Épisode 2 - Niveau supérieur

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— Putain !

 Le juron trancha le silence attentif de l’assemblée. Gomaki toisa du regard Mutika, l’amenant à baisser les yeux d’un air penaud.

— Nous allons doucement commencer par les bases, tenta de les rassurer le Tsumyo d’un faible sourire.

 Tokri remarqua que son front perlait de gouttes de transpiration, et prit conscience que l'acclimatation à l'aridité de Chikara devait être violente par rapport à la région humide dont il était originaire.

— L’objectif est de vous donner les bases pour vous défendre des genjutsus, continua Sarouh avec bienveillance. Je pense que vous avez bien saisi qu’en cas d’attaque d’un illusionniste compétent, vos chances de vous en sortir sont quasi nulles.

 — Tsumyo adaptera ses altérations à votre niveau, ajouta Gomaki, bras croisés. Je lui ai donné pour instruction de corser les choses au fil de vos progrès, et ce uniquement avec mon autorisation. Si vous avez la moindre plainte à formuler par rapport à ses exercices, c’est à moi qu’il faudra les adresser. Je me suis bien fait comprendre ?

 Les Genins opinèrent du chef, avec moins d’entrain de la part de Mutika. Son sourire, qui se voulait jovial, trahissait sa nervosité. Ses doigts jouaient nerveusement avec un bout de son écharpe, comme s’il cherchait une ancre tangible face à ses craintes.

— Passons à la théorie, reprit l’illusionniste avec méthode, bras croisés après s'être mordillé le pouce. La technique que je vais vous enseigner se nomme le Kai. Comme vous le savez, un genjutsu est un envoi de Chakra dans votre cerveau pour produire une modification déterminée par l’expéditeur. Pour dissiper une altération, le Kai va modifier la fréquence et l’intensité des zones sous emprise. Vous me suivez ?

 Avant que quiconque n’ait le temps de poser la moindre question, Izul conclut l’explication du Gensouard :

— Donc plus l’illusion a été produite par une forte dose de Chakra et plus il faut en déployer pour le dissiper.

— C’est ça, affirma Sarouh en lui adressant un charmant sourire.

 Gomaki sortit une cigarette, chose qu’il n’avait pas faite durant toutes les explications du Tsumyo. Ces quelques minutes avaient manifestement été sa limite. Comme toujours, il l’alluma d’une flammèche du pouce.

— Je vais passer devant vous à tour de rôle et altérer l’un de vos sens, annonça l'illusionniste. A vous de le dissiper en envoyant le Chakra dans la zone concernée. Dites-vous qu’en situation réelle, votre ennemi ne vous fera pas la fleur de vous prévenir.

 L’illusionniste leur montra le signe des mains affiliées et passa tour à tour devant eux. Après avoir effleuré sa joue, Nika sembla perdre soudainement l’équilibre, portant ses mains à ses oreilles avec surprise. Mutika sursauta en se touchant la langue, tandis qu’Izul se mit à humer sa main. Lorsque le Tsumyo se plaça devant lui, l’Utak lui demanda :

— C’est le seul moyen de dissiper une illusion ?

— Il y en a un autre, répondit Sarouh avec hésitation. Mais je le déconseille.

— Dis toujours.

— Subir une forte douleur physique. Sur le même modèle que le Kai, plus la souffrance est intense et plus ton cerveau a de chances de chasser l’illusion. Mais c’est évidemment à double tranchant. Tu peux te blesser bien plus que nécessaire, ou bien te lacérer inutilement.

— Je vois, marmonna Tokri, songeant que cela restait une solution de repli en cas d’échec du Kai.

— Va pas t'empaler pour un exercice, le taquina Sarouh en lui adressant un sourire malicieux.

— T’es un marrant finalement, rétorqua l’Utak en lui rendant un demi-sourire.

 A peine eut-il terminé sa phrase que le Tsumyo posa une main sur son front, plongeant Tokri dans la pénombre la plus totale. Son vis à vis avait donc choisi l’aveuglement. Impassible, Tokri apposa les deux doigts de sa main gauche contre la paume de la droite et injecta son Chakra comme indiqué par Sarouh, en vain. Agacé, il réitéra à plusieurs reprises en grognant, enrageant bien vite de ses échecs successifs.

 Non loin de lui, il entendit Sarouh féliciter Izul, rien de surprenant compte tenu de sa maîtrise fine du Chakra. Tokri fut distrait une fraction de seconde en imaginant la scène qui devait se jouer : un Sarouh charmeur et une Izul minaudante devant les compliments de l’expert. Il se reprit bien vite, maudissant Mutika de lui avoir parasité l’esprit de ses commérages.

 Quelques minutes plus tard, il entendit Gomaki congratuler Nika. Les compliments adressés à ses camarades résonnérent à ses oreilles, aiguisant sa frustration. Tokri secoua la tête, tentant de repousser cette pensée intrusive qui faisait vaciller sa concentration, chaque seconde s’écoulant dans l’obscurité amplifiant sa nervosité.

 Plusieurs dizaines de minutes plus tard, il tenta de réguler différemment son Chakra lorsqu’il entendit Mutika exclamer sa joie. Bon dernier, l’Utak soupira, nullement surpris, le genjutsu restant sa bête noire dans son application pratique.

 Ayant eu l’intuition que sa dernière tentative avait été proche de réussir, Tokri redoubla de concentration et dosa légèrement plus la quantité d’énergie tout en visualisant l’emplacement des nerfs optiques supposément touché par l’illusion. Le jeune homme sentit comme une pression à l’arrière de ses yeux, puis sa vue commença à revenir. Il cligna des yeux plusieurs fois jusqu’à ce qu’ils retrouvent la netteté habituelle de sa vision de faucon.

— Je crois bien que notre taijutsuka a réussi, commenta Gomaki d’un sourire satisfait.

 Mutika vint à sa rencontre et lui adressa un léger coup de poing fraternel à l’épaule.

— T’as mis le temps, le taquina t-il. Les illusions, c’est vraiment pas ton truc.

— Définitivement, confirma l’Utak en un soupir.

 Assises en tailleur, Izul et Nika lui adressèrent un sourire de félicitation. Le jeune homme le leur rendit, constatant qu’elles étaient en pleine session de méditation, certainement depuis leur propre auto-libération.

— Stoppons pour aujourd’hui, décida Gomaki en expirant de la fumée.

— Déjà ? s’étonna Izul, s’attendant à reprendre les exercices. On vient juste de commencer.

— Je préféra vous ménager pour aujourd'hui, lui expliqua son sensei. A partir de demain, les exercices s'enchaîneront et ce sera à vous de gérer vos forces pour tenir la cadence.

 Après avoir ordonné une vingtaine de minutes de méditation, Gomaki se tourna vers le Chuunin tout en sortant son paquet de cigarette.

— Ceci est valable pour toi aussi, Tsumyo.

 Tokri et Mutika rejoignirent la ligne méditative formée par leurs collègues kunoichi. L’Utak perçu le regard noir qu’adressa Izul à son ami, l’amenant à se poster en tailleur à côté d’elle pour éviter tout conflit. Ayant reçu de plein fouet le regard assassin de sa collègue d’azur, Mutika se positionna le plus loin possible, à la droite de Nika.

— Bravo pour ta réussite, lui chuchota Izul.

 Ne s’attendant pas à ce compliment, Tokri marqua quelques secondes de silence avant de répondre.

— Et tu as tenu ta réputation, lui renvoya Tokri en souriant subrepticement. Joli travail.

— L’important est d’avoir réussi, répondit Izul en lui adressa un clin d'œil complice. Je te laisse à ta concentration.

 Elle lui adressa un sourire, mélange d’approbation et de complicité. Tokri hésita une seconde, déconcerté par ce regard qui semblait sonder quelque chose en lui, avant de lui renvoyer un sourire discret, presque maladroit.

 Il ferma ensuite les yeux, et se concentra. Ces derniers jours, une inhabituelle harmonie semblait s’instaurer dans ses énergies : une chaleur douce irradiait de son corps, tandis que son esprit conservait sa froideur, offrant un équilibre apaisant qu’il accueillait avec soulagement.

 Le Myô tapa dans ses mains en guise de signal de fin.

— Venez par ici, leur ordonna le Juunin tout en désignant un carré de sable du terrain d'entraînement. Sarouh, tu peux disposer et suivre ton propre programme pour les deux prochaines heures.

 Le Chuunin acquiesça et s'éloigna du groupe pour continuer sa méditation, tandis que Gomaki exécutait quelques mudras qui provoquèrent une liquéfaction du sable, qui devinrent mouvants. L’Utak comprit instantanément l’objectif du prochain exercice. Cette fois-ci, il ne serait certainement pas le dernier.

— Vous maîtrisez l’adhésion sur des surfaces brutes, expliqua Gomaki après avoir tiré sur sa cigarette. Ceci est la seconde étape : la marche sur des liquides. Je vous conseille d’imaginer quelque chose de plus diffus qu’une simple adhérence.

— Un coussin d’air par exemple, suggéra Tokri.

 Ayant le Gensouard dans son champ de vision, le jeune chef d’équipe remarqua qu’il ouvrit un œil et lui adressa un léger sourire complice. Tokri ne put s’empêcher de le lui rendre.

— Exactement, confirma le Juunin en pointant l’Utak du doigt. Excellent conseil, Tokri. Si vous avez compris le principe, allez-y. Il n’y a qu’en pratiquant que vous parviendrez à réaliser l’exercice.

 Tandis que ses camarades marquèrent un temps d’hésitation, l’Utak s’approcha d’un pas tranquille, mains dans les poches, et sauta dans les sables qui voulurent l’avaler, l’irritant d’un frottement granuleux.

 Ses ancres mentales formées, il eût à relever ses jambes à plusieurs reprises, le sable mouvant tentant d'engloutir avec voracité ses chevilles à chaque pas. Visualisant chaque grain sous ses pieds, son Chakra créa un coussin invisible qui le maintient peu à peu à flot.

 Ses camarades le rejoignirent les uns après les autres, et furent surpris de constater que leur chef s’enfonçait bien moins qu’eux. Au bout de cinq minutes, le jeune Utak se tenait avec fierté et stabilité.

— C’est bon pour toi Tokri, confirma le Myô en le gratifiant d’un mouvement de tête, l'éclat de son regard trahissant sa fierté. Repasse en mode méditation.

— Comment ça se fait ? bafouilla Mutika, stupéfait de la rapide réussite de son ami.

 Tokri passa à côté de lui en tapotant gentiment son épaule.

— Quand tu piges le truc, ça vient tout seul.

 Le Genin hésita à remercier Sarouh, mais se ravisa. Il craignait toujours qu’apprendre que le Gensouard l’avait aidé durant la mission alors qu’ils étaient censés être en concurrence ne ravive encore plus les rancœurs de l’Oroshi. Tournant le dos à ses camarades et remarquant que Sarouh l’observait avec satisfaction, Tokri lui adressa un subtil clin d'œil complice.

 Il se positionna en tailleur et reprit ses exercices habituels. Au bout d’une dizaine de minutes, Izul fut la seconde à réaliser l’exercice. Affichant un visage grandement satisfaite, Tokri vit en entrouvrant un œil qu’elle rejoignit le Tsumyo.

 Vingt minutes plus tard, Nika prit place aux côtés du chef d’équipe.

— Félicitations Tokri, la complimenta-t-elle. Tu m’as impressionné.

— Tu sais garder un secret ? lui demanda l’Utak sur le ton de la confidence.

— Je crois, bafouilla la marionnetiste, surprise par cette question inattendue.

— Sarouh m’a aidé à Nikidami, chuchota Tokri sur le même ton. Je t’expliquerai les détails demain matin si tu veux. Mais garde le pour toi s’il te plait.

— Oh, marmonna la Hynomori, comprenant que ce secret n’était pas sans raison.

 De toute l’équipe, Nika était la première avec qui Tokri s’était lié, avant même de renouer son amitié avec Mutika. Elle n’avait jamais fait preuve de comportement justifiant de douter de sa parole, mais le Genin préférait s’en assurer.

 L’Oroshi mit bien plus de temps pour réussir l’exercice. Une bonne demi-heure s’écoula avant qu’il ne parvienne à se stabiliser. Gomaki put finalement déclarer l’exercice clos en rameutant les troupes.

— Je vous félicite sincèrement, les complimenta Gomaki avec bienveillance. Vous progressez au rythme que j’escomptais. A partir de demain, ce créneau durera une heure de plus. Nous commencerons par une session sur les sables jusqu’à ce que vous maitrisiez totalement cette pratique, puis vous apprendrez les diverses applications du Chakra. Des questions ?

 Quelque peu fatigué malgré les sessions de méditation, les Genins répondirent par la négative. Tokri maîtrisait d’ors et déjà le Gyo, la manipulation permettant d’accentuer la puissance des frappes de l’utilisateur, la base de la première technique que lui avait enseigné Bril.

— Nous en avons terminé pour ce matin. Je vous paye le restaurant, suivez-moi !

 Instinctivement, Tokri se mit à la traîne derrière le groupe, silencieux, du sable encore collé à ses chaussures. Levant finalement les yeux, il sourit et rejoignit son équipe, le cœur léger.

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