L'encre

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C'est interminable, ils vont me sortir d'ici seulement quand ils seront passés dans toutes les cages. Je n'entends plus de cris depuis longtemps, ils sont trop loin. Juste les vibrations de ce foutu rafiot galactique de la pénitence. Quand vous entrez dans ce cargo, il n'y a que deux sorties, l'arche ou la mort. Et dire que certain vont a l'Arche de leur plein gré, la folie ne cessera de m'impressionner.
Plus de lumière, la lampe c'est éteinte, plus que les vibrations, enfin, leur tâche est accomplie, ça se trouve que je suis le seul à avoir pris la lettre, c'est possible. J'entends enfin des bruits dans l'allé devant la cage sur le sol grillagé, il ou elle est seul vu le bruit d'une seule paire de bottes. Mais le bruit ne fait que passer sans s'arrêter.
Un deuxième bruit de pas, mais cette fois-ci, il s'arrête. Une main ouvre juste la trappe de sécurité, laissant passer un filin de lumière, et balance un petit paquet enrouler dans du tissu. L'obscurité revient dès que la trappe se referme. J'ai mémorisé l'endroit où est tombé l'objet. Je me déplace sans un bruit, ramasse le paquet. Le tissu est rêche, au contact de son contenu, aucun doute, un long tube de plastique aux bouts renforcés. Une cartouche d'encre sans aucun doute, l'autre objet et par déduction un percuteur.
Je prends la tige, l'apporte à mes lèvres sèche, place le percuteur de l'autre côté et allume cette saloperie d'encre. Le bruit caractéristique de l'embout de la cartouche qui s'allume résonne dans la cage. Puis une étincelle et le bout du tube s'allume d'un orange incandescent, éclairant faiblement la pièce. Je tire un coup sur le tube. L'air passe par le filtre brulant allumé par le percuteur. Ce foutu liquide bleu foncé qui lui vaut son nom d'encre, s'évapore au passage de l'air brulant et vient envahir ma bouche, mes poumons.
Dix cycles que je n'ai pas dû fumer d'encre, quand on est promu, on ne doit pas se rabaisser à fumer ce liquide bleu, même si presque tout le monde en fumait en cachette. Mais là, je n'ai rien d'autre à faire et surtout à perdre. La substance est illégale dans quasiment toute la galaxie et c'est aussi paradoxalement le produit le plus fabriqué. L'ironie de cette saloperie me fera toujours autant rire. Cette fumée est apaisante, ce goût âcre m'avait presque manqué. Je n'ai jamais fait durer une cartouche aussi longtemps, peu-têtre parce que c'est ma seule source de lumière et que je ne sais pas dans combien de temps, on arrive à destination.
Je fais évaporer la derrière once de liquide du tube et attend. J'écoute les râles et supplices de ce vaisseau cargo. Les joints qui craquent, les variations dans les tubes d'air, et les hurlements de temps en temps au loin. L'encre fait bien son effet, tout est décuplé, déformé, ça me rappelle quasiment la première fois que j'ai fumé ce liquide en écoles d'officier, il y a si longtemps.
Je n'ai même pas entendu les bruits de pas, que la porte s'ouvre sur une femme de la foi, dans la grande toge rouge des guides à la pénitence. Un tissu étrangement opaque et transparent à la fois. Le textile laissant visible les cicatrices et brûlures sur tout son corps, mais cachant les parties non marquées. Illusion ou effet de l'encre, je ne saurais le dire, mais il y avait bien plus de partie transparente qu'opaque sur sa robe.
Elle me fait un geste de la suivre. Ici personne ne parle, c'est la règle, tout est codifié, si on parle, c'est pour hurler. Je jette le bout de plastique par terre et le percuteur, avant de lui emboiter le pas. Son dos est tellement marqué que c'est presque dur de le regarder, pourtant des choses horribles, j'en ai vu.
Dehors, des cages, encore des cages alignées en hauteur, à la verticale, comme si on était juste de la marchandise. On passe devant la cage d'à côté, la Quatre-vingt-sept , mon fils et peu être encore étendu dedans, mort, je ne sais même pas. La femme en rouge ne ralentit pas. Puis les cages défilent, cents, deux cents, on tourne sur une passerelle à la Neuf cents, pour finir dans un dédale de couloir. On croise personne, juste de l'acier et de la rouille.
On s'arrête devant un porte, j'ai l'impression d'avoir marché des heures sans but. Derrière, une pièce, au confort limité, un lit et un espace toilette et douche. La seule chose impressionnante, c'est la paroi en face de la porte à laquelle je me trouve. C'est une grande vitre sur l'espace, le vide. Ça me laisse toujours sans voix d'êtres à une épaisseur de verrière de cet infini.
La femme me regarde d'un air insistant, je ne comprends pas, puis elle fait un geste de bras. J'allais lui poser une question, mais d'un geste aussi fluide que discret une dague apparu dans sa main droite. À quelque seconde prête, j'aurai été étendu au sol, la gorge tranchée, baignant dans mon sang. Malgré mon entraînement, je n'aurais jamais pu éviter son mouvement meurtrier.

Le protocole, encore et toujours. Cette partie, ce n'est pas celle que j'ai le plus retenue, malgré les méthodes assez 'marquantes' de mes parentes pour m'inculquer le savoir.

D'un grand geste de haut en bas sans que je puisse réagir, elle venait de couper le tissu de ma veste en cuir, sans même m'érafler la peau.
Je me rappelle, la pièce des lamentations ou quelque chose du style avant mon arrivée à l'Arche. Il faut être nu pour réfléchir face au vide, à nos erreurs. Je me déshabille avec hâte, malgré la précision de sa lame, j'aimerais éviter un deuxième. Je lui tends mes vêtements et rentre dans la pièce. Avant de fermer la porte, elle balance un sac de tissue par terre, plus gros que le premier, je ne suis pas encore arrivé, je m'allume une nouvelle cartouche.

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