Chapitre 38 : (Zéphyr)

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Le vent frais et salé du port me fouette le visage. Le soleil, haut dans le ciel dégagé, m’inonde de ses rayons. J’entends les vagues qui s’écrasent contre les rochers protégeant le port.

Je souris. Un an que j’attends ça.

La liberté.

La mer.

Accoudé au bastingage, je respire à plein poumons cet air pur. J’ai hâte de retrouver mon teint hâlé et ma forme physique. J’ai hâte de revenir chez moi.

À Ezendéria.

Je sens une petite main se poser sur mon épaule. Je me retourne. Aurore me regarde. Elle a revêtu une robe courte blanche et un corset en cuir. Ses bottes montantes cachent ses jambes fines.

Elle me laisse l’observer avec attention, faisant de même. C’est vrai qu’elle ne m’a jamais vu que dans un sale état, vêtu de haillons. Aujourd’hui, j’ai symboliquement remis les vêtements que j’avais quand je suis arrivé. J’ai eu de la chance de les trouver, parmi les ruines de la planque, et de les laver pour enlever la poussière.

Je bombe d’instinct le torse. Fier d’avoir retrouvé ma veste bleue ou les armoiries du conseil sont brodées, ainsi que mon pantalon et mes bottes. Les vieilles bottes qui m’ont accompagnées de ma première mission jusqu’à aujourd’hui.

- Heureux de quitter Eldory ? Demande Aurore

- Heureux de rentrer surtout.

Mon regard se perd à l’horizon. Une semaine auparavant, je montais sur l’estrade pour mourir. Jamais je n’aurais imaginé pouvoir vivre avec celle que j’aime, et retourner chez moi, vivant. Et dire que je suis toujours incapable de dire exactement ce qu’il s’est réellement passé. Je sais simplement que le gardé m’a libéré et qu’une vague de souvenirs m’a frappé, alors que je courais vers Henry.

- Tu l’as senti ce jour-là ? La vague ?

Je n’ai pas besoin de préciser. Je vois dans ses yeux que cela l’a marqué aussi. Au bout d’un moment, elle répond.

- Ce sont mes souvenirs.

Je me fige. Ces souvenirs ?! Mais… mais… cela veut dire…

- Comment ? Je lui demande à court de mots.

- Je ne sais pas exactement. Je savais que cela allait prendre trop de temps de pénétrer tous les esprits un à un pour rallier les gens à notre cause. Alors je me suis laissée submergée par les souvenirs qui importaient, les faisant tourner dans ma tête de plus en plus vite, pour soudain relâcher toute cette pression accumulée.

- Qui t’a parlé de cette technique ? Je n’ai jamais entendu pareille chose.

- Personne. Je me suis juste dit que si l’on pouvait effacer ou modifier les souvenirs, on pouvait sûrement les partager.

Je la dévisage, incrédule. Elle rougit. Elle a beau venir du troisième niveau, et connaître son pouvoir seulement depuis quelques semaines, elle semble avoir plus de talent que la majorité des gens à la mémoire développée. Je l’admire.

- J’ai aussi changé les souvenirs du bourreau pour qu’il te libère.

- Tu ne lui a pas simplement enlevé son souvenir ?

- Il m’a semblé plus simple de le changer, elle m’explique embarrassée, en fuyant mon regard comme si elle avait fait une erreur.

Je l’attire vers moi, et plonge mon nez dans ses cheveux. Ce qu’elle sent bon…

- Ce n’était pas un reproche, je la rassure. Jamais je ne te reprocherai quoi que ce soit.

- Alors tu ne me reprocheras pas... elle dit timidement en levant les yeux vers moi, le fait que je ne sache pas lire ou écrire ?

Je laisse mon regard et mon esprit se perdre dans l’océan turquoise de ses yeux.

- Non je ne t'en voudrais pas, je réponds simplement, avec conviction. Je t’apprendrai plutôt, si tu le veux.

Elle hoche la tête, mais je la sens se relâcher dans mes bras. Je la serre un plus contre moi.

À ce moment-là, des cris de joie se font entendre. Je pousse un soupir de soulagement. Enfin, nous partons.

J’ai eu peur pendant un instant, que ces cris signifient l’arrêt des préparatifs pour le départ. Même si le soir même de la cérémonie du mariage, les Eldoriens ont voté à majorité pour qu’un bateau en partance pour Ezendéria lève l’ancre aujourd’hui, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir un doute. Après tout, ils avaient bien condamné Henry à moisir en prison : il y avait un risque pour qu’ils choisissent aussi de nous punir ! Je repense à la cellule dans laquelle j’ai vécu un peu plus de six mois. Je frissonne. Grand temps d’enterrer ces souvenirs.

Néanmoins je suis ravi que le destin ait décidé d’infliger à Henry la même punition qu’il m’a infligé. Même si cela fait bien trois jours qu’il a disparu. On a fouillé le château, la ville, et même les cales du bateau, en vain. Il semble s’être évaporé.

Le bateau tangue un peu, sous l’effet des vagues, et commence à s’éloigner du bord.

Aurore se tend brusquement.

- Tout va bien ? Je lui demande, inquiet.

- Je… je…

Son regard se fixe sur le quai, seule preuve de l’avancée du bateau. Son visage devient de plus en plus livide à mesure que la distance avec la rive s’agrandit. Je comprends alors.

Elle n’a jamais pris la mer.

Je la guide vers la rambarde pour qu’elle puisse s’y accrocher. Je replace une mèche rebelle derrière son oreille. Mon geste est lent, rassurant.

- La mer n’est pas dangereuse si l’on se laisse porter par les courants. Lorsque nous serons assez loin de l’île, tu sentiras une force pousser le navire vers le sud. Nous dériverons quelques semaines, avant d’apercevoir Ezendéria. Regarde, je Pointe du doigt les nuages dans le ciel. Ils se déplacent vers le nord. Avec un temps comme celui-ci et un vent aussi propice, tu n’as rien à craindre.

Je lui prends délicatement le visage, pour plonger mes yeux dans les siens. Elle semble perdue, en voyant s’éloigner Eldory.

- Je ne te laisserai pas seule. Nous affronterons cela ensemble, toujours.

- Toujours, elle répète d’une petite voix.

Je l’embrasse, pour sceller cette promesse, cette conviction ancrée en moi.

J’ai cherché pendant des années mon âme liée. J’ai souffert, j’ai désespéré, failli abandonner cette quête que je pensais impossible, et la voilà dans mes bras.

Aurore.

Elle est rentrée dans ma vie telle un soleil de printemps, m’inondant de sa douce lumière. Lumière que je ne quitterai pour rien au monde.

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