Chapitre 32 : (Zéphyr)
La porte s’ouvre à mon grand soulagement. J’ai guetté toute la journée son retour avec Luffy, en faisant les cent pas comme un lion en cage. Même si Henry ne lui fait jamais de mal, je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet pour elle. Et puis d’habitude, il ne la garde pas avec lui toute la journée.
Elle entre, le visage impassible.
Quelque chose ne va pas.
Je n’arrive pourtant pas à mettre le doigt sur ce qui cloche.
Le garde l’enchaîne et referme la porte en sortant. Elle reste silencieuse, immobile.
- Tout va bien ? Je demande inquiet.
Elle éclate soudain en sanglots. Je me précipite vers elle tandis qu’elle se laisse glisser contre le mur. Je la serre dans mes bras, touché par sa détresse. Je brûle d’envie de savoir ce qu’il s’est passé mais je ne dis rien. Elle me racontera si elle le veut. Luffy s’allonge à nos côtés en couinant. Il pose sa tête sur les genoux d’Aurore, comme pour la soutenir.
Je l’attire un peu plus à moi. Et je réalise avec horreur que la robe qu’elle porte est à moitié délassée. Il n’a pas osé ! L’un de mes poings se serre. Moi qui pensais qu’il avait un temps soit peu de valeurs, je me suis trompé. Ce monstre a osé !
Si je n’avais pas été enchaîné, il y a longtemps que je lui aurais réglé son compte, Roi ou pas !
Le bout de tissu usé qui me sert de chemise est trempé. Le flot de larmes s’est tari. Je cherche son regard, en vain : elle fixe le sol.
- Je vais te lasser ta robe, tu dois avoir froid.
Elle ne répond pas mais hoche imperceptiblement la tête. Je me place derrière elle et m’active tout en m’assurant que mes doigts n’entrent pas en contact avec son corps. Il ne faudrait pas la traumatiser davantage.
- Il me tournait autour, depuis un bon moment…
Je relève la tête en entendant la voix d’Aurore. Autrefois si cristalline et belle, elle est à présent hachée et rauque… brisée.
- Il se servait de ma situation… de mes visions… si je voulais rester en vie, je devais les lui raconter… je suis là, et l’instant d’après, je suis ailleurs… j’en deviens folle… Quand il m’a déplacé ici… il est devenu entreprenant… impatient… et j’ai fait des compromis pour gagner du temps… je ne voulais pas de lui, je ne voulais pas de lui, non…
- Respire, je lui dis en sentant sa respiration s’accélérer. Tu n’es pas obligé de me raconter cela si cela te coûte autant.
Mais égoïstement, j’ai envie qu’elle continue. Je veux savoir quelles sont ses visions. Elle tremble, s’oblige à se calmer. La voir si fragile brise quelque chose en moi.
- Dans une de mes visions, elle continue, j’ai ressenti une douleur sans nom. Celle de quelqu’un qui avait des pensées si noires, je voulais mourir pour arrêter ce calvaire, j’ai cru m’évanouir. Quand Henry m’a déplacé ici, quand je t’ai vu… inconscient, je… J’ai eu l’impression que tu étais cette personne… Je voulais t’aider quoiqu’il en coûte, j’ai fait des compromis avec le Roi pour qu’il arrête de te torturer, je ne voulais pas que tu souffres comme ça, et en contrepartie je devais lui donner des informations sur toi, mais ce soir, il m’a demandé de… de… l’épouser.
Je n’en crois pas mes oreilles. Comment ose-t-il ?
- je ne veux pas Zéphyr, je ne veux pas l’épouser, elle me dit en fondant en larmes à nouveau.
- Nous allons trouver une solution, je tente de la réconforter.
Mais mes paroles sonnent creux, même pour moi.
- Il a dit qu’il te ferait exécuter toi et tes amis, et je… elle se retourne vers moi et me regarde les yeux brillants, je ne veux pas te perdre.
Ces mots déclenchent quelque chose en moi. Soudain, je fais le lien entre ses visions et les miennes, et je comprends. C’est elle que je cherche depuis tout ce temps, mon âme liée.
Depuis tout ce temps, elle était devant moi, et dire que je me retenais de l’aimer.
J’approche doucement ma main de son visage, et chasse les larmes qui s’attardent sur sa joue. Puis je plonge mes yeux dans les siens.
- Moi aussi je n’ai pas envie de te perdre. Mon âme liée.
Elle écarquille les yeux.
- Tu n'es pas folle, Aurore. Toutes les visions que tu as vu ne sont en fait que mes souvenirs. Moi aussi, j'ai eu accès aux tiens. Là d'où je viens, seules les âmes liées ont le droit de s'aimer. Les dirigeants ont peur que les gens comme moi usent de leurs pouvoirs sur des membres de leur famille, ce qui est impossible lorsqu'ils ne font qu'un.
Je prends le temps de l'admirer.
- La dernière fois que je suis tombé amoureux, je me suis très vite rendu compte que ma bien aimée n'était pas mon âme liée. Nous avons passé outre les règles, et avons été découverts. Elle... Ils ont effacé sa mémoire, et l'on envoyé sur une autre île... loin de tout ce qu'elle avait connu, par ma faute. Mais toi, je lui dis les yeux brillants de joie, lorsque je t'ai rencontré, que j'ai vu des sentiments renaître, j'ai voulu te protéger en ne te l'avouant pas. Pour ne pas que l'on t'éloigne de moi. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux que nous soyons destinés l'un à l'autre ! Si je ne me retenais pas... Il y a longtemps que je t’aurais embrassé.
Elle me regarde, et, lentement, ses magnifiques yeux turquoises dérivent sur ma bouche. Je brûle d’envie de faire de même. Ils reviennent aimanter mon regard, et je me perds dans cet océan qui les compose.
- Et si… dit-elle finalement, je ne voulais pas que tu te retiennes ?
Je lutte pour ne pas me jeter sur elle. Je ne voudrais pas lui faire peur, lui rappeler ce qu’Henry lui a fait subir.
Alors, je rétrécie petit à petit la distance qui nous sépare. Nos lèvres se rencontrent dans un baiser si doux, si léger que j’ai l’impression de m’envoler avec elle, loin de la cellule, loin du château et de son Roi égoïste. Sa main délicate et hésitante s’égare sur ma nuque m’invitant à me perdre dans cette étreinte passionnée. Ses lèvres s’entrouvrent et nos souffles se mêlent, j’ai l’impression de respirer pour la première fois de ma vie tout en étant privée d’air. Je la serre un peu plus contre moi et nos chaînes nous gênent mais nous n’y faisons attention ni l’un ni l’autre.
Parce que nous sommes hors d’atteinte, dans ce monde idyllique alliant passion et désir de liberté.

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