Épisode 52 - Mort dans l'âme

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 Les cernes creusées par la fatigue, Okioto posa une main sur la poignée de la porte de l’appartement et resta interdit, pris d’un soudain doute. Ses visites quotidiennes étaient-elles une bonne idée ? Souhaitant qu’il raccourcisse la durée de ses visites, Ryul et Utika ne cessaient de lui répéter que Tokri avait besoin de repos et de solitude afin de faire le point avec lui-même.

 Bloqué toute la journée par les préparatifs de l’Examen Chuunin, Okioto regrettait amèrement d’en avoir accepté un poste d’examinateur. Ayant gardé secret son rôle dans l’organisation de l’événement, le jeune homme soupira en songeant à l’impatience naïve qui l’étreignait il y a encore quelques semaines, imaginant alors les expressions de surprise qui se seraient peintes sur le visage de Tokri et de sa bande. Ces pensées légères lui semblaient à présent bien superflus.

 L’âme de son frère s'était brisée en même temps que son équipe. La mort de Kiame et le départ d’Izul l’avaient frappé en plein cœur, le plongeant dans un état léthargique dont seules des crises de larmes parvenaient à le tirer de brefs instants.

 Chikara s'était chargé du coup de grâce. Cherchant à comprendre ce qui avait amené le déchirement de la Team Gomaki, les enquêteurs avaient fait subir à Tokri un impitoyable procès en culpabilité. Okioto avait lui-même été interrogé et n’avait eu de cesse de protéger son frère et Gomaki. Mais étant en mission durant la plus grande partie de l’année, son témoignage ne pesait pas bien lourd.

 Le Juunin prit une grande inspiration et tourna la poignée, découvrant un champ de bataille qui écarquilla ses yeux de surprise. La plupart des meubles étaient renversés, dont la vaisselle s’éparpillait en morceaux sur le sol. Au centre du salon ne restait que les deux parties de la table de bois fendu net. Ne songeant pas une seconde à l’éventualité d’un combat, Okioto traversa le salon-cuisine à une vitesse surnaturelle jusqu’à la chambre de Tokri dans laquelle il pénétra sans prendre la peine de s’annoncer.

 Durant le mois qui venait de s’écouler, le Genin n’avait que peu quitté son lit. Son refus de s’alimenter par lui-même était la seconde raison qui poussait Okioto à renouveler ses visites chaque soir. La première était la hantise de le retrouver à nouveau baignant dans son sang.

 Le cadet des Utak ne broncha pas à l’arrivée en fanfare de son aîné. Assis, dos contre son oreiller, son regard fixait ses draps sans les voir. Okioto ne put s’empêcher d’expirer de soulagement, ravi de finalement constater des progrès dans l’état de son petit frère. Le fait de se lever pour déchainer sa fureur était un signe que sa force de caractère revenait. Se tenir assis de lui-même était une amélioration tout aussi réconfortante.

 Le Juunin s’assit sur le lit avant de saisir les avants-bras de son cadet, lui arrachant un grognement de mécontentement. Okioto retroussa ses manches et n’y trouva nulle blessure. Ce constat termina d’apaiser son rythme cardiaque bien que son coeur se pinça lorsqu’il effleura du bout des doigts les cicatrices de scarification de sa première tentative, dont le souvenir le hantait.

 Une semaine seulement s'était écoulée après le décès de Kiame, Okioto le découvrit comateux dans un lit écarlate, comme attendant patiemment que la mort vienne le cueillir. Après avoir effectué les gestes de premier secours, Utika avait accouru pour sauver son neveu, prévenue par un clone du Juunin. Bien que se laissant soigner, Tokri avait refusé tout traitement par le Chakra, tenant obstinément à conserver ses cicatrices. Dans un état second, le garçon avait été jusqu’à les menacer de réitérer son acte si sa volonté n’était pas respectée.

 Comprenant que Tokri souhaitait marquer dans sa chair les trahisons de sa seconde famille, Okioto et Utika n’avaient pu qu’accepter en espérant que cela l’aiderait à se rétablir.

— Comment va Gomaki ? demanda le Genin, du timbre enroué de celui qui venait de hurler après s’être tût durant de longues semaines.

 Heureux d’entendre enfin le son de sa voix, Okioto se mordit la lèvre en pesant chacun mot. Son frère étant doté d’un esprit acéré, le Juunin opta pour ne rien lui cacher, persuadé qu’il avait déduit une grande partie de la situation par lui-même.

— Je ne te cache pas que perdre son second frère menace de l’achever.

 Tokri releva lourdement la tête, comme si cette dernière pesait bien plus qu’elle ne le devrait.

— Second ? s’étonna Tokri, avant de manquer de s’étouffer dans une toux.

 Se sentant pris entre deux feux, Okioto se mordit le pouce en se maudissant de sa bêtise. Convaincu que Gomaki avait raconté l’ensemble de son parcours à ses élèves, il se trouvait à présent à deux doigts de trahir la confiance de son meilleur ami.

— Tu ignores visiblement beaucoup de choses sur ton mentor, répondit l'aîné des Utak en posant une main réconfortante sur son épaule. Ce n’est pas la première fois que la cruauté de la trahison nous frappe, mon frère.

 Insatisfait par la pauvreté de la réponse, Tokri poussa un nouveau grognement. Il s’appuya difficilement sur ses poignets, cherchant une meilleure position.

 Les pensées de Okioto se dirigèrent vers les Myô. La mort de leur plus jeune fils était le plus grand drame qu’avait connu leur famille, déjà meurtrie par l’affaire Karui. Outre la douleur de la perte de son frère, Gomaki vivait un double deuil. La traîtrise de ses élèves avait alourdi sa peine, mais savoir que Mutika avait tué Kiame marquait au fer rouge son échec. Pour ne rien arranger, Chikara lui faisait porter l’entière responsabilité de la catastrophe. Placardisé, le puissant Juunin sombrait dans l’alcool. Un détail que Okioto se gardait bien de révéler au Genin.

 Le regard de Tokri fit comprendre à Okioto qu’il avait conscience de ses cachotteries. Mais mieux valait cela que de le faire sombrer à nouveau par l’afflux des brutalités que subissait Gomaki. Le jeune Utak avait suffisamment à faire avec ses propres démons.

— Et Nika ?

 Ses yeux le piquant de fatigue et se fichant à cet instant éperdument de la jeune femme, Okioto se les frotta tout en répondant :

— De ce que j’en sais, elle se prépare pour l’Examen.

 Las, Tokri opina du chef. L’événement l'indifférait, au grand dam de Okioto qui avait espéré un électrochoc. Il était manifestement trop tôt pour espérer un retour de son esprit combatif. Mais le temps pressait et pour son propre bien, il allait falloir que le Genin se relève. Ne pouvant se passer de l’effectif à sa disposition, Chikara allait s’impatienter. L’influence de Bril en plus de la sienne parvenaient pour le moment à freiner toute mesure drastique afin de le remettre en selle.

 Lors de ses propres interrogatoires, le Village avait clairement fait comprendre à Okioto que de lourds soupçons pesaient sur Tokri et Nika. Le contexte géopolitique ne jouait pas en leur faveur. Les Trois étaient saignés par les désertions de ses troupes et ignoraient de quels alliés le Village des Nukenins disposaient. Que Arasu ait le courage d’assumer publiquement son existence leur faisait craindre le pire. Le Yuukan était cerné par des pays avec lesquels il entretenait des rapports au mieux amicaux, au pire nourris de rancœurs suite aux victoires des Trois lors des dernières guerres, en particulier avec le Nagame qui ne cachait nullement sa haine envers eux.

 Dans l’éventualité où ils découvriraient l’emplacement de Arasu, briser le statu quo était un pari risqué. Attendre le prochain coup de l’ennemi l’était tout autant.

 La seule option qui s’offrait à eux était de continuer leur opération de nettoyage. Il n’était plus un secret que toute preuve de trahison entraînait des ordres de mises à mort. De nombreux récits d’exécutions circulaient à travers les habitants des Trois. Il était vital pour chaque shinobi de faire la démonstration de sa loyauté envers son Village. En participant à l’Examen sans avoir délaissé son entraînement malgré la souffrance qui l’étreignait, Nika avait prouvé qu’elle l’avait compris. Cela ne semblait pas être le cas de Tokri. A moins que cela ne soit tout aussi clair pour lui, mais qu’il s’en fichait éperdument dans un désir d’en finir par la main du Désert ?

 Ressentant une vague de colère envers le Tsumyo et ses alliés, Okioto songea que la situation de son frère et de la Hynomori seraient bien moins pressantes si les cadavres ne s’étaient pas autant accumulés. En plus de Kiame, trois cadavres de Genin avaient été retrouvés dans le désert le même jour, non loin de Chikara. La coïncidence était bien trop grande et les lésions subies par les aspirants correspondaient au style du Gensouard.

 Se pinçant une lèvre à cette pensée, Okioto décida de se changer les idées en allant préparer leur repas. Sur le pas de la porte de la chambre, le salon renversé par la tempête Tokri se présenta du coin de son œil. Pris par une soudaine intuition, il se tourna à nouveau vers son frère, dont le poing serrait avec force le drap.

 Okioto haussa un sourcil face à ce subite témoignage de volonté, qui commençait à se cumuler agréablement aux précédents. Le visage encadré par ses cheveux sales et délaissés, Tokri releva la tête en sa direction et plongea son regard dans le sien. Retrouvant avec délice la flamme enragée si familière en l'œil de son cadet, un sourire s’esquissa aux coins des lèvres du Juunin vengeur.

— La liste s’est allongée, mon frère.

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