Quatre éclats.
Et pourtant, rien n'était complet. Le miroir me brûlait l’intérieur comme une vérité coincée dans la gorge. J’en rêvais la nuit. Et quand je me réveillais, j’entendais son murmure résonner dans ma tête :

Regarde, regarde, regarde...

J’étais en train de changer.
Pas juste dans ma tête — mon reflet aussi. Parfois, il souriait quand je ne souriais pas. Parfois, il me fixait même quand je détournais les yeux.

Et ce monde... il commençait à se fissurer, lui aussi. Les arbres saignaient de la lumière. Les ombres me suivaient comme si elles savaient où j’allais avant moi.
Et puis, je l’ai retrouvée.

La "moi" du miroir.

Elle m’attendait, dans un temple inversé suspendu au plafond du ciel.
Oui, c’est bizarre. Oui, j’ai cru que j’hallucinais.
Mais elle était là. Parfaite. Immaculée. Brillante.

— Tu crois vraiment qu’il y avait une seule vérité ? dit-elle. Tu crois que je suis ton reflet ?
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Je veux être entière. Tu es venue ici avec le cœur brisé. Moi, je peux le réparer. Mais pour ça, tu dois me donner… toi.

Elle était le miroir. Ou une conscience liée à lui. Un truc ancien, rusé, affamé.
Elle m’a montré la vérité : Aveline ne me l’avait pas légué pour m’aider. Elle m’avait offerte.

— Tu es la dernière. La dernière "Regardeuse". Ton sang ouvre la voie. Ton regard réveille l’Autre.

Elle voulait que je remette le miroir en un seul morceau. Avec moi dedans.

Et les éclats que j’avais rassemblés ? Ce n’était pas pour rentrer chez moi. C’était pour la libérer, elle.

Je me suis enfuie.
Mais le monde s’est déformé autour de moi. Tout me ramenait à elle. Comme un rêve récurrent où chaque chemin ramène à la même porte.

Et cette porte, c’est moi.

Je n’ai plus qu’un éclat à trouver. Le dernier. Celui qu’on ne veut jamais regarder en face.
Celui qui dit : Tu n’es pas celle que tu crois être.

Et je sais exactement où il est.

Il est en moi.