Chapitre 3 :  (Henry)

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- EN DETAILS ! Est-ce si compliqué à comprendre ?

Justin se recroqueville sur lui-même, tremblant. Je lui jette un regard méprisant, avant de me remettre à faire les cent pas dans mon bureau. Une poignée d’heures plutôt, l’île se faisait engloutir par une vague immense. Les raz de marée sont fréquents, mais une telle masse d’eau ne s’est JAMAIS abattue sur Eldory.

Il a même atteint le Palais.

- Alors parles ! Qu’attends-tu ?

Mon conseiller sursaute et bégaie.

- L’eau-o-o a frap-p-pé tous l-les niveaux, v-v-votre Maj-jesté. Le tr-roisi-i-ième est en r-ruine, les autres ont b-b-besoin de r-r-répar-rations imp-portant-t-tes.

Derrière mon impassibilité, je rage. Un jour, je vais le faire remplacer juste parce que son bégaiement m’insupporte. Il a beau être compétent, dés qu’il se met à parler… Je me contiens. L’heure n’est pas aux remontrances.

- Le P-p-palais n’a r-r-rien, mais l’eau-o-o s’est infiltr-r-rée dans la ter-r-re. Je cr-r-rains que l’île ne d-d-devienne infert-tile. On est-t-time qu’une cent-t-taine de p-p-personnes ont p-p-perdu la v-vie. Il y aur-r-rait autant de d-d-disparus, et d-de blessés.

Cent morts.

Pour un petit royaume tel que le mien, c’est déjà beaucoup trop.

Mais le pire n’est pas encore survenu. La majorité des quartiers tombent en ruine. Les ressources manquent de plus en plus et les gens vont finir par mourir de faim, ou de froid. Cent morts sont à déplorer aujourd’hui, mais demain ?

Combien de sujets perdra-t-on ?

Serai-je toujours le Roi si tous mes sujets décédaient et mon royaume devenait aride ?

- Combien de temps nous reste-t-il avant de manquer de vivres à cause de l'infertilité terrestre ? je demande, soucieux.

- D-deux ou tr-r-rois mois, S-S-Sire.

Seulement ?

Mes yeux s’écarquillent. Mon trouble est tel que je n’entends pas Justin s’incliner et sortir de la pièce. Trois mois… Pourrais-je trouver en si peu de temps d’autres îles à conquérir ? Depuis le début de mon règne, mes soldats écument les mers sans apercevoir la moindre parcelle de terre. Que faire ? Se concentrer sur la pèche ? Non. Les navires sont sûrement endommagés, et lors de ma dernière réunion, mon conseiller en économie m’a dit que la plupart des poissons avait migrés. Même pour eux le climat est rude.

Je n’ai donc pas le choix.

Il faut continuer les recherches. Coûte que coûte. C’est la seule issue possible. Les paroles de mon père me reviennent à l’esprit.

-Tu sais mon fils, Un roi n’est rien sans son peuple, tout comme un peuple est perdu sans son Roi. Si je ne prends pas soin de ceux qui croient en moi, la plupart mourront par ma faute, et les survivants me tourneront le dos. Retiens bien cela, car un jour, tu me remplaceras.

Ce conseil me frappe de plein fouet. Mon prédécesseur a sûrement oublié ses mots, mais ils se sont ancrés en moi, fatidiques. Aujourd’hui, ils me condamnent.

Mon poing s'abat sur le beau secrétaire en acajou au centre de la pièce. Le bois craque, sinistre. Non. Rien ne me résiste ! Il existe forcément une autre solution à laquelle je n'ai pas pensé !

Je me tourne vers ma bibliothèque privée. Je lis les titres un à un sans rien trouver. Mon visage se ferme petit à petit et ma patience est mise à rude épreuve. Soudain, trois coups sont frappés à la porte.

- Quoi ? grondais-je au garde qui fait irruption dans la pièce. J'avais demandé à ce que l'on ne me dérange pas !

- Je vous prie de m'excuser Sire. Le garde fait une révérence. Mais...

- Qui y a-t-il encore ? Pourquoi êtes-vous encore ici ? N'avez-vous donc pas compris que j'aimerais être seul ?!

L'homme en face de moi commence sérieusement à m'agacer. Je me retourne et me force à me calmer. J'inspire profondément, puis expire longuement. Mon expression reprend sa froideur habituelle. J'ai le contrôle. J'ai le contrôle et je le garderai si l'homme derrière moi daigne sortir.

Seulement, lui ne semble pas disposé à partir tout de suite.

- Votre Altesse doit savoir que...

- Que dois-je savoir ? Je vous écoute, que dois-je savoir de si important que cela nécessite de me déranger ?

J'avance vers lui, les mains dans mon dos, mon regard perçant sur lui. Il semble hésiter maintenant. Comme il ne dit rien, j'enchaîne.

- Donc si ce n'est pas important, vous feriez mieux de disparaître avant que je ne vous renvoie au troisième niveau !

Le garde blêmit, mais tente tout de même de parler. Quelle obstination ! C'est un manque de respect envers son roi ! Et je ne tolère pas que l'on me manque de respect.

Je mets les mains sur mes tempes, et ferme les yeux. Mon esprit s'infiltre dans celui de l'homme, qui se fige.

La pièce disparaît, et un vide sombre le remplace. Ma conscience flotte dans cet espace, entourée de de centaines de petites lumières, de toutes les couleurs. J'en touche une aux reflets bleus du bout des doigts. La lueur colore mes phalanges, remonte petit à petit le long de mon bras, jusqu'à atteindre mon cœur. Puis,

Un flash recouvre tout.

- Ne m'abandonne pas !

Je me tiens face à un garçon d'à peine huit ans qui me regarde, en pleurs. Il est assis au milieu d'une ruelle bordée de ruines, couvert de boue. Une scène frappante. Dans quel souvenir suis-je tombé ? Je tente de me concentrer mais rien n'y fait. Je dois attendre la fin du souvenir pour en sortir.

Le petit tend la main vers moi.

- Ne m'abandonne pas... S'il te plaît...

Ses yeux humides me fixent, implorants.

Ne sachant que faire, je reste figé devant lui. Un besoin urgent de l'aider menace de m'engloutir. Et cet enfant reste là, à espérer une réponse, avec ses yeux brillants. Sa détresse m'atteint en plein cœur. Elle fait remonter mes propres souvenirs. Car j'ai vécu l'abandon aussi.

- S'il te plaît...

- J'aimerais bien, je murmure tandis qu'une larme roule le long de ma joue.

- Je n'ai pas le choix, répond une voix dans mon dos.

Je sursaute et me retourne brusquement. Un homme, le visage fermé, observe l'enfant par-dessus son épaule. Déstabilisé, j'ouvre la bouche, mais la referme quand je reconnais le garde venu me déranger dans mon bureau. Les événements reviennent en flèche dans mon esprit, et je me ressaisis.

Ce que je vois n'est qu'un souvenir qui ne m'appartient pas.

Le garçon n'est pas réel. Ma peine est déplacée.

Il faut que je sorte de ce souvenir.

- Tu reviendras me chercher ? murmure l'enfant.

- Oui bientôt, je te le promets, répond l'homme en ébouriffant les cheveux bruns de son fils.

Puis il se détourne et s'éloigne. Son visage est rapidement baigné de larmes. Je comprends avec horreur qu'il n'a pas l'intention de revenir. Je regarde l'enfant qui sourit à travers ses larmes. Je peux presque voir l'espoir qui l'habite. Que va devenir cet enfant ? Je me détourne avant que des scénarios plus tristes les uns que les autres n'envahissent ma tête.

Je porte la main à mon cœur, et retire la lumière bleue qui s'était logée dedans d'un coup sec.

Après un flash, l'immense salle réapparaît. Je souffle un grand coup, et me rappelle le but initial de cette intrusion : effacer la scène du manque de respect de l'esprit du garde et lui ordonner de ne plus venir me déranger.

Je fais défiler mon propre souvenir du moment devant mes yeux. Quelques secondes plus tard, une lumière violette s'approche de moi. Je la saisis et l'écrase dans ma main. Elle se brise en mille morceaux qui disparaissent peu à peu. Et voilà, plus de manque de respect.

Avant de quitter le vide sombre qui abrite les souvenirs du garde, je me retourne et lance un dernier regard à la lumière bleue que j'ai touchée, et mon cœur se serre. Mais je dois retrouver mon corps ; être séparé de lui trop longtemps n'apporte que des problèmes.

Mais au moment où je réintègre mon corps, je remarque qu'une lumière grise s'est accrochée à mon esprit. Mince.

Je cligne des yeux. Je suis de retour dans mon bureau. Le garde porte la main à sa tête, confus, comme s'il savait qu'il lui manquait des bouts de mémoires, avant de s'excuser et de partir.

Je ne fais pas attention à lui, trop occupé à intégrer le souvenir du garde parmi les miens. Et, chose totalement inattendue, au lieu d’être inutile, il m’apporte la solution que je cherchais à mon problème principal : Zéphyr.

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