Épisode 49 - Défiance

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 Poings serrés devant lui, les joues rosies, la formidable déferlante de flammes masqua un instant les toits Chikarattes. Kiame esquissa un sourire de satisfaction avant de ressentir le contrecoup de son exploit. Il tituba avant de chuter sur ses fesses, soulevant quelques volutes de sable en heurtant le sol.

 Ignorant la douleur, le Myô se laissa choir sur le dos en hurlant de joie tout en écartant les bras. Il remarqua à peine son partenaire s’asseoir près de lui.

— Bien joué.

 Le compliment était sobre mais l’Utak n’avait pas besoin de plus pour lui communiquer sa fierté. Prenant appui sur son coude, Kiame se tourna vers lui sans se départir de son expression d'allégresse.

— Je n’y serais jamais arrivé sans toi !

 Gêné et amusé par le remerciement qu’il jugeait exagéré, Tokri laissa échapper un petit rire. Ils avaient beau faire partie de la même promotion, le jeune Myô avait encore bien du mal à se départir de son manque de confiance.

— Nous sommes devenu Genin lors du même examen, lui rappela le chef d’équipe.

— N’empêche que je ne serai pas arrivé à ce niveau sans nos sessions communes, fit remarquer le blondinet en se grattant une joue.

 L’Utak balaya la remarque d’un geste de la main, ce qui provoqua une levée des yeux au ciel de Kiame.

— Je n’y crois pas, appuya Tokri, sûr de lui. Nous avons juste eu de la chance que nos styles coïncident à ce point.

 Le Katonien haussa un sourcil circonspect, n’étant pas certain d’avoir saisi la signification derrière les paroles de Tokri.

— Tu insinues que nos entraînements t’ont été aussi bénéfiques qu’à moi ? demanda-t-il sans conviction.

— Je n’insinue rien, trancha net l’Utak d’un sincère sourire. C’est un fait.

 La fierté embrasa le regard de Kiame, faisant ressentir à Tokri à quel point l’adolescent le prenait en modèle. L’Utak avait longtemps mis cela sur leur écart d’âge de deux ans, mais Izul l’avait perturbé en lui faisant fréquemment remarquer qu’il sous-estimait son charisme.

 Quoi qu’il en soit, Tokri était redevable à celui qu’il considérait comme un petit frère. Complémentaires, tous deux étaient parvenus à développer un style de combat rapproché exploitant tout le potentiel de leurs affinités respectives durant les cinq mois qui venaient de s’écouler. Leur synergie leur avait permis de progresser à des strates bien supérieures que ne l’avait prévu le guerrier aux cheveux de jais.

— Nous devrions terminer nos plans chacun de nos côtés, l’informa toutefois abruptement le taijutsuka.

— Pourquoi cela ? s’étonna Kiame, déçu.

 Maintenant que Sarouh lui avait enseigné les bases du Kô, l’Utak bouillonnait d’excitation en songeant aux possibilités de développement qui s'offraient à lui. L’Examen ayant lieu dans un peu moins de trois mois, il lui était possible de concevoir de nouveaux coups destructeurs en prévision du jour J. Malgré toute la tendre affection qu’il ressentait pour son cadet, il n’avait aucune envie de partager ses futurs secrets avec un rival d’un jour.

— Si nous nous affrontons durant l’Examen, nous serons bien content de s’être réservé quelques bottes inconnues de l’autre, affirma avec confiance Tokri.

 Sans s’en rendre compte, Kiame afficha une moue boudeuse. Sceptique, il se gratta fébrilement l’arrière du crâne.

— Même si je parviens à progresser d’ici là, je doute que cela change grand chose contre n’importe lequel d’entre vous, lâcha-t-il presque en un murmure, se sentant soudainement démoralisé.

 Il n’eut pas le temps de se laisser engloutir par ses pensées moribondes, frappé durement à l’épaule par Tokri. Pestant de douleur, il se massa en jetant un regard aigre à son frère de cœur.

— Si nous nous affrontons, je t’interdis de partir sur cet état d’esprit, lui ordonna sèchement l’Utak.

— Et pourquoi cela ? répliqua Kiame avec défi.

— Je veux te vaincre en pleine possession de tes moyens.

 Le Myô fut frappé par le ton employé, bien différent de la bienveillance auquel il était habitué. Kiame comprit que Tokri venait de lui promettre un affrontement d’égal à égal. Alors qu’il se serait cru intimidé, le jeune homme se surprit à se sentir enivré à la perspective de l’affrontement à venir.

 Si Tokri le considérait comme étant un adversaire à sa hauteur, il ferait tout pour ne pas le décevoir. Gomaki aurait peut-être quelques jutsus à lui enseigner ? A cette pensée, Kiame se redressa prestement sur ses deux jambes et s’épousseta avant de défier l’Utak du regard.

— Je ne vais pas te faire de cadeaux mon pote !

— De même, répondit Tokri de son petit sourire carnassier, provocateur, satisfait du retour de l’esprit combattif de Kiame.

 Tandis que le Myô rentra chez lui pour un repos dûment mérité, le leader des Genins prit quelques instants pour savourer la chaleur de la brise du désert, d’une douceur étonnamment unique à cette hauteur du Village. Cet air était l’une des rares choses qui parvenait à régénérer son cerveau secoué par les violents maux de tête qui ne cessait de l’agiter de semaine en semaine.

 Grisé autant par la perspective de se confronter à de puissants inconnus que de découvrir les progrès des membres de son équipe, il tardait à Tokri de passer le fameux Examen. L’événement serait un test parfait afin de jauger son niveau et d’estimer l’écart qu’il lui restait à combler avant d’espérer pouvoir menacer son père ainsi que les meurtriers des parents de Sarouh. A cette pensée, le poing de Tokri se serra, en une morsure de sable chaud dans sa paume. La légère douleur l’apaisa, tandis qu’une certitude envahissait son esprit.

 Le sang coulera avant qu’ils ne connaissent enfin la paix.

*****

 L’uppercut du gauche fit souffler une légère brise au visage de Tokri, soulevant brièvement quelques mèches. Satisfaite d’avoir manqué sa cible de peu, Nika fléchit un instant trop tôt sur ses appuis, permettant à son partenaire de lire bien trop facilement ses intentions. D’instinct, il para le poing droit de la jeune femme, qu’il dégagea séchement. Profitant de son déséquilibre, le Genin planta ses doigts dans le sable et tournoya sur lui-même en une balayette qui la fit chuter au sol sans effort.

 En conclusion de son mouvement, Tokri se redressa prestement tout en tendant une main à l’Hynomori. Les joues adorablement rosies, l’adolescente afficha une moue boudeuse et accepta l’aide de son ami.

— C’est mieux, le rassura l’Utak. Mais tu réfléchis bien trop lors de tes exécutions.

 Nika lui tira la langue, arrachant un sourire affectueux au jeune homme. Depuis qu’ils avaient renoué leur amitié, Tokri s’était rapidement rendu compte que les mimiques de la stratége lui avaient cruellement manqué. La jeune femme avait toutefois bien changé depuis qu’ils étaient devenus Genin, il y a bientôt un an de cela. La kunoichi était bien plus affirmée et sûre d’elle, ne laissant entrevoir sa timidité qu’en de rares occasions. Cela commençait à se refléter dans son apparence. Bien plus soucieuse de l’impression qu’elle donnait, en partie de part ses responsabilités claniques, Nika s’était débarrassée de sa coupe au bol pour une coiffure mi-longue, en un carré plongeant qui ne cachait que son œil gauche. Préservant farouchement ses mèches violettes, ce nouveau style mettait en valeur la jade ténébreuse de son iris droit.

— Malheureusement, je doute que mon corps soit un jour capable de réfléchir avec autant d’aisance que le tien, avoua-t-elle sincèrement, admirative des capacités du guerrier.

— C’est simplement une habitude à acquérir, répondit Tokri en haussant les épaules, touché que son amie balaye systématiquement le cliché du bourrin sans réflexion qui collait aux pratiquants du taijutsu.

 Dans une routine rassurante, les aspirants prirent leur pause au bord du promontoire. Les pieds dans le vide et se rafraîchissant d’une gorgée d’eau, le regard de l’Utak se perdit à travers les toits et les ruelles de son Village. Le cœur pincé à la perspective du conflit à venir, il ne pouvait s’empêcher de se demander s’il verrait un jour ce paysage en proie aux flammes.

— Toi aussi, tu ne peux plus regarder Chikara sans te demander quand Arasu frappera ? devina Nika, perspicace comme à son habitude.

 Pour toute réponse, Tokri opina du chef. Un silence inquiet s’instaura entre les deux équipiers, chacun en proie à ses propres réflexions. Après avoir chamboulé le statu quo du monde shinobi le mois dernier, Arasu n’avait pas donné le moindre signe d’activité officielle. Quant à Mahou, il leur avait fallu trois semaines pour se joindre à la détermination des partenaires diplomatiques. Son délai de réflexion avait attisé la méfiance des deux autres Villages sur ses intentions. La Forêt avait-elle tenté un rapprochement avec le Village des Nukenins ? Avait-elle hésité à s’engager, espérant laisser ses rivaux se déchirer avant de leur apporter le coup de grâce ?

 Quelles que soient les intentions des Quatres, aucune décision n’avait été officiellement actée. Tokri enrageait d’impuissance, persuadé que les forces s’agitaient en coulisses.

 A ses côtés, l’Utak sentit Nika dodeliner de gauche à droite. Le jeune homme la connaissait suffisamment pour deviner qu’une question la taraudait. D’un regard, il l’invita à la poser.

— Comment te sens-tu ? souffla-t-elle en un souffle presque inaudible.

 L’Utak se mordit une lèvre, les craintes l’agitant depuis les quatres dernières semaines le saisissant sans crier gare. Cherchant à déceler une éventuelle interrogation cachée en cette simple question, il sentit son cœur battre à tout rompre.

 La Team Gomaki ne parlait que peu de géopolitique depuis que Arasu s’était révélé au monde, comme si chacun craignait de découvrir une vérité désagréable. Compte tenu de l’objectif de sa vie, Tokri sentait qu’il était la cible des inquiétudes de ses coéquipiers. Après tout, quoi de plus logique ? Son meurtrier de père se trouvait certainement à Arasu. Toute personne connaissant la vérité sur sa désertion songerait à ce que ses fils décident de le traquer, quitte à déserter Chikara si cette option s’avérait nécessaire. La surveillance autour des frères Utak avait déjà dû être renforcée.

 L’Utak était surpris que personne ne crève l'abcès à ce sujet. Était-il paranoïaque ? S’imaginait-il des suspicions à son encontre ? La raison des trous dans l’effectif des Trois n’était plus un secret et de nombreuses histoires de désertion circulaient à présent à travers la cité du désert. Tokri ne parvenait plus à déterminer si son instinct voyait juste ou si la défiance ambiante avait empoisonné ses pensées. Son âme saignait à la simple possibilité que sa nouvelle famille puisse le voir comme étant l’héritier de Uril Utak.

 Son couple n’était pas épargné. En privé, Izul et Tokri évitaient également le sujet d’Arasu, amenant à de longs malaises entre eux que seul le sexe parvenait à rompre momentanément. Et même à ce niveau, les choses étaient bien différentes. La douceur et la passion avait fait place à une sauvagerie dont souffrait bien souvent leur appartement, en un capharnaüm représentatif de ce qu’ils gardaient derrière leur image de couple en harmonie.

— L'avenir me fait peur, lui confia Nika, rompant le silence de sa douce voix.

— La guerre ?

— Et ses conséquences, ajouta t-elle, les yeux brillants. Elles sont déjà là.

 Les lèvres tremblantes, Tokri fut peiné de voir une perle roulée sur sa jolie joue. Sans réfléchir, il la retira en un effleurement. Nika le remercia d’un timide sourire.

— Arasu prend le dessus sans avoir déclenché la moindre bataille, continua l’intelligente jeune femme d’une voix tremblante.

— S’ils comptent nous monter les uns contre les autres, cela explique leur absence d’activité, confirma Tokri, qui avait longuement songé à la stratégie de leur ennemi.

 Dans ce cas, la meilleure option à adopter serait de montrer un front uni. Une solution difficilement réalisable de la part de Villages s’étant affronté durant des siècles.

— Si ce n’était que ça, soupira Nika, de plus en plus abattue.

 Elle se tourna subitement vers Tokri et plongea son regard dans le sien. Le cœur du jeune homme se mit à nouveau à battre douloureusement contre sa poitrine. La jaugeait-il ? Essayait-elle de lire de la culpabilité en son regard ?

— Arasu forge son armée en puisant dans les effectifs des Trois, lui rappela douloureusement la marionnettiste. Que ferais-tu à leurs places ?

 Sans réfléchir, la réponse fusa des lèvres de l’Utak :

— Le ménage…

 La réalité frappa de plein fouet l’aspirant Chuunin. Chikara l’exécuterait-il si le moindre doute d’une désertion leur parvenait ?

— Tu comprends à présent le comportement de Sarouh ?

— Sarouh ? répéta Tokri, pris de court.

 Cette fois, ce fut dans le regard de Nika que naquit l’incompréhension, tandis que l’Utak se faisait le fil des dernières semaines. Comment avait-il pu ne pas s’en rendre compte ? De jour en jour, Sarouh était à cran. L’illusionniste ne cessait de jeter des regards par-dessus son épaule ou d’analyser son environnement, comme si une attaque imminente le menaçait. Suite à ses précédents épisodes paranoïaques infondés, Tokri n’avait pas pris son comportement au sérieux. Le Tsumyo était-il dans le vrai cette fois-ci ?

— Il craint que Gensou ne le soupçonne ?

— Et il n’est apparemment pas le seul, fit remarquer une Hynomori pensive, sans quitter Tokri des yeux.

 L’Utak se mordit une lèvre, se faisant l’effet d’un parfait idiot. Nika et Kiame étaient les seuls de l’équipe à ne pas connaître son passé. Comment auraient-ils pu soupçonner Tokri de vouloir déserter ?

 Tentant de détourner la conversation de sa personne, l’Utak concentra ses réflexions vers son ami de la Cascade. Etait-ce pour cela que Izul passait à nouveau du temps avec lui ? Sa compagne avait prétexté avoir besoin de ses conseils pour ses nouvelles techniques, suscitant irrationnellement des craintes d’une reprise de leur romance chez le guerrier du sable. La kunoichi d’azur avait-elle compris les inquiétudes du Tsumyo ? Pour quelles raisons tenterait-elle de le raisonner sans l’aide de son petit ami ? Par crainte que Sarouh ne l'entraîne avec lui ?

— Sarouh a de nombreuses raisons d’en vouloir aux Trois, affirma Tokri. Mais cela n’en fait pas un traître.

— Mais c’est suffisant pour s’imaginer que l’on puisse devenir un cible, n’est ce pas ? répliqua Nika, d’une pertinence incisive.

 Soufflant du nez, le jeune homme se passa une main dans les cheveux. Il fixa le vide, songeant un bref instant à fuir. Si Sarouh était capable de concourir contre lui en escalade, c’était bien loin d’être le cas de Nika. Une main se posa délicatement sur le dos de la sienne. Tokri releva les yeux et se retrouva soudainement proche du visage de la Hynomori. Leurs nez se touchant presque, le jeune homme se perdit un court instant dans la sombre jade de son regard. Seul le pourpre des joues de Nika trahit sa gêne, tandis que la détermination de sa voix appuya sa résolution de tirer les choses au clair.

— Pour quelle raison te soupçonnerais-je de quoi que ce soit ?

 Ne ressentant aucune accusation voilée dans sa voix, Tokri se sentit chanceler. Elle voulait juste comprendre. Mais s’il lui disait tout, Nika continuerait-elle à lui faire confiance ? Ou se mettrait-elle à le soupçonner, comme tous les autres ?

 Une vérité simple le frappa de plein fouet. S’il lui cachait la vérité, il la perdrait définitivement. Et bien qu’il se sentait dans un brouillard absolu, il savait que la perte d’une amie pouvait le faire basculer.

— J’aurais dû t’en parler il y a longtemps. Vous méritez tous de savoir.

 Sans s’arrêter, Tokri raconta toute son histoire familiale à une Hynomori dont les yeux brillèrent à nouveau. Ne l’interrompant que pour l’aider à retrouver le fil de ses pensées, Nika finit par en savoir autant qu’Izul, Sarouh et Mutika.

 Un ange passa à la conclusion du récit du shinobi, qui se sentit une fois de plus autant renforcé et fragilisé par sa confidence. Confier ce secret qu’il avait enfoui au plus profond de son être durant la majeure partie de sa vie était une expérience encore douloureuse à assumer. Tokri baissa les yeux, tandis que la main de la kunoichi se resserra autour de la sienne.

 Sans crier gare, Nika l’attira et le saisit dans ses bras. Une fragrance agréable d’amboine saisit Tokri, tandis que les deux aspirants s’étreignirent en un réconfortant enlacement, formant un cocon qu’ils auraient voulu indestructible contre la cruauté des Villages.

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