Épisode 8 - Crise

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 Bras croisés, Tokri observait Izul et Mutika prendre place dans l'arène. Par-dessus son épaule, main crispée sur son avant-bras, la jeune femme lança un bref regard peiné à Sarouh qui le lui rendit tout aussi discrètement. Décidé à comprendre, l’échange n’échappa pas à l’Utak qui raya l’hypothèse d’une dispute de sa liste.

 Pour penser à autre chose qu’à son inquiétude vis-à-vis de l’état de la Leïl, Sarouh et Nika se lancèrent dans un bilan détaillé du combat. Ne détachant nullement son attention du prochain match, Tokri ne perçut que des bribes de félicitations réciproques.

 Intrigué, il remarqua que le regard de Izul semblait s’embraser de seconde en seconde. La kunoichi d’azur en voulait-elle toujours à l’Oroshi finalement ? A l’inverse de sa partenaire du jour, Mutika était peu à l’aise et sautillait d’un pied sur l’autre, manifestation inconsciente de sa hâte de clôturer au plus vite le combat.

 Lorsqu’ils furent face à face, Gomaki leur laissa quelques secondes pour se préparer mentalement. A son regard, Tokri se doutait que la vigilance du Juunin était entière. Songeait-il à annuler l’exercice ?

 Le gradé finit par leur donner le feu vert et, à la stupéfaction générale, Izul fondit sur Mutika, tentant de le frapper maladroitement d’un enchaînement de poings rageurs.

— Qu’est ce qui lui prend ? bredouilla Nika, ne reconnaissant en rien sa meilleure amie.

 Tokri et Sarouh échangèrent un regard entendu. Décidément, quelque chose n’allait pas chez l’aspirante médecin. Son comportement n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait démontré depuis la formation de l’équipe. Maîtresse de son Chakra, elle excellait dans le contrôle à mi-distance de son adversaire. Le contact frontal n’était pas son style.

— Tu nous fais quoi là ? l’interrogea Mutika en déviant un coup visant son nez.

 La mâchoire serrée, Izul garda le silence et multiplia ses assauts, tous déjoués par un Mutika qui n’avait aucune envie de contre-attaquer. Peiné, il para un coup de pied visant son visage, puis décala un nouveau coup de poing ciblant son torse, se contentant de la repousser d’une légère tape. La Leïl lui adressa un regard furieux et se mordit la lèvre, vexée.

— Attaque !

— Pas tant que tu ne te seras pas ressaisis, rétorqua Mutika.

 Dans un nouveau rugissement incompréhensible, Izul repassa à l’attaque. Le rouquin soupira et l’évita d’un pas de côté, se baissa pour éviter un coup de pied sauté et, n’ayant toujours pas l’intention de frapper, recula sans même lever les bras.

 Même si le niveau de Mutika en taijutsu était clairement supérieur à celui de Izul, l’adolescente s'acharnait de façon bien trop hasardeuse. L’Utak n’avait même pas le sentiment que son objectif était de toucher, ne faisant aucun effort pour se rendre imprévisible. Voulait-elle simplement que Mutika la cogne ?

— Tu m’en veux toujours, c’est ça ? lui demanda Mutika presque en la suppliant. Je t’ai dit que j’étais désolé.

 Essoufflée par ses assauts infructueux et surprise par la question de son adversaire, Izul s’arrêta un court instant.

— Quoi ? s'étonna-t-elle en peinant à reprendre son souffle. Non, rien à voir !

— Bat-toi comme d’habitude alors !

 Les larmes montèrent aux yeux de la jeune femme, qui serra les poings et fondit à nouveau sur le Genin.

— Putain ça suffit, souffla le Oroshi, ulcéré, tout en composant rapidement des mudras.

 Izul trébucha sur le petit mur de roche qui venait de s’ériger à hauteur de cheville, chutant de tout son long. Bien que la major de promotion se retrouvait face contre terre devant lui, Mutika semblait ne pas croire à ce qu’il venait de provoquer.

— Regarde toi, bon sang ! Même pas capable d’éviter un piège aussi grossier !

 Prostrée au sol, le corps d’Izul fut secoué de tremblements et de soubresauts. Mutika s’approcha d’elle, mais n’osa pas la réconforter de peur de provoquer une nouvelle crise de colère.

— On arrête, ordonna doucement Gomaki en marchant vers les duellistes. Ce n’est clairement pas le bon jour.

 Mutika alla à sa rencontre. Penaud, il se frotta l’arrière du crâne et n’osa pas regarder son sensei dans les yeux.

— Je suis désolé, marmonna-t-il. Je ne voulais pas la mettre dans cet état.

 Le Myô posa une main qui se voulait réconfortante sur son épaule, tout en lui adressant un sourire peiné.

— C’est à moi de m’excuser, lui avoua t-il. J’aurai dû comprendre la situation et annuler tout de suite cet entraînement. Tu peux rejoindre tes équipiers, mon grand.

 Il lui tapota l’épaule, avant de se baisser vers Izul, qui venait de s’asseoir en se frottant les yeux entre deux reniflements. Le Juunin discuta avec elle à voix basse, tandis que l’Oroshi rejoignait ses collègues mutiques. Le groupe s’échangea des regards, comme si chacun espérait que les autres leur apportent des réponses.

 Leur maître aida Izul à se relever avant de rejoindre ensemble le reste de l'équipe. Tandis que Gomaki s’arrêta face à eux, la jeune femme leur passa devant sans même un regard. D’un pas traînant, elle se dirigea vers le chemin menant vers Chikara. Nika et Sarouh furent à deux doigts de l'interpeller lorsque Gomaki les coupa :

— Izul a besoin d’un peu de solitude.

 Gênée, Nika baissa la tête. Sarouh sembla sceptique face à cette déclaration :

— Vous a-t-elle confié ce qui lui arrive ? demanda-t-il, d’un ton étonnamment soupçonneux.

— Non, répondit simplement le Juunin. Je l’ai encouragé à le faire, à moi ou à n’importe lequel d’entre vous. A elle de décider.

 Sarouh se mordit une lèvre, se retenant manifestement de formuler le fond de sa pensée.

— Si vous avez des soucis entre vous, ne profitez pas des entraînements pour régler vos comptes, ajouta Gomaki avec gravité. Parlez m’en, ou à Tokri si cela vous semble plus simple. Nous serons amenés à mener de nombreuses missions ensemble, de plus en plus difficiles qui plus est. Évitons que des rancœurs ne mettent leurs réussites en péril.

— A peine culpabilisant pour elle, laissa échapper à demi-mot Sarouh, plus fort qu’il ne l'aurait voulu.

 Le Myô lui lança un regard noir, ne goûtant guère à cette remarque.

— Tsumyo, n’oublie pas que je suis le sensei de ces jeunes gens, le recadra t-il sèchement. Peut-être feras-tu mieux lorsque tu seras en charge de ta propre équipe. Pour l’heure, garde tes réflexions personnelles pour toi.

 Un silence pesant tomba sur l’équipe. Las, Tokri leva les yeux au ciel.

— Permission de disposer ? demanda-t-il à Gomaki, retenant avec peine un soupir.

— Accordé. Repose-toi bien.

 Sans demander son reste, Tokri les salua de la main et prit le chemin cahoteux suivis par Izul quelques instants plus tôt. Il les entendit vaguement reprendre leur conversation tandis qu'il s'éloignait.

 Mains dans les poches, son esprit fatigué ne put s’empêcher de réfléchir aux derniers évènements. Rejetant instinctivement les figures d’autorité illégitime à ses yeux, l’Utak ne comprenait que trop bien la réaction du Tsumyo. Gomaki était l’une des rares exceptions, ayant accompli l’exploit de lui avoir prouvé au fil des dernières semaines qu’il était un individu en qui on pouvait se fier, devenant bien plus pour le Genin que le meilleur ami de son aîné. Sarouh ne le connaissait certainement pas encore assez pour percevoir l’homme derrière le shinobi.

 A l’instant où il commença à ressasser ses réflexions vis à vis du comportement d’Izul, il se rendit compte que la jeune femme était en vue à quelques mètres de lui, avançant d’un pas traînant. Il hésita un instant sur la marche à suivre. Devait-il ralentir ? Izul risquait de remarquer sa présence et se demandait pourquoi il marchait aussi lentement. Lui passer devant ? Tokri bannit vite cette possibilité, refusant d’entacher les liens qu’il s’efforçait de tisser avec ses équipiers.

 L’Utak se décida instinctivement, lorsqu’il se retrouva à marcher à ses côtés. Étonné de le voir, Izul leva la tête. Ses pleurs avaient cessé, mais ses yeux restaient brillants et trahissaient la détresse qui l’étreignait :

— Si tu souhaites être seule, je trace, lui assura Tokri.

— Non, chuchota-t-elle. Un peu de compagnie me fera du bien.

 Elle redevint mutique. Si seule une présence lui était nécessaire, cela lui convenait. Ils continuèrent donc la descente en silence. La situation devait plus la gêner que lui, car ce fut Izul qui finit par dire d’une petite voix :

— C’était un superbe combat. Vous formez un bon duo.

— Nika a été incroyable, répondit Tokri en souriant. On a passé au moins deux heures à planifier nos actions, hier soir. A chaque idée que je proposais, elle avait tout de suite une dizaine de plans.

 La réponse de l’Utak arracha un sourire malicieux à Izul. Le jeune homme en était ravi, mais il sentait venir un sujet gênant et bien trop récurrent à son goût, ce qui l’amena à embrayer :

— Sarouh est impressionnant également. Même à deux contre lui et dans un environnement défavorable, il parvient à garder des ressources.

 Il sentit de la surprise dans l’expression d’Izul. Étant l'un des acteurs de l'affrontement, ses conclusions lui étaient venues naturellement. Et en vue de son état, il était certain que de nombreux détails lui avaient échappé.

— Il n’était pas à fond ?

— Je ne le pense pas, admit Tokri avec réserve. Je me trompe peut-être, mais c’est le sentiment que j’ai eu.

— Impressionnant est le mot, chuchota presque Izul.

 Ils se turent quelques secondes. Tokri se mordit la lèvre, puis ricana de sa stupidité :

— Quelque part, je le jalouse un peu. Mais j’ai l’impression de m’améliorer à chaque fois que je l’affronte. J’espère que j’arriverai à le rattraper pour lui rendre la pareille un jour.

— Mentalité de mec ça, le taquina la Leïl en lui adressant un sourire malicieux. Tu n’as pas à te rabaisser, tes progrès sont fulgurants.

— Merci.

 Ne s’attendant pas à ce compliment, Tokri eut la crainte de se mettre à rougir à la Nika. Après quelques pas, Izul cessa de marcher et se raidit, manifestement prise d'un soudain stress alors qu’ils venaient de déboucher sur la ruelle de Chikara, au sortir du promontoire. L’Utak n’osa pas lui demander la raison de sa soudaine angoisse et se contenta d’un regard interrogatif, qu’Izul fit semblant de ne pas percevoir.

— Je te remercie pour la discussion. Ça m'a changé les idées. Je vais rentrer chez moi, pas besoin de m’accompagner.

— Comme tu le souhaites, répondit Tokri en tentant d’être le plus aimable possible. N’hésite pas si tu en as besoin.

 Izul lui adressa un charmant sourire, qui arracha la réflexion à l’Utak qu’elle était vraiment une très belle femme.

— Je sais. Bonne journée, Tokri.

 Le Genin la regarda disparaître au coin d’une ruelle, peinant à déduire quoi que ce soit de leur échange. Un court instant, il songea à la suivre. S’il était suffisamment discret, peut-être pourrait-il découvrir la source de son mal-être ? Mais le jeune homme chassa cette pensée aussi rapidement qu’elle était venue. Hors de question de s’immiscer dans la vie privée de ses équipiers tant qu’il pouvait l’éviter.

 Planté au milieu de la rue, Tokri prit conscience qu’il avait devant lui sa première après-midi de réelle liberté depuis la formation de la Team Gomaki, son temps entièrement partagé entre les missions et les entraînements. Il fut tout de même tenté de perfectionner son Kyouffu, mais son corps lui envoya quelques signes lui intimant le repos. Tokri se fit la réflexion qu’il ne s’était pas rendu depuis bien trop longtemps à un endroit de Chikara qu’il affectionnait particulièrement. Le simple fait d’y songer lui mettait du baume au cœur, définissant ainsi l’occupation de son après-midi.

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