Chapitre 34 : (Aurore)
Dans 2 minutes, je scelle mon destin.
J’ai déjà une robe blanche, preuve de mon engagement. Le voilage est maintenu à l’aide de magnifiques broches dorées, un avant-goût de la richesse qui sera mienne. Mes cheveux ont été rehaussés en un chignon artistique, et mon visage lavé et maquillé révèle des traits fins et délicats. Comme quoi sous la crasse, je suis jolie. Ce dernier est caché sous un voile blanc et volatile. Une bonne chose : quand je pleurerai au mariage, personne ne saura.
Tout mon être hurlera de douleur, parce que je vais renier le lien profond qui me maintient en vie, pour m’unir à mon bourreau. Je vais voir mourir un amour à peine né et je ne pourrai pas courir pour empêcher le couperet de tomber. Non, je devrais rester droite, et ne surtout pas m’effondrer comme si j’avais perdu mes repères, ne pas parler, crier le déchirement de mon cœur.
Je ne sais pas si j’y arriverai.
Je ne sais pas si je continuerai à vivre après cela.
Ses mains puissantes sur mon corps, le goût magique de ses lèvres, le sang poisseux dans ses cheveux, son sourire étincelant, son visage inconscient et souffrant, ses yeux vert brillants de malice, remplis de larmes, l’odeur masculine sublime sous la saleté, tous ces détails vivaces me rappellent qui je vais condamner, et par qui je vais le remplacer. Par un roi. Le regard froid et calculateur glissant sur ma peau, des mains pareilles à des étaux, une richesse égoïste qui dégouline de ses vêtements, une odeur noyée sous le parfum, la morsure de ses dents sur mes lèvres, un sourire forcé, des cheveux toujours impeccables, ses compromis qui ne profitent qu’à lui, ses mains me délassant ma robe…
Je ne suis qu’une imbécile,
Et surtout,
Je ne suis qu’une lâche qui n’a jamais eu le courage de s’épanouir.
Je m’avance devant la porte fermée, accompagnée d’une troupe de domestiques. Ces gens doivent subir les caprices du Roi et devront bientôt subir les miens. J’espère ne pas devenir trop vaniteuse avec les années.
J’ai tellement changée pendant ces mois passés en prison. J’ai pris en assurance, j’ai connu le bonheur, un court instant…
Une larme coule le long de ma joue.
En souvenir de tout ce que j’ai vécu.
Puis je prends une grande inspiration et lorsque le lourd battant s’ouvre, et que la musique s’élève, je m’engage sur le tapis rouge, laissant derrière moi la personne que j’ai toujours rêvée d’être :
Une jeune femme courageuse qui n’a pas besoin d’argent et qui est heureuse.

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