Chapitre 7 : (Henry)
Elle pense pouvoir fuir si facilement ?
Elle se trompe lourdement.
Lorsque les gardes l’attraperont, elle paiera le prix.
Je cours presque dans les couloirs. Le château est en alerte. Tout le monde cherche la fille aux yeux bleu ciel et aux cheveux aubruns relevés en un chignon imparfait. Je suis confiant quant au fait que nous allons la retrouver. Elle est à bout de force et sûrement affamée. Je ralentis le pas et me dirige vers mon bureau.
Cette fille s'est révélée assez téméraire pour son âge et son niveau social. Idiote aussi. Je me rends soudainement compte que je ne connais pas son prénom. Je le lui demanderai quand on aura la main sur elle.
Je salue d’un signe de tête les officiers chargés de surveiller mon bureau et referme la porte derrière moi pour avoir un peu de tranquilité.
Étrange, la fenêtre est ouverte. Je m’empresse de la refermer. Il ne faudrait pas que les traités se mélangent ou s’envolent.
Je contemple la ville à travers la vitre. Les ruines sont omniprésentes dans le paysage. Les habitations ressemblent à des tas de pierre et de bois flotté, le tout parsemé d'algues. Des gens vivent dans ce décor presque abstrait pour moi. Ils ont tout perdu, et ne peuvent qu'habiter parmi les décombres de leurs biens. Voici l'héritage laissé par mon père : un royaume détruit. Un royaume déjà presque mort.
Ce soir, j'interroge moi-même Zéphyr…
Les renseignements qu’il refuse de me fournir sont vitaux.
Je refuse que mon peuple meurt sous le silence d'un étranger.
Soudain, le rideau de gauche frémit.
Je fais un pas de côté, les yeux rivés sur le tissu doré. Rien. Peut-être ai-je juste rêvé. Je soulève le rideau, juste pour m'assurer que personne n’est caché derrière en train de m’espionner, et découvre avec surprise la voleuse tremblante. Elle râle quand elle me voit, et sa peau blêmit malgré son teint bronzé.
Je croise les bras.
- Ce n’est pas très malin de se cacher ici.
La jeune femme ne répond rien, soit par peur de me contrarier, soit par timidité. J’envisage un instant d’appeler les gardes devant ma porte, mais je décide finalement de lui poser quelques questions d'abord.
D’ailleurs, à propos des gardes…
- Comment avez-vous fait pour arriver dans mon bureau ? Les gardes surveillent l’entrée.
Ses yeux s’agrandissent à l’évocation du bureau, mais elle se reprend vite.
- La fenêtre, murmure-t-elle rapidement.
Ah... C’est donc pour cela qu’elle était ouverte quand je suis entré. Mon regard dérive vers ladite fenêtre. Il est vrai que les pierres qui composent la façade ne sont pas parfaitement encastrées, et qu’elles offrent de nombreuses prises… mais tout de même.
- J’ai une question que je voulais vous poser avant que vous ne preniez la fuite. Quel est votre nom ? J’en ai besoin. Pour l’administration. Demain.
Je ne pensais pas qu’il était possible de balbutier autant que mon conseiller.
- Au-auro -re..., elle bégaye après un long silence.
La sueur perle sur son front et dégouline sur son visage.
Je ne sais pas pourquoi elle a aussi peur de moi. Je décide d’appeler les gardes, histoire de ne pas prolonger sa torture intérieure.
Pourtant, quand elle disparaît de mon champ de vision, son état reste le même. Je prends conscience d’une chose : je ne suis pas l’objet de son effroi. La pendaison, en revanche, oui.
Les heures s’écoulent lentement tandis que je feuillette la plupart des livres traitant de visions, de rêves étranges ou d’autres bizarreries. Malheureusement, plus je lis, moins je suis convaincu de trouver une réponse à la question que je me pose : qu’est-il arrivé à Aurore ? A-t-elle vraiment des visions ou est-ce juste le fruit de son imagination ? Serait-il possible qu'elle ait développé une forme de lucidité comme les gens à la mémoire avancée ? Mais au lieu de s'introduire dans la mémoire des gens, elle verrait l'avenir ?
Malgré tous mes efforts, le mystère reste entier. Fatigué de retourner les mêmes souvenirs dans mon esprit, je laisse tomber mes recherches, pour le moment du moins, et décide de me changer les idées en me concentrant sur un objectif plus important : Zéphyr.
Au moment où je pousse la porte de sa cellule, il relève brusquement la tête.
Lui qui, d’habitude, ne bouge même pas le moindre doigt, daigne enfin me regarder quand j’entre ! De meilleure humeur, je lui lance :
- Prêt à me donner les informations que je te demande depuis bien trop longtemps ?
- Non.
Sa voix est rauque, mais ferme. Cassée par le temps passé en prison.
- Très bien. Tu finiras par me les crier de toute façon. Comment se nomme ton royaume ?
- …
- Zéphyr, où se trouve ton royaume ?
- …
Quand je l’interroge, je finis toujours par haïr sa mémoire infiniment développée, et sa capacité à repousser encore et encore mes intrusions dans ses souvenirs… C’est plus que je ne peux supporter.
- TU VAS ME LE DIRE, OUI ?!
Je le gifle. Sa tête cogne violemment contre les pierres. Un bruit sourd.
Et je vois du sang couler sur son crâne. Il me regarde. Et dans ce regard, je ne vois ni douleur, ni haine. Juste une profonde résignation.
Je lève le poing… mais je m’arrête. Pas par peur. Pas par compassion. Juste une seconde de lucidité, un souffle qui me retient de frapper une deuxième fois, poussé par la colère. Cela ne servirait à rien de toute façon.
Ce soir-là, dans mon lit à baldaquin, drapé dans des couvertures aux fils dorés, je fixe le haut plafond de ma chambre, pensif.
J’ai toujours été un grand stratège.
Déjà enfant, chacun de mes choix était soigneusement calculé pour obtenir exactement ce que je voulais. Je pouvais passer des heures à tout planifier. C’est encore le cas aujourd’hui.
Rien ne m’échappait. Pas même les détails les plus insignifiants.
Quand j'ai fait agrandir le palais, quand j’ai pris des responsabilités, quand j’ai chassé mon père du trône, tout s'emboitait si bien que rien n'aurait pu m'arrêter. Mon meilleur plan, d’ailleurs, celui de prendre officièlement la place du Roi.
Cela faisait un moment que je gouvernais déjà dans l’ombre, profitant de la mémoire défaillante de mon paternel à mon avantage. Quand j’ai rencontré Zéphyr et découvert ses objectifs, une idée a germé en moi. Je n’ai pas hésité. J’ai saisi l’occasion. J’ai obtenu ce que je convoitais.
Mais ce soir, je me demande… Était-ce un bon choix d’enfermer mon complice en prison ? Aurais-je dû lui soutirer les informations avant ? Et cette voleuse, affamée, qui cache un secret, ai-je eu raison de la condamner à mort ?
Pour la première fois, je remets en question mes propres décisions.
Pour la première fois, j’hésite sur la marche à suivre.
J’ai peur.
Peur d’être à la merci du hasard.
De ce que me réserve l’avenir.
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