Chapitre 16 : (Zéphyr)

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Mon crâne me lance.

La douleur surgit, sourde, dans les ténèbres. Elle enfle jusqu’à devenir insupportable.

J’étouffe un cri. Ma boucle se tord dans un mouvement simple qui me semble étranger. Douloureux.

Le premier mouvement depuis… longtemps.

Peu à peu, les sens resurgissent. Si la fraîcheur me fait de l’effet, je frissonne comme pas possible , c’est l’odeur qui m’intrigue le plus. Les souvenirs me revenant peu à peu, je me rends compte que l’odeur de moisissure, de pourriture et de sang s’est atténuée, remplacée par un doux et timide parfum que je ne saurais décrire. Le bourdonnement dans mes oreilles s’attenue, me permettant de capter ma respiration plutôt irrégulière, des cris étouffés de prisonniers lointains et… Je me fige. Me concentre.

J’arrête même de respirer quelques secondes, pour être sûr que j’ai bien entendu.

Un autre souffle.

Tout proche.

Calme et apaisé. Comme si un autre que moi dormait dans la même cellule. Je me force à ne pas paniquer. À bouger lentement. D’abord mes doigts raides, puis mes poignets meurtris par les chaînes. Puis, dès que je me sens prêt, j’ouvre les yeux. Je m’accommode facilement à la faible luminosité et quitte enfin le brouillard d’engourdissement et de passivité dans lequel je m’étais réfugié.

Devant moi, l’un des murs de pierre de la prison. Avec ses irrégularités familières, mais anormalement plus claires, sans la couche de poussière, de crasse et autres qui s’y accumulaient. Je me redresse pour faire circuler le sang et reprendre mes repères. Je suis assis sur la planche de bois qui sert de lit. À mes pieds, deux ou trois bouts de pain et un verre d’eau qui me font réaliser à quel point je meurs de faim. Le sol, tout comme les murs, a été débarrassé de la vase d’immondices qui le recouvrait.

Et…

Dans un coin de la cellule…

Une jeune femme, d’à peu près mon âge.

Recroquevillée sur elle-même, la robe tachée et déchirée. Ses cheveux brun roux tombent en boucles devant son visage serein. Son teint pâle et son corps maigre trahissent le temps passé enfermée.

Depuis quand est-elle là ? Ai-je beaucoup dormi ? A-t-elle nettoyé la pièce ? Comment ?

Qui est-elle ?

Toutes ces questions me font mal à la tête. Soudain elle fait un mouvement, et je me raidis, silencieux. Elle marmonne quelque chose avant de se retourner. J’attends, et à mon grand soulagement, elle ne se réveille pas.

Je décide de me lever pour l’observer de plus près.

Mauvaise idée. À peine ai-je quitté le lit que mes jambes, trop faibles pour soutenir mon poids, me font tomber. Je serre les dents. De tous les adjectifs qui me qualifient, faible est certainement le pire.

J’entends un froissement de vêtements.

Elle s’est réveillée.

Je me retourne et nous nous dévisageons sans aucune gêne.

Elle a des yeux turquoise magnifiques. Les miens, d’un triste mélange de vert et de gris, ne sont pas aussi beaux. Son regard se détache du mien pour se poser sur le repas.

- Mange, me dit-elle en inclinant la tête. C’est pour toi.

- Non, mange-le, je réponds en lui tendant les morceaux, alors que mon ventre crie famine.

Elle regarde ma main, puis mon visage. Finalement, elle dit :

- Tu en as plus besoin que moi.

Mon ventre gargouille atrocement, comme pour lui donner raison. J’insiste encore.

- Prends-en un. Les autres me suffisent.

Je ne sais pas depuis combien de temps elle est enfermée ici, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle doit être affamée aussi. Elle hoche la tête, résignée, et saisit le plus petit bout.

Le pain est rance, dur, mais je le dévore. Je jette de petits coups d’œil à la jeune femme assise à quelques mètres, en train de grignoter son morceau avec appétit. Elle me fait signe de boire, et je ne me fais pas prier. Sentir l’eau couler dans ma gorge est si bon ! Ce festin, à défaut de me rassasier complètement, m’aidera à attendre le prochain… qui ne risque pas d’arriver avant longtemps.

Tiens, en parlant de temps…

- Combien de temps ai-je dormi ?

- Trois semaines, elle répond. Enfin, trois semaines ont passé depuis que je suis ici.

Trois semaines ?!

Je n’en crois pas mes oreilles. L’information repasse en boucle dans mon esprit sans que j’arrive à l’assimiler.

- Au moins, pendant ce temps, il t’a laissé tranquille. Tes blessures ont pu cicatriser.

En effet, je réalise en touchant le haut de mon crâne où la plaie s’est refermée, et en inspectant mes bras et mes jambes. Seuls mes poignets sont dans un sale état.

- C’est toi qui as nettoyé la cellule ?

Elle hoche encore la tête. Si elle ne l’avait pas fait, j’aurais eu plus de risques que mes blessures ne s'infectent. J’aurais pu y rester. La gratitude laisse place à un élan de curiosité.

- Merci d'avoir nettoyé euh… commençai-je, en espérant qu’elle me donne son prénom.

- Aurore, lâche-t-elle d’une petite voix.

- Moi, c’est Zéphyr, je réponds, et c’est sûrement indiscret de ma part mais pour quelle raison vous a-t-on envoyé ici ?

Elle reste muette quelques secondes. J’en déduis qu’elle se demande si elle peut me livrer cette information ou pas.

- J’ai tenté de voler le roi.

- Pardon ?!

Je ne peux pas imaginer qu’elle, aussi gentille et timide soit-elle, ait pu avoir le courage de… Non, impossible. L’incrédulité doit se lire sur mon visage, car elle précise :

- J’ai toujours dû voler pour survivre, au troisième niveau. Seulement, depuis le raz-de-marée, même les plus riches du premier niveau commencent à économiser la nourriture, à en constituer des réserves.

- Il a été si violent que ça ?

- Oui, confesse-t-elle. Beaucoup de gens n’ont pas réussi à atteindre les abris assez vite et se sont noyés. Ceux qui en sont ressortis vivants peinent maintenant à survivre à cause du manque de nourriture et de bâtiments en bon état.

Je ne m’attendais pas à ce que cela prenne une telle ampleur.

Je m’étais aperçu que les portions avaient baissé depuis la catastrophe, mais je n’avais pas réalisé à quel point les gens mouraient de faim dehors, tellement qu’ils étaient assez désespérés pour tenter de voler leur propre roi.

Aurore se met à parler, mais si bas que je ne comprends pas. Elle me regarde — c’était peut-être une question qui m’était adressée.

- Viens, je lui fais signe. Je ne t’entends pas.

Je m’accroche à la planche de bois derrière moi et parviens à m’asseoir dessus. Je suis essoufflé, mais l’effort en vaut la peine. Elle vient s’asseoir à côté de moi, timidement, sur l’autre extrémité du lit. Son froncement de sourcils m’indique qu’elle s’inquiète pour moi, mais elle ne me dit rien concernant mon état. À la place, elle demande :

- Depuis combien de temps es-tu enfermé ici ?

- Pourquoi cette question ? je lui demande en retour.

- Vous êtes au courant pour le raz-de-marée, donc vous ne faites pas partie de l’unité qui est revenue de l’expédition maritime il y a peu. Vous ne semblez pas être un simple noble qui ne se soucie que de son bien-être au point de ne pas voir la misère autour de lui. Si vous êtes aussi mal informé, c’est parce que cela fait longtemps que vous êtes ici… Mais combien de temps ?

- Trois mois, peut-être quatre, je crois.

Je lui laisse le temps de digérer ma réponse. Perspicace comme elle est, la durée que je lui ai donnée doit lui paraître très longue. Trop pour avoir commis un simple larcin.

- Mais… commence-t-elle, en train de réfléchir. Qu’avez-vous fait pour rester aussi longtemps en prison ?

J’étais sûr qu’elle allait me poser cette question. J’aurais voulu qu’elle ne me la demande pas.

- Je… ne peux pas te le dire.

- Mais… Je t’ai bien révélé la cause de mon emprisonnement moi ! elle proteste.

- Ce sont des informations sensibles, j’argumente.

Elle ouvre de grands yeux. Se raidit.

- Donc tu ne me fais pas confiance.

Sa réaction outrée me fait déjà regretter mes paroles. Je n’avais pas le choix. Mais je me sens coupable de lui faire ça. Je tente de trouver des explications. Des excuses. N’importe quoi qui pourrait effacer cette expression blessée sur son visage.

- J’ai des raisons. Et tu finiras par comprendre… Mais s’il te plaît, ne m’en veut pas si je ne peux rien te dire.

Elle me regarde, et soudain ses yeux s’écarquillent.

- Tu ne veux pas, parce que tu as commis quelque chose d’atroce…

Je vois la peur l’envahir petit à petit. Elle se lève précipitamment et recule dans le fond de la cellule. Comme si, l’espace d’un instant, je m’étais changé en monstre. Et cette pensée me déchire le cœur sans que je sache pourquoi.

- Non, ce n’est pas…

La porte s’ouvre, m’empêchant de finir ma phrase. M’empêchant de changer d’avis pour tout lui avouer.

Trop tard.

Henri entre dans la cellule. Il me remarque et un sourire se dessine sur son visage. Contrairement à lui, le mien se ferme.

- Enfin réveillé après des semaines ! J’ai cru que tu ne te réveillerais jamais.

Sa fausse joie m’énerve à me faire grincer des dents. Je n’ai pas autant de patience que d’habitude. Je perds mon sang froid quand il ajoute :

- Ah, j’ai hâte que l’on reprenne notre conversation là où elle s’était arrêtée.

- Tu n’as pas perdu ton temps, à ce que je vois. Tu es venu “m’interroger”, comme tu dis ? Devant elle ? Vas-y, si tu veux. Qu’elle voie un peu le roi faire saigner à mort ses prisonniers, je raille. De toute façon, tu n’obtiendras rien.

- C’est une proposition plutôt bonne, je dois l’admettre, semble réfléchir Henry. Mais aujourd’hui, ce n’est pas toi qui m'intéresse.

Mon masque se brise entièrement quand je comprends le sens de ses paroles.

Il est venu pour elle.

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