Épisode 7 - Match amical
Au bord du promontoire rocheux, assis en tailleur, Tokri méditait en profitant de la légère brise du désert. Sa concentration était telle qu’il n’entendait plus Gomaki s'affairer à la préparation du terrain derrière lui, tout à son maintien de la délicate tiédeur au creux de son ventre. Il avait hésité à se livrer à quelques exercices de ten ou de ren, mais Tokri avait estimé sage d’éviter de gaspiller bêtement du Chakra avant le combat.
L’Utak avait pleinement acquis la conscience du Fuuton. La quasi absence de vent du promontoire ne l’empêchait pas de ressentir le moindre bruissement d’air. Lorsqu’il méditait, Tokri avait de plus en plus la sensation d’entrer en communion avec son environnement, un signe positif de son apprentissage élémentaire.
Sous ses paupières closes, la lumière aveuglante du désert s'invitait encore, laissant danser des éclats rougeoyants derrière ses yeux. Certaines idées de techniques commençaient à germer en son esprit.
— Terminé, l’informa le Juunin. Il est temps de prévenir l’équipe.
Curieux, Tokri stoppa momentanément sa méditation et jeta un œil par-dessus son épaule tout en évitant d’observer les dispositions de son sensei sur le terrain, afin de ne pas disposer d’avantages sur ses camarades. Gomaki se mordit le pouce, effectua quelques signes, et apposa la paume de sa main contre le sol. Un léger nuage de fumée enveloppa son poignet. Lorsqu’il se dissipa apparut une sorte de lézard aux écailles écarlates munis de deux petites ailes. Le Myô se pencha vers lui pour lui donner ses instructions. Visiblement ennuyé d’avoir été invoqué pour servir de messager, le lézard accepta après avoir craché un petit jet de flamme au sol et se dirigea vers le bord de la plate-forme. Lorsqu’il arriva à côté de Tokri, il lui lança un regard inquisiteur.
— Qu’est-ce tu mates ? lui lança la créature.
— Rien, répondit un Tokri quelque peu décontenancé de se faire prendre à parti par un lézard parlant.
Soupçonneux, la créature le fixa en plissant ses petits yeux. Deux traits de flamme sortirent de ses naseaux tandis qu’il déplia ses ailes.
— Mouais. Je sais ce que tu penses, morveux. Pour ton information, j’suis un dragon !
Sans laisser le temps à Tokri de réagir, il sauta dans le vide et ne fut bien vite qu’un point filant dans les ruelles de Chikara.
— Excuse-le, lui dit Gomaki avec un sourire amusé. A cet âge, ils sont susceptibles.
Il fallut quelques secondes à son élève pour intégrer le fait que son mentor était lié à des dragons. Plus il le découvrait, plus Tokri trouvait le Myô impressionnant. Il n’était guère surprenant que Okioto ait manoeuvré pour en faire son formateur.
Jaugeant qu’il avait une vingtaine de minutes devant lui, Tokri repartit en méditation. Satisfaisant à peu de chose près son estimation, il finit par être définitivement tiré de sa transe par le Juunin :
— Ils arrivent.
L’Utak put enfin observer l'œuvre de leur maître. Les mannequins qu’ils avaient transporté étaient disposés à divers endroits, certains visibles et d’autres camouflés. Gomaki avait également utilisé son Doton afin de créer plusieurs amas rocheux de superficies différentes.
Lorsqu’il rejoignit les rangs des shinobis en les saluant de son habituel signe de tête, il remarqua que ses coéquipiers analysaient également le terrain. Tokri ne doutait pas que Nika et Sarouh étaient d’ors et déjà en train d’ajuster leurs plans de bataille. L’Oroshi lui jeta un regard mi-soupçonneux, mi-interrogatif qu’il ignora. Gomaki n’allait pas tarder à leur fournir les explications de toute façon.
De la petite bande, ce fut le comportement d’Izul qui frappa d’étonnement l’Utak. Yeux baissés, ses chaussures possédaient un attrait exceptionnel qui lui échappa. L’une de ses mains tenait fermement son autre bras. Habituellement si solaire, la Leïl semblait se recroqueviller sur elle-même. Tokri fut surpris de la voir se tenir à distance de Sarouh, chacun fermant la ligne des ninjas se tenant face à Gomaki. Ils semblaient pourtant s’être rapprochés durant cette première semaine d'entraînement en compagnie du Gensouard. Perturbé, ce dernier semblait éviter le regard de la jeune femme en arborant une mine attristée.
Décidé à recueillir quelques informations supplémentaires, l’Utak se plaça à côté d’elle. Il crut la sentir tressaillir lorsqu’il la frôla involontairement de son bras.
— Suite à une suggestion de Tokri, j’ai décidé de reporter la simulation de combats ici. Nous sommes à l’écart du Village et la plate-forme offre bien plus d’espace que notre terrain habituel. Comme vous pouvez le constater, j’ai transformé les lieux pour vous offrir diverses possibilités d’action. J’ai également placé des mannequins d'entraînements pour d’éventuelles substitutions.
Il s’alluma du pouce une cigarette en adressant un sourire au chef d’équipe.
— Je te remercie de ton aide pour le transport du matériel.
Sa moue trahissant ses doutes, Mutika leva une main hésitante. Le Myô lui signifia d’un bref mouvement de tête qu’il avait la parole.
— Je m’en fiche un peu étant donné que ça ne concerne pas mon match, se sentit-il obligé de préciser. Mais ce n’est pas un peu déloyal que Tokri vous ait vu préparer le terrain ?
Le Tsumyo garda le silence, mais le regard qu’il lança au Juunin signifiait qu’il partageait cette interrogation.
— Légitime question, releva Gomaki en expirant un trait de fumée. Il m’a uniquement aidé pour le transport. Une fois sur place, je lui ai demandé de se livrer à une méditation en attendant que tout soit prêt. Ce qu’il a fait jusqu’à votre arrivée.
— Vraiment ? dit Mutika avec scepticisme.
— J’y ai veillé.
Tokri n’en fut pas surpris. Il s’était douté qu’il s’agissait d’un test. C’était une occasion de vérifier à la fois son obéissance et ses valeurs. Le taijutsuka n’en avait cure, sa fierté couplée à son sens de la justice l’empêchant de tricher contrairement à la plupart des shinobis.
Izul avait relevé la tête pour suivre les échanges entre leur sensei et l’Oroshi, permettant à Tokri de constater que les yeux de la jeune femme étaient rougis. Le cœur de l’Utak se serra malgré lui en en reconnaissant la cause pour l’avoir bien trop subis tout au long de sa vie. Dans le même temps, son esprit fut envahi de questions. Pourquoi aurait-elle passé du temps à pleurer, alors qu’elle était si lumineuse la veille ? S’était-il passé quelque chose avec le Tsumyo ? Ayant lu dans son regard davantage d’inquiétude que de culpabilité, Tokri doutait toutefois que le problème vienne de lui.
Bien que discret, Izul remarqua que l’Utak l’observait et fit quelques pas vers Nika pour s’éloigner de lui. Était-ce lié à leur conversation lors du second jour d'entraînement, concernant ses attaques verbales envers Mutika ? Elle avait pourtant bien réagi sur le moment et lui avait même assuré que son petit jeu avec le rouquin était terminé. Gomaki le remarqua, mais ne releva pas. Son regard trahissait toutefois un soupçon d’interrogation mêlé à l’inquiétude pour la major de promotion.
— On commence par le duo Tokri-Nika contre Tsumyo, annonça t-il sans rien laisser transparaître.
D’un geste de la main, le Juunin demanda à Mutika et Izul de le suivre pour libérer de l’espace aux combattants. Nika et Tokri se positionnèrent l’un à côté de l’autre en s’échangeant un regard entendu. Cela n’échappa pas à Sarouh qui dégaina Aura tout en gardant un œil à la bâche dans le dos de la marionnettiste. L’Utak n’en fut pas surpris, se doutant au vu de ses paroles de la veille qu’il ferait tout pour ne pas se laisser déborder par Kokuro. D’un mouvement du pouce, le Tsumyo rendit invisible sa lame.
— Tu crois vraiment que ça va changer quelque chose ? le provoqua Tokri. Je le connais ce tour.
Pour toute réponse, Sarouh lui adressa un sourire carnassier. L’Utak le lui rendit, déjà grisé par le combat. Même s’il avait perdu la dernière confrontation, le Chikarate s’était admis avec le recul avoir adoré combattre le Tsumyo. Tous deux possédaient les forces faisant défaut à l’autre, rendant l’affrontement riche en enseignements. Il était également impatient de tester les tactiques concoctées la veille avec la Hynomori. Depuis leur rencontre, il la savait intelligente et dotée d’un esprit stratégique aiguisé, mais elle était encore parvenue à le surprendre.
Un silence de plomb précéda l’ordre de Gomaki, son simple mot claquant comme un coup de tonnerre :
— Commencez !
Ne perdant pas de temps, Tokri dégaina un kunai d’une main tout en expédiant des shurikens de l’autre. Sarouh les dévia d’un mouvement fluide, un tintement métallique résonnant à chaque parade, avant d’intercepter l’estoc de l’Utak. Ils alternèrent ainsi entre attaque et défense, Sarouh de son katana et Tokri de son kunai. La lame invisible ne posait aucun souci au guerrier du sable, qui s’efforçait d’en maintenir une image mentale.
Un bref regard vers Izul lui fit constater que la kunoichi d’azur observait le combat d’un œil éteint, désintéressé. Mutika admira la démonstration des aptitudes de son meilleur ami au maniement de la fine lame et se fit la réflexion que le kenjutsu serait plus tard un art dans lequel il devrait songer à s’investir.
Nika bondit à droite, puis à gauche, lançant une pluie de projectiles dans un rythme imprévisible. Sarouh pivota, sa lame déviant chaque attaque avec une précision redoutable. A chaque percée, Tokri en profita pour réussir une frappe du poing ou du pied, gardant en tête d’éviter toute hospitalisation. Le kunai n’était là que pour contenir le Tsumyo, pas pour le blesser et il savait que son adversaire en faisait de même avec son katana.
Sarouh comprit que Nika conservait Kokuro pour plus tard. Ayant essuyé trop de dommages à son goût, le Gensouard décida de changer de cible. Après avoir évité une frappe d’estoc, Tokri tenta de le frapper de la paume en plein plexus solaire et pesta lorsque sa main éjecta un mannequin qui se désarticula en rebondissant violemment au sol sur plusieurs mètres. Le Genin se tourna vers Nika pour voir avec horreur que l’illusionniste fonçait vers son dos.
— Derrière toi ! la prévint-il en criant.
Ayant détaché la bâche, Nika la plaça face à elle et se retourna à l’avertissement de son ami. Lorsqu'il atteignit la kunoichi, Sarouh eut la surprise de se retrouver face à Tokri. A quelques mètres d’eux se trouvait la bâche à laquelle il venait de se substituer.
Affichant un large sourire narquois, l’Utak intercepta le poignet du Gensouard et le bloqua de son bras gauche. Il frappa de son pied droit la main tenant Aura avant qu’il ne la mette hors de sa portée. Sous la surprise, la lame tomba au sol. N’ayant qu’une fraction de seconde avant de perdre son avantage, Tokri éloigna Sarouh d’un violent coup de boule en plein front, le faisant reculer de quelques pas avant de reprendre une posture de combat, tout comme son adversaire.
Le Chuunin jeta un bref coup d'œil autour de lui et constata que Nika avait disparu. Repérant la bâche restée au sol, il comprit ce que cela signifiait.
— Kokuro est toujours en réparation ?
— Pour un gars malin, t’en as mis un temps pour comprendre.
Sarouh ricana. Tokri savait qu'il prenait clairement son pied dans cet affrontement. Éprouvant la même chose, il ne pouvait pas le lui reprocher.
— Juste une question avant de reprendre. Votre stratégie vient de Nika ?
— Les bases sont de moi, révéla t-il, malicieux. Elle a tout développé.
— Je vois, répondit le Tsumyo en élargissant un peu plus son sourire. Amène toi.
Tokri ne perdit pas plus de temps en palabres. Impulsant son assaut par le Gyo, il fondit sur Sarouh et enchaîna les frappes en veillant à ne pas le laisser s’approcher d’Aura. Tant qu’ils restaient dans cette configuration, ses chances de prendre le dessus restaient fortes. Le Tsumyo para et esquiva, guettant une occasion de percer les assauts du Chikarate qui donnait le maximum de ses capacités contre le Chuunin.
Alors que le gradé fut débordé par de nouvelles vagues de shurikens de Nika, Tokri recula brusquement derrière un des amas rocheux, sa silhouette se fondant brièvement dans l’ombre avant de réapparaître, surgissant de côté en une feinte rapide qui fit trébucher Sarouh sur une pierre instable. Alors qu’il rétablissait son équilibre, le menton de Sarouh encaissa un uppercut avant de céder sa place à la bâche de Nika, permettant à Tokri de déduire en une fraction de seconde les intentions de son adversaire. D’un geste fulgurant, le guerrier se retourna en composant des mudras. Une onde invisible déchira l’air, soulevant poussière et gravillons en une rafale tonitruante. Le vent hurla entre les amas rocheux, frappant Sarouh d’une vague furieuse qui le força à reculer en grinçant des dents.
Exploitant sa surprise, le poing de Tokri s’enfonca dans l’abdomen de Sarouh, expulsant un souffle rauque hors de ses poumons avant que son visage n’encaisse une rafale de crochets précis, des éclats de douleur dansant dans son regard.
Se reprenant bien vite, Sarouh profita d’une fraction de seconde d’ouverture pour frôler la tempe de l’Utak du bout des doigts. Plongé dans le noir, Tokri perdit un instant l’équilibre. Ce fut suffisant pour permettre au Tsumyo de le saisir au bras et le faire passer par-dessus son épaule d’une solide clef emprunté au judo. Tokri se retrouva lourdement dos au sol et tenta de se relever, mais ne vit pas venir le coup de pied qui lui fit mordre la poussière.
— Reste au sol, le prévint doucement Sarouh.
A la surprise générale, Tokri se releva d’un bond et frappa le Tsumyo de son Chikara Sen’puu. Les réflexes du Chuunin lui permirent de parer au dernier moment. Prenant appui sur l’avant-bras du Gensouard pour se maintenir en l’air, l’Utak le frappa de son pied libre au torse, le forçant à reculer de nouveau.
Deux clones aqueux apparurent face au Tsumyo, un exploit compte tenu de l’aridité de leur environnement. Ne lui laissant pas l'opportunité de leur appliquer un henge qui aurait permis à Sarouh de se dissimuler parmi eux, une bourrasque de vent les fit s'envoler. Ils heurtèrent des rochers non loin des spectateurs, qui furent légèrement rafraîchis lorsque les clones éclatèrent en une myriade de gouttelettes. Sans perdre de temps à reprendre son souffle, le taijutsuka fondit sur sa véritable cible.
Tout en parant les frappes, Sarouh analysa froidement la situation. Le niveau au kai de Tokri ne pouvait pas lui avoir permis de se dépétrer aussi rapidement de son jutsu d’aveuglement, d’autant qu’il l’avait calibré avec minutie pour gagner un maximum de temps. Malgré le fait que ses attaques étaient précises, le regard de l’Utak restait fixé dans le néant. Seule une bonne maîtrise du en lui aurait permis de réussir à combattre par lui-même. Or, il ne connaissait pas encore cette manipulation.
La solution se présenta d’elle-même : Nika était derrière tout cela.
Tout à son analyse, Sarouh perdit sa concentration sur l’action et encaissa quelques frappes. Tokri avait une force et une allonge conséquente, mais il en avait vu d’autres. Souffrir de quelques coups ne le mettrait pas hors-jeu tant qu'il n'en encaissait pas au-delà de ses limites.
En observant son assaillant, Sarouh finit par percevoir de discrets filaments pourpres partant de ses jambes et bras, mais également de ses épaules et de son dos. Il esquissa un sourire, satisfait d’avoir découvert le pot aux roses.
Le Tsumyo endura encore quelques coups avant de parvenir à déterminer la position de Nika. Il esquiva un uppercut, et généra deux nouveaux Mizu Bunshin pour occuper l’Utak avant de foncer vers la colonne sur laquelle trônait discrètement la marionnettiste, à demi camouflée par un rocher en son sommet.
Ayant compris qu’elle était découverte, Nika manoeuvra son ami pour se débarrasser au plus vite des Bunshin et plaça ses mains pour l’aider à générer un kai avant de relâcher ses fils. Elle fut surprise de constater que l’Utak parvint à se débarrasser rapidement de sa cécité, l’adrénaline et le sentiment d'urgence donnant une formidable efficacité à ses compétences.
Malheureusement, Sarouh avait pris trop d’avance. Jouant le tout pour le tout, elle bondit hors de sa cachette et souffla plusieurs boules de feu de la taille d'un poing qu’il esquiva. S’étant muni d’un kunai, il se retourna par intermittence pour détourner les shurikens que lui envoya l’Utak sur ses talons.
Le Tsumyo s'empara d’une balle fumigène, qu’il fit éclater au sol pour échapper à leur vue. Comprenant son objectif, Tokri balaya la fumée d’un souffle de vent et gravit la colonne à toute vitesse, sans ralentir son rythme une fraction de seconde. Il soupira d’exaspération et leva les yeux au ciel une fois au sommet. Sarouh était déjà posté derrière Nika, sa lame posée au niveau de la carotide de la kunoichi.
— J’ai gagné, leur lâcha-t-il, un petit sourire victorieux aux lèvres.
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