui et les membres de son équipe avant même qu’il ne la rejoigne ? La réponse qu’envisageait le Gensouard ne lui plaisait pas, au point qu’il fut incapable de poser la question.

— Demain, neuf heures, imposa Gomaki. Apporte ton matériel. De toute façon, tu n’as plus le choix. Je compte sur toi, désormais. Tu seras très bien dans l’équipe.

 Sarouh ne trouva rien à y redire, son irritation continuant à grimper en flèche. Des flammes dansaient dans l’émeraude de ses yeux, alors que le Juunin ne se départissait pas de son sourire, comme pour lui rappeler ce que ça faisait. Il continua, impitoyable.

— Tokri est désormais chef d’équipe. Je lui ai demandé de t’intégrer.

 Le Chuunin fut incapable de dire s’il s’agissait d’une bonne nouvelle. Gomaki dû sentir sa résignation et sa fatigue, car il le congédia avec une tape sur l’épaule :

— Repose toi. Tu vas en avoir besoin.

 Puis il quitta le Chuunin d’un pas calme, alors que son collègue frisait la combustion spontanée. Alors que le jour déclinait derrière les roches, Sarouh traversa le Village d’un pas décidé, les yeux rivés au sol, porté par sa frustration et ses souvenirs.

 Que voulait-il, au juste ? Échapper à Gensou ? Fait. Rester près d’Izul et Nika ? Accordé. Pourtant, ces victoires ne lui laissaient qu’un goût amer. Il avait mis un point final à sa relation avec les Chikarates. Et maintenant, il était supposé s’intégrer ? Absurde. L’adolescent avait peur de leur jugement, autant qu’il en voulait à Gomaki de l’avoir saboté.

 Son irritation atteignant de nouveaux sommets, il continua à progresser vers l'Ouest, suivant le soleil qui se couchait derrière l'un des deux promontoires rocheux entourant Chikara, embrasant le ciel de couleurs ocres qui donnait un aspect mystique à la montagne. Le Gensouard n'écoutait pas son corps engourdi par la fièvre, alors qu'il escaladait. Après une heure d'efforts douloureux et ininterrompus, Sarouh dominait le désert.

 Il s'assit, les jambes ballantes dans le vide vertigineux. Le vent plus frais du soir glissa sur son visage, en un murmure rassurant. Il admira la subtile architecture Chikarate en contrebas. Le Village s’étendait devant lui, calme et indifférent à ses tempêtes internes. Parée d’or et de pourpre, relevée de nuances d’ocre, la cité shinobi s’intégrait au désert comme si elle en était une création naturelle. Le sable glissait sur les courbes polies de ses bâtiments en une harmonie intemporelle. En face, la montagne jumelle le toisait. Moqueuse. Rien n’avait changé depuis la dernière fois. Lui, si.

 Gomaki avait raison sur un point : il n'avait pas vraiment le choix. Autant faire au mieux. L'illusionniste sortit un kunaï et joua machinalement avec. Il devrait faire bonne figure dès demain. Faire face à la rancune de Mutika et de Tokri, ainsi qu’à la peur de Nika. Sa meilleure chance était avec Izul, qui avait saisi l’essence de son enseignement. Il avait déjà réussi à apprivoiser plus féroces qu'eux, il pourrait recommencer.

 Sarouh demeura ainsi de longues heures, incapable de s'exercer ou de penser, laissant son esprit vagabonder au gré du vent du désert, avant que la froide nuit ne le déloge. Lorsqu'enfin il sauta pour rejoindre l'hôpital, sa décision était prise. Il ferait amende honorable. Il se répéta ses objectifs, comme un mantra. Avant de pénétrer dans l’austère bâtiment, il contempla une dernière fois la Lune, unique témoin de sa promesse silencieuse.

 Cette fois, il n'échouerait pas.

****

Ending : https://www.youtube.com/watch?v=TqFkv1ib1FU

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 13 versions.

Vous aimez lire Jonathan Bruny ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0