Chapitre 8 : (Aurore)

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Me condamner à la pendaison et m’offrir un repas ?!! Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi contradictoire.

Cette attention, malgré la sentence qui se cache derrière, me bouleverse. Alors, je ne réfléchis pas. J’oublie ma méfiance, pour engloutir tout ce que l’on m’a donné, c’est-à-dire une miche de pain et des restes de toasts de la soirée dans laquelle j’ai débarqué.

Je mange comme si cela faisait des jours que je n'avais rien avalé. Ce qui est le cas. Pour l'instant, je suis juste une bête affamée, sans savoir-vivre ni bonne conduite. Puis, repue, je m’affale sur le sol et mes paupières se ferment d’elles-mêmes.

Je suis réveillée en sursaut par des coups frappés à la porte de bois du cachot. Je me redresse et remarque l’état de mes vêtements. Ayant dormi dans un mélange verdâtre et malodorant sans le savoir, je suis maintenant couverte de ces immondices. Je réprime une grimace. Je ne veux même pas imaginer de quoi elles sont composées.

Des gardes envahissent la pièce, et m’embarquent sans un mot. Ils m’entrainent dans le couloir et je n’oppose aucune résistance. Ils sont trop nombreux. Cette fois-ci, je ne pourrais pas échapper à la mort. Pierre m’a peut-être préservé de la faucheuse pendant mon enfance, mais aujourd’hui, je suis seule. Personne ne me sauvera.

Les hommes en armures me font traverser la cour, passer les portes du château. Quelle ironie ! Il aura fallu que je me fasse attraper pour sortir du palais. L’un de mes geôliers m’agrippe le bras, comme pour anticiper une tentative de fuite. J’ai beau me tortiller, sa poigne ne se desserre pas. Il va sûrement laisser des traces de doigts sur ma peau déjà sale et abimée.

Nous arrivons devant la grande grille qui sépare le premier et le deuxième niveau. Derrière, les gens brandissent des pancartes, criant et passant les mains entre les barreaux. La foule est toujours aussi dense que lorsque je l’ai laissée.

Les gardes chargés de surveiller l’entrée nous ouvre, et contiennent les protestants le temps pour nous de franchir la barrière. Les Eldoriens se calment un instant lorsqu’ils m’aperçoivent puis comprennent en voyant mes poignets enchainés. Je vais être pendue sur la place. Comme Pierre. Comme tant d’autres.

Et, soudainement, l’espace autour du grillage est libéré. J’écarquille les yeux lorsque le garde qui me comprimais le bras se reçoit un bout de bois. Des débris se mettent à pleuvoir de tous parts. Je me protège tant bien que mal mais ce n’est pas nécessaire : les gens ne me visent pas. Non, ils s’en prennent aux hommes en armure.

Une femme hurle et sa voix parvient à se faufiler à travers les cris.

- Vous nous abandonnez, vous nous laissez mourir de faim, et maintenant, vous nous exécutez ?! Trahison !!

La foule crie d’approbation. Un mouvement aussi dense, jamais je n’en avais vu de toute ma vie. Pour une fois, le peuple s’est réuni pour se soulever contre le pouvoir en place. Peut-être ai-je une chance de survivre.

Mais soudain, tout le monde se fige. Le silence se fait, pesant. Les portes de la grille s’ouvrent dans un grincement, et le Roi apparaît, entouré de sa garde personnelle.

- Chers sujets ! J’ai entendu votre voix depuis mon palais, et compris votre situation. Je m’excuse d’avoir été aussi peu à votre écoute. J’ai donc décidé de vous offrir mon aide pour rebâtir le plus de maisons possible. Dès demain, j’affecterai une de mes troupes aux travaux de reconstruction et organiserai ici même un système de distribution de nourriture pour les plus nécessiteux.

- Et la fille ? Allez-vous quand même la tuer ? demande un homme.

Le Roi semble réfléchir. Je ne le lâche pas des yeux, attendant sa réaction.

- Je pense que vous êtes les mieux placés pour juger cette jeune femme, répond-t-il enfin. Elle a tenté de dérober les trésors de la couronne. Devrais-je la faire exécuter ou devrait-elle expier sa faute en prison ?

Les voix des protestants se mêlent pour tenter de décider quel sort serait le plus approprié. Mais malgré ma concentration, leurs paroles parviennent à mes oreilles tels de sons incompréhensibles. A mesure que le bruit s’amplifie, mon stress fait de même. Ils débattent, ma vie entre leurs mains, et je suis impuissante. Je sens la tension s’intensifier en moi, et des gouttes de sueur perlent sur mon front. Les rayons me brûlent, et j’ai chaud, si chaud !

- Nous avons fait notre choix ! Déclare soudain un vieil homme.

Les gens s’écartent sur son passage, lui permettant de rejoindre le Roi. Celui-ci fronce les sourcils à sa vue, mais ne dit rien. Il m’offre un sourire chaleureux, et son aura bienveillante me renvoie à celui qui m’avait offert son manteau lors du raz de marée. Ce sont les même personnes.

- Cette jeune femme a agit car elle était morte de faim. Elle représente l’ampleur de notre détresse, et nul ne sait combien d’entre nous aurions fait comme elle, si rien n’avait évolué. Aussi, elle ne mérite pas la pendaison. Pour son vol, elle sera incarcérée. Le choix de la durée vous appartient.

Henry se tourne vers moi, ses yeux plongeant dans les miens. L’espace d’un instant, j’ai l’impression d’être mise à nue par son regard, et d’étaler devant tous ma peur, mon angoisse et mon espoir de survivre. Lui ne semble rien ressentir.

- J’aviserai avec la principale concernée, finit-il par dire.

Puis il sourit à son peuple, avant de se retourner. Les gardes me font signe de le suivre et nous revenons sur nos pas. Avant que la grille ne se referme, j’entends un lointain aboiement plaintif. Je lève la tête, et repère dans la foule une silhouette familière. Luffy gémit et mon cœur se serre à l’idée de le laisser seul.

Mais je n’ai pas le choix.

De retour dans ma cellule, les gardes attachent mes menottes à une chaine au centre de la pièce et repartent sans un mot. Le battant grince, et me voilà plongée dans l’obscurité.

- Aurore.

Je sursaute. Henry s’est assis sur la planche de bois accrochée au mur, que je n’avais pas remarquée hier. Dans sa bouche, mon prénom est fade, sans valeur.

- Viens, il m’ordonne.

Je n’ai pas d’autre choix que d’obéir à l’injonction et je m’assois à l’extrémité du banc. Mes vêtements sont dégoulinants de saletés. Cela reflète bien ma place dans la société : la souillon du troisième niveau, qui vole pour survivre.

- Parle-moi de ces choses que tu as vues hier.

C’est plus un ordre, là encore, qu’une simple demande. Je ne sais pas du tout pourquoi il s’y intéresse autant, à cette stupide hallucination. Devant mon silence, un peu trop long à son goût, il se penche vers moi.

- J’ai un marché à te faire. Je ne te tuerai pas si tu réponds à toutes les questions que je te poserai te concernant.

- Mais… Vous aviez dit que vous…

- Alors, contente-toi de me donner les informations que je veux.

J’acquiesce, tremblante. Cet homme a beau être mon Roi, il ne m’inspire pas confiance. Tout dans son attitude trahit une absence de sensibilité et une froideur presque inhumaine. De plus, il transpire l’arrogance et la suffisance. Comprenant ce qu’il attend, je lui raconte en détails ce que j’ai vu hier. Je lui dis que cela m’est déjà arrivé, il y a un an.

- C’était le jour du marché, et je tentais de me frayer un passage à travers tous les passants. La foule était si compacte que j’avais abandonné l’idée de frôler les gens, de peur de ne pas pouvoir m’éclipser si l’on me remarquait. J’avais donc bifurqué dans une allée que je n’empruntais pas d’habitude, pour rejoindre le troisième niveau. Étrangement, dans cette avenue, rares étaient ceux qui s’y aventuraient. Non pas que cette rue soit lugubre, simplement, les gens n’avaient pas de raison d’y passer. Il n’y avait pas de magasins, pas d’habitations, seulement quelques ruines, une cloison noire au deuxième niveau. Je me souviens m’être arrêtée devant l’une d’entre elles.

- Pourquoi vous êtes-vous arrêtée là ? Il n’y avait que des ruines, me demande-t-il, me ramenant à la réalité.

- Je ne sais pas… je mens en me détournant. Je peux continuer ?

- Oui, allez-y.

- Donc j’étais seule, en train de regarder une ruine, quand j’ai ressenti une vive douleur, semblable à celle d’une brûlure. Et tout est devenu noir. Puis, j’ai vu un très beau paysage. J’étais assise au sommet d’une montagne, mes pieds se balançant dans le vide. Devant moi, le soleil lançait ses derniers rayons avant de laisser place au crépuscule. Le ciel avait une teinte orangée, et les nuages s’étaient colorés de rose en plus de leur couleur habituelle. Ce spectacle était aussi fascinant que l’immensité verte qui s’étendait en contrebas, jusqu’à dessiner l’horizon. Je me rappelle qu’un sentiment de paix m’avait envahie. Puis, j’ai aperçue une belle jeune femme. Elle avait de longs cheveux blonds et bouclés et un sourire lumineux. Je ne sais pas pourquoi, mais le fait de la voir m’a rempli de joie. Elle s’est posée à côté de moi, m’a pris la main sans un mot, et a posé sa tête contre mon épaule. Tous les deux, nous avons profité du couché du soleil. Une fois l’obscurité installée, je me suis tournée vers elle, et je l’ai embrassé…

Je me tais, rougissante. Le plus troublant dans tout cela, ce sont les sensations que cette vision a provoquées. Comme si elle faisait vraiment partie de ma vie, de mes souvenirs.

- … C’est tout ?

- Oui, c’est tout, je réponds.

Un regard furtif vers son visage m’apprend qu’il est déçu. Il aurait sans doute préféré plus de contenu ou d’action. Peut-être aurait-il aimé savoir que, quand je me suis réveillée, j’ai entendu un bruit qui venait de la ruine. Mais je ne lui dis pas.

Parce que, sinon, je serais obligée d’expliquer que je me suis enfuie parce que j’ai cru voir une silhouette ressemblant à mon père décédé, et que le bâtiment détruit devant lequel je m’étais arrêtée… était autrefois la maison de mes parents.

- Je reviendrai demain, dit Henry en se relevant.

Encore perdue dans mes souvenirs, je ne réagis pas.

Le lendemain, comme il l’avait prévenu, il revient.

Cette fois-ci, je le salue :

- Bonjour, Votre Majesté.

Henry fronce les sourcils, mais ne dit rien. Comme la veille, il s’assied sur la planche qui me sert à présent de lit de paille, et je le rejoins. Mais au lieu de me poser des questions sur mes hallucinations, il me demande :

- Quel âge avez-vous ?

- 17 ans.

Je le regarde, surprise. Pourquoi veut-il donc connaître mon âge ?

- Quelles sont vos plus grandes peurs ? Vos plus grands rêves ? Êtes-vous orpheline ? Où habitez-vous ?

Je pâlis, comprenant soudain. Sa voix se fait plus forte :

- Vous êtes censée répondre à toutes les questions qui vous concernent !

Et là, je pense à toutes les choses qu’il va vouloir savoir. Je suis horrifiée. J’ai l’impression que l’on vient de m’arracher mes vêtements et que cet homme m’étudie sous toutes les coutures. Par réflexe, je croise les bras sur ma poitrine, mais cela ne suffit guère à empêcher des pensées terrifiantes de me traverser l'esprit.

Et si, un jour, il me demandait vraiment de me déshabiller entièrement ? Mon cœur bat à toute allure. Je suis livide. En arrière-plan, Henry se fait plus insistant. Non. Je ne veux pas répondre.

Non... Je dois... je dois...

Je dois dire la première chose qui me passe par la tête.

- J’ai… j’ai eu une vision hier soir.

Henry se fige. Il est sûrement aussi suspicieux que moi par mes paroles précipitées. Je détourne le regard.

- Eh bien, qu’attendez-vous pour me la raconter ? fait-il, impatient.

Je lui décris une scène tout droit sortie de mon imagination. Je la découvre en même temps que je la raconte : une île gigantesque, avec de grands parcs, et un majestueux palais. Je mens mal, mais il avale mon histoire avec avidité.

Une fois que j’ai terminé, il me demande des précisions sur certains lieux ou certaines personnes que j’aurais mal décrits. Puis, une fois contenté, il repart. Je suis à la fois soulagée d’avoir pu détourner son attention, et étonnée qu’il ait autant cru à mon histoire.

Les jours suivants se déroulent de la même manière. J’invente, Henry m’écoute avec attention, et je passe ma journée à créer une nouvelle vision, à la peaufiner pour la rendre la plus crédible possible. Les questions trop personnelles ne reviennent pas, et j’en suis ravie.

Cependant, j’ai peur. Tout cela ne peut pas durer indéfiniment.

Quand mes mensonges et la supercherie seront découverts, j’aurai signé mon arrêt de mort.

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