Chapitre 29 : (Aurore)
- La journée était merveilleuse. Je m'exclame.
- Tant mieux, sourit Henry.
Nous déambulons dans les couloirs du château, déserts à cette heure. Tous les courtisans du Roi dorment et cela me convient parfaitement ! Ils ne nous ennuieraient plus !
Je le fais remarquer au Roi.
- Je suis contente que tous tes admirateurs aient débarrassé le plancher : je n’avais jamais rencontré de gens aussi bavards et idiots !
Henry hausse le sourcil devant mon sourire et acquiesce.
- Qu'as-tu le plus apprécié aujourd'hui ? me demande-t-il.
- Mmh, je réfléchis quelques secondes. Je crois que j’ai préféré la promenade. Les fleurs étaient si belles et sentaient si bon ! Je n'en avais jamais vu d'aussi près. Il y a bien quelques plantes qui poussent au deuxième et troisième niveaux mais elles sont toutes rabougries et brunâtres. Quoique... passer la matinée à la bibliothèque était magique aussi. Comment est-ce possible d’avoir autant de livres ! J'ai adoré pouvoir les feuilleter et admirer les dessins dans les marges. L'histoire devait sûrement être intéressante aussi, mais je n'ai jamais appris à lire. Et les repas ! Oh, les repas ! Je suis rêveuse. Je n'ai jamais aussi bien mangé de toute ma vie. Il y avait tant d’assiettes et de plats différents, j'avais envie de tout engloutir, mais même en étant déterminée à faire honneur à tous ces mets, je me suis vite sentie rassasiée. Et cette boisson, particulièrement... Je me fronce les sourcils. Je ne me rappelle plus son nom. Tu sais, la rouge foncée, elle était si bonne.
Je ferme les yeux et le goût fruité me revient. Quand je rouvre les yeux, Henry me regarde, amusé. J’ouvre la bouche pour lui demander ce qu'il trouve amusant, mais il me coupe.
- J'ai une chose importante à te dire, me murmure-t-il sur le ton de la confidence. Allons dans ma chambre, nous y serons tranquilles.
J'acquiesce, et il me tend la main pour me faire monter une volée de marches.
- Tu sais... Depuis que j'ai visité le troisième niveau, j'ai beaucoup réfléchi au système de niveaux que mes ancêtres ont mis en place. Je pense que cette loi a juste satisfait leur besoin de séparer les plus démunis et les plus riches, et leur besoin égoïste de garder le haut de l'île plus habitable pour eux. Mais ce mode de pensée fait mourir le peuple petit à petit. Les raz-de-marée détruisent les maisons et la végétation déjà presque inexistante dans le deuxième et troisième niveaux. Eldory dépérit. Cependant, même lorsque tout semble perdu, je reste convaincu que nous ne mourrons pas. Nous trouverons une autre île où s’établir avant cela. Plus vaste. Plus escarpée. Nous bâtirons un nouvel Eldory sans niveaux où même les plus démunis auront une place.
Il s'arrête au milieu d'un couloir et me regarde. Je lui souris pour lui montrer que j’approuve ses paroles. Il m’attire vers lui et je sens sa main sur ma hanche. De son autre main, il désigne les chandeliers, les tapis et les tableaux du couloir.
- Tout le monde repartira de zéro sur la nouvelle île. Je ne pourrai pas emporter tout ce que j'ai. Je ne serai roi que de nom, et toute ma richesse sera transformée en bravoure et loyauté envers mes sujets.
- Une telle chose est possible ? Transformer l’or en qualité ? je demande, tentant de comprendre.
- Oui c’est possible, il me répond avec assurance. Je te le montrerai.
Puis d'une légère pression au creux de mes reins, il m’invite à me remettre en marche.
- C’est insensé lorsque l’on y pense, tu ne trouves pas ? Vouloir à tout prix séparer les gens : les faibles d’un côté, les forts de l’autre. Les riches, les pauvres, les hommes et les femmes. Ne serait-il pas mieux que nous vivions tous en harmonie pour mieux apprendre les uns des autres ?
Je hoche la tête avec enthousiasme.
- Oui, dit-il avec détermination tout en ouvrant une porte. Je pense que c’est là le cœur du problème, de tous les problèmes ! Regarde-nous.
Il me positionne face à un miroir.
- Nous ne devrions pas accorder tant de valeur aux biens que nous possédons, mais plutôt à ce qui fait de nous ce que nous sommes.
Il prend ma main pour la poser sur mon cœur.
- Mon cœur... je murmure, fascinée par ses paroles.
Il est si intelligent.
- Le cœur, exactement.
Il me guide jusqu’à un balcon. Mais je suis si occupée à le regarder que je le remarque à peine.
- Dis-moi, vois-tu dans cette ville, des gens qui utilisent leur cœur plutôt que leur tête ? Qui s’aiment au lieu d’amasser de l’or ?
Je me penche. Mais au fond de moi, j’ai déjà la réponse.
Si mes parents m'avaient aimée, ils ne seraient pas partis.
Il m’attire vers lui et commence à me caresser les cheveux.
- Je sais, nous avons un jour subi les conséquences de ces différences.
Je relève la tête et croise son regard. Je frissonne, sans savoir pourquoi. Henry m’entraîne à l’intérieur, et referme la fenêtre. Puis il se tourne vers moi et me demande :
- Cela te plairait de dormir dans une vraie chambre ?
Mon visage s’illumine.
- Bien sûr que cela me plairait !
Henry se rapproche, plonge ses yeux dans les miens.
- Est-ce que cela te plairait de dormir dans cette chambre ?
- Oui, je réponds sans hésiter.
Je n’avais même pas remarqué où nous étions ! J’ai l’esprit un peu embrumé. Henry s’approche encore et murmure, la main sur ma joue.
- Tu es si belle...
Cette phrase me fait l’effet d’une douche froide.
Le brouillard qui m’empêchait de réfléchir et qui me rendait joyeuse sans raison, s’est retiré. Tout mon corps se fige quand je réalise à quel point la distance entre nous est réduite et la pièce dans laquelle nous nous trouvons.
Son regard brûlant de désir balaye mon corps. J’ai l’impression d’être déshabillée par ses yeux. Je recule et détourne le regard. Je ne veux pas qu’il me regarde comme cela. Mon dos heurte le mur, silencieusement. Et lui se rapproche, encore, encore, je peux entendre ses pas sur la moquette, discrets. Je sens son souffle sur mon cou.
- Je vais t’offrir tellement de choses, murmure-t-il. Tu ne peux pas imaginer...
Je frissonne de peur. Ses lèvres se posent soudain sur ma peau. Dans ma tête, c’est la panique. Je veux bouger, lui faire comprendre que je ne veux pas ça, le repousser, mais mon corps ne répond plus. Ses lèvres se plaquent soudain sur les miennes, et j’ai l’impression de suffoquer. J’ai chaud, trop chaud, et je ne peux pas bouger, je ne peux pas l’empêcher de poser ses mains sur ma peau, de partir à la découverte de mes formes comme si je n’étais qu’un vulgaire terrain de jeu. Je voudrais penser à autre chose, mais la peur me l’interdit. Je ferme les yeux. Je ne veux pas le voir, je ne veux pas le sentir, je ne veux pas…
Sa langue force mes lèvres à s’entrouvrir, et cette intrusion me frappe de plein fouet. Je déglutis quand nos langues se rencontrent. Chacune de ses caresses me fait l’effet d’une gifle.
Un pan de tissu glisse doucement le long de mon épaule, me glaçant le sang.
Mon dos se décolle du mur, et se retrouve enfoncé dans les couvertures.
Non…

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