Chapitre 3 : (Henry)
- Quels sont les dégâts ?
- Avant tout matériels votre Altesse. Le troisième niveau est en ruine et cette fois-ci, le deuxième et le premier ont aussi d'importantes réparations à faire. Le Palais n'a rien, mais l'eau s'est infiltrée dans la terre, et je crains que l'île ne devienne infertile. Sinon, de nombreuses morts et disparitions sont à déplorer dans tous les niveaux.
- Combien de temps nous reste-t-il avant de manquer de vivres à cause de l'infertilité terrestre ? je demande, soucieux.
-Deux ou trois mois je pense, Sire.
Cela s'annonce mal, très mal.
Debout, devant une fenêtre qui donne sur la partie Est de la ville, je réfléchis. Ce royaume, mon royaume, est en train de tomber en ruine. Il me faut trouver une solution provisoire qui me donne le temps de trouver d'autres îles au large à conquérir.
Pas le choix.
-Ne pouvons nous pas arrêter l'agriculture pour nous concentrer sur la pêche ? Les ressources marines sont illimitées.
-Malheureusement, les navires dédiés à cette activité sont endommagés, et à cette époque de l'année, la plupart des poissons ont migré. Même pour eux, le climat est rude. Les espèces restantes ne seront pas suffisantes pour nourrir toute la population votre Altesse.
-Je vois. Vous pouvez disposer. J'ai à réfléchir.
- Bien votre Majesté, répond le conseiller en s'inclinant avant de s'en aller.
Je fais les cent pas dans mon bureau. J'ai beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, je ne vois aucune solution.
Je suis condamné.
Mon poing s'abat sur le beau secrétaire en acajou au centre de la pièce. Le bois se fend. Non. Rien ne me résiste ! Il existe forcément une autre issue à laquelle je n'ai pas pensé !
Je me tourne vers ma bibliothèque privée. Je lis les titres un à un sans rien trouver. Mon visage se ferme petit à petit et ma patience est mise à rude épreuve. Soudain, trois coups sont frappés à la porte.
-Quoi ? grondais-je au garde qui fait irruption dans la pièce. J'avais demandé à ce que l'on ne me dérange pas !
- Je vous prie de m'excuser Sire. Le garde fait une révérence. Mais...
- Qui y a-t-il encore ? Pourquoi êtes-vous encore ici ? N'avez-vous donc pas compris que j'aimerais être seul ?!
L'homme en face de moi commence sérieusement à m'agacer. Je me retourne et me force à me calmer. J'inspire profondément, puis expire longuement. Mon expression reprend sa froideur habituelle. J'ai le contrôle. J'ai le contrôle et je le garderai si l'homme derrière moi daigne sortir.
Seulement, lui ne semble pas disposé à partir tout de suite.
-Votre Altesse doit savoir que...
-Que dois-je savoir ? Je vous écoute, que dois-je savoir de si important que cela nécessite de me déranger ?
J'avance vers lui, les mains dans mon dos, mon regard perçant sur lui. Il semble hésiter maintenant. Comme il ne dit rien, j'enchaîne.
- Donc si ce n'est pas important, vous feriez mieux de disparaître avant que je ne vous renvoie au troisième niveau !
Le garde blêmit, mais tente tout de même de parler. Quelle obstination ! C'est un manque de respect envers son roi ! Et je ne tolère pas que l'on me manque de respect.
Je mets les mains sur mes tempes, et ferme les yeux. Mon esprit s'infiltre dans celui de l'homme, qui se fige.
La pièce disparaît, et un vide sombre le remplace. Ma conscience flotte dans cet espace, entourée de de centaines de petites lumières, de toutes les couleurs. J'en touche une aux reflets bleus du bout des doigts. La lueur colore mes phalanges, remonte petit à petit le long de mon bras, jusqu'à atteindre mon cœur. Puis,
Un flash recouvre tout.
- Ne m'abandonne pas !
Je me tiens face à un garçon d'à peine 8 ans qui me regarde, en pleurs. Il est assis au milieu d'une ruelle bordée de ruines, couvert de boue. Une scène frappante. Dans quel souvenir suis-je tombé ? Je tente de me concentrer mais rien n'y fait. Je dois attendre la fin du souvenir pour en sortir.
Le petit tend la main vers moi.
- Ne m'abandonne pas... S'il te plaît...
Ses yeux humides me fixent, implorants.
Ne sachant que faire, je reste figé devant lui. Un besoin urgent de l'aider menace de m'engloutir. Dans quel souvenir suis-je tombé ? Je tente de me concentrer mais rien n'y fait. Je dois attendre la fin du souvenir pour en sortir. Et cet enfant reste là, à espérer une réponse, avec ses yeux brillants. Sa détresse m'atteint en plein cœur. Elle fait remonter mes propres souvenirs. Car j'ai vécu l'abandon aussi.
- S'il te plaît...
- J'aimerais bien, je murmure tandis qu'une larme roule le long de ma joue.
- Je n'ai pas le choix, répond une voix dans mon dos.
Je sursaute et me retourne brusquement. Un homme, le visage fermé, observe l'enfant par-dessus son épaule. Déstabilisé, j'ouvre la bouche, mais la referme quand je reconnais le garde venu me déranger dans mon bureau. Les événements reviennent en flèche dans mon esprit, et je me ressaisis.
Ce que je vois n'est qu'un souvenir qui ne m'appartient pas.
Le garçon n'est pas réel. Ma peine est déplacée.
Il faut que je sorte de ce souvenir.
- Tu reviendras me chercher ? murmure l'enfant.
- Oui bientôt, je te le promets, répond l'homme en ébouriffant les cheveux bruns de son fils.
Puis il se détourne et s'éloigne. Son visage est rapidement baigné de larmes. Je comprends avec horreur qu'il n'a pas l'intention de revenir. Je regarde l'enfant qui sourit à travers ses larmes. Je peux presque voir l'espoir qui l'habite. Que va devenir cet enfant ? Je me détourne avant que des scénarios plus tristes les uns que les autres n'envahissent ma tête.
Je porte la main à mon cœur, et retire la lumière bleue qui s'était logée dedans d'un coup sec.
Après un flash, l'immense salle réapparaît. Je souffle un grand coup, et me rappelle le but initial de cette intrusion : effacer la scène du manque de respect de l'esprit du garde et lui ordonner de ne plus venir me déranger.
Je fais défiler mon propre souvenir du moment devant mes yeux. Quelques secondes plus tard, une lumière violette s'approche de moi. Je la saisis et l'écrase dans ma main. Elle se brise en mille morceaux qui disparaissent peu à peu. Et voilà, plus de manque de respect.
Avant de quitter le vide sombre qui abrite les souvenirs du garde, je me retourne et lance un dernier regard à la lumière bleue que j'ai touchée, et mon cœur se serre. Mais je dois retrouver mon corps ; être séparé de lui trop longtemps n'apporte que des problèmes.
Mais au moment où je réintègre mon corps, je remarque qu'une lumière grise s'est accrochée à mon esprit. Mince.
Je cligne des yeux. Je suis de retour dans mon bureau. Le garde porte la main à sa tête, confus, comme s'il savait qu'il lui manquait des bouts de mémoires, avant de s'excuser et de partir.
Je ne fais pas attention à lui, trop occupé à intégrer le souvenir du garde parmi les miens. Et, chose totalement inattendue, au lieu d’être inutile, il m’apporte la solution que je cherchais à mon problème principal : Zéphyr.
Annotations