La pension.

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Après le sale coup qu’on m’avait fait, je comptais bien en tirer parti. Mes compagnons, ces faux frères me devaient bien une soirée à la Bodéga. Ici sous les dômes de l’astroport de la lune Minor, il faisait bon, voire chaud, surtout quand on sait qu’à l’extérieur la température pouvait varier de – 80° à + 110°.

De par mes origines je suis, comme beaucoup des miens, ennemi du froid, assoiffé de soleil, de cet astre qui éclaire cette lune perdue, sous son ciel infiniment noir. Son sol montagneux est truffé de cratères souvent recouverts de coupoles de verre blindé, reliées entre elles par un réseau tentaculaire de tunnels. Minor abrite une population hétéroclite de civils, de militaires, d’humains, de post-humains, de transhumains, de cyborgs, d’androïdes et de robots. Tout ce petit monde habite Octopus Minor, base principale des troupes de l’UDI.

A l'arrivée, c’est vrai que j’étais endormi dans un sarcophage cellulaire. Mais si j’avais été conscient, Octopus Minor m’aurait apparu avec au premier plan, sous l’immense dôme principal aux vitrages polarisés, d'énormes constructions en régolite rougeâtre serrées les unes contre les autres ; puis derrière, dans une perspective légèrement descendante, se confondrait d'innombrables cubes d’habitations de toutes tailles constitués d’un ensemble d’alliages et d'une tonalité uniformément grisâtre, terne monochromie se trouvant entaillée par huit voies tortueuses à la façon d'un immense réseau de tentacules.

En règle générale, les premiers pas qu'on fait, quand on a mis pied sur cette lune, sont toujours assez malaisés malgré ou à cause d’une gravité moindre.

Donc, ce gai matin de juin, je sortais solitaire, encore groggy de l’état-major où on m’avait promu sans autre forme de procès Adalid. En sortant du bâtiment militaire hérissé de drapeaux, d’antennes, de paraboles et de batteries de défense, je m'engageai dans une rue relativement étroite resserrée entre deux rangées de maisons rappelant deux falaises ruisselantes de condensation.

Cette rue Petite la Tentacule Midi était encombrée de quadriges attelées de iotas*, de trottinettes, de VLE (véhicules légers électriques) jusqu’aux places de San-Burgos et de Armatas qui sont à l’extrémité de cette rue. Cette dernière était agrémentée d'un square gracieux, quadrangulaire complantée d'arbres violets et de pelouses de mousse fluorescente, après lequel venait une chaussée qui était dure à parcourir à mon passage car humide et glissante.

Cette rue dénommée "Petite la Tentacule Midi", présentait trois kilomètres de longueur en défilé vraiment rebutant, occupé par des quadriges aux roues caoutchoutées qui avançaient au pas de course, mais aussi par de rares omnibus aux roues de carbone patinant sur un pavé atroce de régolite moulée, car trop souvent trempée à cause de la condensation des coupoles de verre. De leur côté, les piétons n'avaient pour tout espace de passage, que deux trottoirs étroits à peine larges d’un mètre quarante centimètres, où on devait sans cesse faire attention, pour ne pas se bousculer et pour ne pas descendre sur une voie qui n'avait guère d'écoulement d'eau, hormis deux petits caniveaux toujours prêts à déborder sur la chaussée, les égouts s'engorgeant trop souvent causant des bains de pieds qui étaient le moindre de ses maux.

Pourtant aujourd'hui, cette rue se parcourait plus aisément, les pompes avaient dû travailler à plein régime, elle brillait de propreté. Les robots cleaner devaient y être pour beaucoup. Ce qui faisait qu’au lieu de regarder mes pieds je pouvai examiner les cubes d’habitation. Ils avaient de larges ouvertures aux vitres épaisses, à travers desquelles on devinait de beaux magasins, d'avenantes salles de restaurants, aux murs colorés, où il ferait bon entrer.

Mais se loger n'était pas une sinécure, surtout que j’avais refusé d’occuper une chambre à la caserne de l’UDI.

Dans cette cité lunaire dont l'importance s'accroissait d'une année sur l'autre : ces dernières dix années, la population avait augmenté de plus de 380,000 âmes, si l’on ne comptait que les individus plus ou moins humains, il allait sans dire que rien n’avait été établies en proportion, les quartiers résidentiels étaient insuffisants. Sans doute, on y trouvait déjà quelques palaces, assez d'autres hôtels, plusieurs centaines de maisons meublées, mais peu de pensions de famille, asiles tranquilles qui sont choses si appréciables pour des gens comme moi, après un long voyage et de nombreux combats. Le moindre logis a des prix forts élevés : par exemple, pour un lit dans un hôtel capsule. Ici, une nuit coûte 25 crédits. Oubliez confort et espace, c’est le monde de l’infiniment petit. Dans les hôtels capsules, qui ressemblent à des dortoirs, vous passerez la nuit dans une sorte de minuscule cocon, où le maître-mot est optimisation ! Dans cette capsule plus ou moins étanche, plus ou moins insonorisée, vous aurez droit à un matelas de bionéoprène, un mini écran 3D, un petit coffre-fort à serrure digitale et un masque à oxygène. Vous l’aurez compris, on y dort mal, quand on y dort.

Pour situer le coût des choses, les gargotes infiniment plus nombreuses offrent un repas ordinaire pour à peine 2 crédits. Je parle de crédits comme unité de monnaie, mais l’unification monétaire dont le besoin se fait sentir n’est pas pour tout de suite. Encore de nos jours, une extrême confusion règne parmi les monnaies ; des pièces d'or, d'argent, de platine, terriennes, martiennes, ou autres, circulent à des taux si variés que c’est à en dérouter la tête ou le logiciel le plus solide.

Me voici enfin casé dans une pension de famille réservée aux almogávares dont je peux décrire l'extérieur et l'intérieur. C'est plutôt un gros cube avec un rez-de-chaussée et un étage peint en tons beige, l’immeuble est troué de larges ouvertures pourvues de forts barreaux escamotables et de persiennes en métal blindé, quatre fenêtres au rez- de chaussée et au premier étage, un balcon qui fait tout le tour du bâtiment. Cette architecture courante pour ces préfabriqués cosmiques, montre un aspect pratique, simple à transporter et à mettre en œuvre.

Toutefois l'architecture soignée comporte un avant-corps à colonnes, toutes cannelées et portant de grosses lanternes à diodes. Sur un côté, un hall d’entrée, ordinairement vide ou occupé parfois sur par une charrette ou un quadrige aux roues grêles chaussée de caoutchouc. Les anneaux scellés au mur servent à enchainer les iotas. Passé le hall on atteint l'intérieur proprement dit. D'abord une pièce rectangulaire, la salle à manger « menjador », avec table et chaises. A gauche, une porte s'ouvre sur un salon « gran saló » meublé d'une table revêtue d’un polymère vernis, de fauteuils de rotin d’Exo, d'un piano jukebox, d’un grand écran 3D, de plusieurs tableaux fait main, d’un plan d’Octopus Minor. A côté, se trouve ma chambre, « habitació », décorée d'une armoire à glace en taule de galva, d’un bureau, d’une petite table ronde, d’un fauteuil et d’une chaise, d'un lit volumineux à mémoire de formes qui supporte une literie en duvet synthétique, un écran mural, une mini salle d’eau avec w.c. et cabine régénérante, d’un terminal d’intercom avec commande domotique, d’un masque à oxygène, et d’un distributeur de boissons et de protéines. Cette chambre communique par un couloir avec quatre, cinq, six pièces identiques se succédant à la file et chacune avec porte et fenêtre sécurisées. La cour, ou « pâtio », occupe un espace allongé au fond duquel est située la cuisine, « cuina ». Toutes les pièces ont des murs simples à structures en nids d’abeilles, des plafonds hauts, un pavage presque uniforme de carreaux en dalles de régolite polie.

Il est midi passé, aussi je préfère manger à la pension. J’ai demandé qu’on me serve en chambre car je ne suis pas vraiment d’humeur et je serais un bien mauvais convive.

La tables rondes nappées de linge immaculé m’attend. Un alerte cyborg, vêtu d'un pantalon noir et d'une simple chemise blanche, vient m’offrir la carte tablette où des plats appétissants apparaissent en relief avec à la clef un odorama assez concluant, les tarifs s’affichent sur simple pression : au menu, nombreuses soupes chaudes ou froides, viandes en sauce, excellent foie de veau, hachis de viande fraîche ou de conserve, quantité de poissons, de riz long ou rond, de légumes, de fruits, de pâtes et gelées de goyave, ananas, coco, de confitures servies en même temps que les fromages. Un bon café se donne gratuitement ainsi qu’un cigare Newhavana.

Comme plats vraiment spéciaux, il y a les recettes catalanes ou l’on trouve : Patas ou ragoût de joues de porcs, pieds de veau, aux pommes de terre, olives et raisins confits. Après avoir adopté la coutume générale de boire de l'eau glacée, parfois violée pour une demi-bouteille de vin noir corsé Rioja, ou de la bière Marcia, ou Minor. Je choisis quelques tapas, une bonne fritta, un poulet rôti et une bouteille de Rioja Tinto. Après je prendrai mon café sur le balcon en fumant mon cigare.

J’ai poussé sur le balcon mon fauteuil et tout en faisant des ronds de fumée, je me suis laissé aller à un peu d’introspection. Du plus loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais aimé ni les décorations, ni les honneurs. Et présentement, j’en avais reçu une overdose pour plusieurs décennies à venir. Celui que je prenais pour un ami m’avait honteusement trahi, aussi je me voyais maintenant affublé du titre pompeux d’Adalid. Et comme si cela ne suffisait pas, je me devais de retrouver ce soir tous ces traitres à la Bodéga pour fêter mes nouveaux galons.

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