Chapitre 20 : (Aurore)
- Non ? Cela fait trois mois que vous le torturez... pourquoi continuer ?
- J’ai mes raisons, répond Henry froidement.
Je suis stupéfaite. De tous les arguments auxquels je m’étais préparée… Il me prend pour une fillette incapable de comprendre !
Henry se remet en marche pour couper court à la discussion, mais cette fois-ci, je ne compte pas abandonner avant d’avoir obtenu gain de cause. Je le rattrape au pas de course, manquant de glisser sur le carrelage de marbre du couloir, et me place face à lui. Perdu dans ses pensées, il me remarque à la dernière seconde et manque de me rentrer dedans. Je lève la tête et croise son regard dur. Je ravale ma salive péniblement. C’est mal parti pour le faire changer d’avis.
Je prends mon courage à deux mains avant de me lancer. Et tant pis si ce manque de coopération me retombe dessus. Je dois essayer. Il en va de la vie d’une personne.
- Si vous continuez, vous finirez par le tuer.
Il croise les bras sur sa poitrine. Un roi qui n’aime pas voir ses décisions contestées.
- Et alors ?
- Ce n’est pas honnête et digne d’un bon roi de condamner un homme à la souffrance aussi longtemps. Même pour un meurtrier, ce n’est pas souhaitable.
Le mot "meurtrier" me rebute. Surtout lorsque je dois le lier à Zéphyr. Car malgré toutes les charges contre lui, je ne peux me résoudre à le voir comme un monstre.
- Qu’est-ce qui te prend de critiquer mes décisions ? coupe-t-il, piqué au vif. Mes choix sont toujours les bons. Et puis de toute façon, je ne comptais pas le tuer. J’ai encore besoin de lui.
Dans ma tête, un gros soupir de soulagement se fait entendre. J’ai peut-être une chance d’obtenir ce que je veux, finalement.
- Pourquoi avez-vous besoin de lui ?
Il me regarde, méfiant. Il me trouve sûrement plus bavarde et curieuse que d’habitude, et il se demande pourquoi. Pour éviter toute confusion, j’enchaîne, n’hésitant pas à mettre les pieds dans le plat.
- Cela n’aidera pas à faire revenir votre...
- Je sais ! me coupe-t-il en colère. Je ne suis pas idiot !
Puis il soupire.
- Ce n’est pas pour cela que je l’interroge. Il y a des choses bien plus urgentes que mes problèmes personnels. Le royaume se meurt depuis que cette vague gigantesque a fait ses ravages, et la seule solution, c’est de s’installer sur une autre île. Et il y en a une à portée de main, deux fois plus grande et accueillante que celle-ci. Et le seul obstacle qui se dresse entre moi et cet objectif, c’est cet homme qui refuse de m’indiquer les coordonnées de l’île !
Il finit sa phrase en criant, dos à moi. Quand il se retourne, je remarque sans mal le poids qui réside sur la conscience de Henry.
Un véritable coup à mon cœur.
Depuis tout ce temps, j’ai cru le roi égoïste, centré sur lui-même, sans cœur, et je réalise maintenant que malgré tous ses défauts, c’est un homme qui s’inquiète pour son peuple et veut le meilleur pour lui.
Pour Eldory, il est prêt à tout.
Je me sens stupide de l’avoir mis en colère à présent. Il n’a pas besoin que je lui rappelle les traumatismes de son passé.
- Excusez-moi. Je n’aurais pas dû rouvrir d’anciennes blessures, je baisse les yeux et me détourne.
- Ce n’est pas grave. Tout le monde fait des erreurs, répond-il en me prenant la main. Vous ne pouvez pas deviner que je ne torture pas un homme par rancœur.
Je me retiens de retirer ma main de la sienne, gelée. Je me rapproche de lui, malgré mon appréhension et ma peur. Je donne mon dernier argument en faveur de Zéphyr.
- Peut-être que vous pourriez obtenir les informations que vous voulez d’une autre manière que par la torture, je suggère à voix basse. Peut-être que je peux faire en sorte qu’il me dise ce que vous voulez savoir, après avoir gagné sa confiance.
Il réfléchit. Mes yeux ne peuvent se détacher des siens. Le temps semble suspendu.
- En combien de temps penses-tu pouvoir gagner sa confiance ? me demande-t-il, et je sais que la victoire est à portée de main.
- Cela dépend, je dis, de la façon dont je m’y prends.
Le sous-entendu est osé. Mais si je veux que cela marche, je n’ai pas le choix. J'abas ma dernière carte.
- Si je dois employer les grands moyens, j’aurai des réponses à partir de la semaine prochaine à vous communiquer. Dès que j’aurai obtenu ce que vous convoitez, vous pourrez vous en débarrasser définitivement. Il découvrira la trahison le jour où il mourra, et cela n’en sera que plus... satisfaisant pour vous.
Les dés sont jetés.
Je ne sais pas à quel point je me suis fourrée dans les ennuis. Ça en vaut la peine cependant. Zéphyr ne mourra pas tout de suite. Même si je ne fais que repousser sa mort pour l’instant, j’ai bien l’intention de gagner assez de temps pour trouver une solution et éviter qu’il soit pendu.
- Raccompagnez-moi en cellule, je rajoute en m’éloignant. Cela vous laissera du temps pour réfléchir à ma proposition.
Deux mains m’enserrent la taille et je me fige. Je ne l’avais pas entendu arriver. Je sens son souffle chaud sur ma tête, mais je n’ose pas me retourner. Il replace une mèche de cheveux derrière mon oreille, délicatement, et je frissonne.
Il me chuchote, la bouche à quelques centimètres de mon cou :
- Si j’accepte... prend garde à ne pas tomber amoureuse de lui. C’est un meurtrier. Il ne te mérite pas.
Il me lâche pour me passer devant et mener la voie.
Je reste figée quelques secondes, avant de le suivre à une distance raisonnable pour qu’il ne puisse pas me toucher encore.
La phrase qu’il m’a dite résonne encore dans ma tête, me faisant froid dans le dos. Le sous-entendu ne m’a pas échappé. Et ne me rassure pas du tout.
Au contraire.
À partir de maintenant, si je veux m’en sortir indemne, il faut que je ne fasse aucune erreur.
Sinon, soit il me tuera, soit il...
Non. Je vais réussir. Je n’ai pas le choix.
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