Chapitre 13 : (Henry)
- Je sais tout.
Aurore me regarde sans comprendre.
- Tous les mensonges, je précise.
Et elle pâlit.
Elle pâlit beaucoup ces derniers temps, chaque fois que j’évoque un possible retour sur la décision du peuple. Jusqu’à hier, je ne faisais que plaisanter à ce sujet. Jusqu’à ce que j’interroge Zéphyr.
Et qu’il me lâche, enfin, quelques informations, aux portes de la mort. Les serviteurs se sont occupés de lui. Ils lui ont apporté une serre d’eau, un morceau de pain rassis, pour qu’il reprenne des forces.
Je le réinterrogerai dans quelques jours. Mais avant, je dois m’occuper du cas de cette jeune femme.
En faisant des recherches dans la bibliothèque, je suis tombé sur un livre poussiéreux, tout en haut d’une étagère. « Mémoires avancées », il s’appelait. Par simple curiosité, je l’ai feuilleté. Et deux paragraphes dans la préface ont attiré mon attention. Ils m’ont immédiatement rappelé les visions d’Aurore.
"Et certaines de ces mémoires, qu’elles soient avancées, normales ou défaillantes se voient liées de façon surprenante. Selon l’Elite, ces connexions permettraient de préserver l’équilibre entre les amnésiques et les manipulateurs de souvenirs. Le phénomène des âmes liées est assez rare, mais néanmoins visible dans toutes les civilisations.
Les deux personnes concernées, lorsqu’elles ne se connaissent pas encore sont sujettes à des visions dés lors que leur moitié se trouve près d’elle. Elles n’ont aucun contrôle sur ce phénomène, qui les fait vivre les souvenirs de l’autre san prévenir. La douleur des premières fois peut s’expliquer par la finalisation du lien qui relie les âmes entre elles. Dés lors que celui-ci est achevé, les inconnus partagent leur mémoire et les capacités associées pour le restant de leur vie."
Ce qui m’a permis de faire le lien avec Aurore, c’est Zéphyr. Lors de son interrogatoire, il a dit que son pays s’appelait Ezenderia. Un nom que j’avais déjà entendu… dans une des visions décrites par Aurore. La toute première, je crois. Elle l’avait eue juste devant la porte de sa cellule.
Dans ma tête, les pièces du puzzle ont commencé à s’emboîter. Et elles formaient un tableau… limpide.
Deux certitudes s'imposent à moi :
1) Zéphyr et Aurore sont des âmes liées.
2) Zéphyr a donc, lui aussi, des visions.
Il a accès aux souvenirs d’Aurore.
Cette information, sans que je sache vraiment pourquoi, m’a mise en rogne. Rien que d’y repenser, je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils. Il a… tout ce que je convoite. Et cela ne me plaît pas du tout.
Il est affamé, repoussant à cause du temps passé dans cette cellule et son rang social végète au fond de l’océan ! Comment pourrais-je me montrer jaloux de lui ?
Je me reconcentre sur mon objectif premier. Ressasser le passé n’a jamais été utile.
- Pendant tout ce temps, je t’ai fait confiance, je t’ai bien traitée. Et toi, tu me mentais.
Je prends mon temps. Je ponctue mes phrases de silences lourds. Je veux qu’elle ait peur. Qu’elle comprenne que la sentence peut tomber à tout instant.
Je savoure cette supériorité, voir son expression changer sous l’attente de mes paroles fatales. Puis, lorsque cela commence à durer, j’arrête de tourner autour de ce qui l’inquiète réellement pour répondre à la question qui la hante.
- J’ai décidé de te laisser une dernière chance. Tu seras déplacée dans une autre cellule, et menottée en guise d’avertissement, mais tu ne seras pas pendue pour tes méfaits.
Elle ne répond rien, mais ses épaules s’affaissent, soulagées.
- Je préfère te prévenir, je suis capable de manipuler les souvenirs des gens. Si tu tentes encore de te jouer de moi, je le saurais vite. Et je ne me montrerais pas aussi clément.
Aurore écarquille les yeux devant mon sérieux et mon ton froid, presque menaçant. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que je suis, pour une raison inconnue, incapable d’entrer dans son esprit. Sa mémoire repousse chacune de mes attaques comme si elle se débarrassait d’une poussière. Aussi, je m’assure qu’elle ne me mente jamais et réponde toujours à mes questions.
Quand je me suis rendu compte qu’elle et Zéphyr étaient âmes liées, il a été facile d’arriver à la conclusion qu’elle me mentait quand elle disait avoir des visions dans sa cellule, trop éloignée de lui.
C’est en imaginant la sentence qu’un plan m’est venu à l’idée.
Un plan qui me permettait de trouver une excuse valable pour la garder en vie, et qui donnait plus de chances de trouver l’emplacement exact de l’île que je convoite.
Un plan risqué, qui repose sur la fidélité d’Aurore, et l’état déplorable de Zéphyr.
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