Avait-elle vraiment envie de revenir ? De revenir dans sa maison ?

L'habitation en question, une demeure aux pierres autrefois blanches, était grande de deux étages au milieu d'un jardin envahi par toutes sortes de plantes immenses. Le grillage noir n'avait su résister au passage du temps et gisait à moitié défoncé, couvert de rouille.

Elle prit une respiration chevrotante. Allait-elle vraiment repartir si près du but après tout le chemin parcouru?

Elle se concentra sur sa respiration et se mit doucement à chantonner. Chanter lui faisit toujours du bien.

Sa voix s'éteignit lentement dans la rue déserte. Elle rouvrit les yeux, armée d'une détermination nouvelle, prête à revoir son passé.

Elle enjamba un morceau de ferraille revenant pour la première fois ici depuis... Vingt ans? Vingt ans de souffrance. Ses pieds se prirent dans une racine. Elle baissa les yeux et reconnut le rosier qu'elle avait planté avec son père pour sa mère.

C'était avant qu'ils ne déménagent. Et que la vie ne devienne insupportable.

Elle poussa la porte en bois qui grinça atrocement. Pourquoi le retour était-il aussi difficile? Elle comprit pourquoi quand son souffle se bloqua.

"- Papa!

- Ma puce! Comment vas-tu? Comment c'était à l'école?

- Trop bien, on a fait un peu de musique! C'était trop bien! On a chanté une chanson, mais je sais plus son nom...

- D'accord, tu viens manger une part de gâteau que maman a préparé, rien que pour toi?

- Pour moi? Maman!

- Dépêche-toi de le manger sinon je risque de ne rien laisser...

- C'est mon gâteau! Pas touche!"

Des larmes se mirent à couler le long de ses joues accompagnées du rire de son père. Ce souvenir disparut, pendant toutes ces années. Elle avait oublié comment il était. Un père génial, avant que la vie ne lui enlève sa femme.

Elle s'avança dans le couloir, effleurant les meubles. Elle fit ainsi tout le tour de son ancienne maison jusque sa chambre. Aucun changement. Mis à part l'odeur.

Ses peluches l'attendaient sur son lit. Elle se rapprocha et serra son lapin contre elle. Prostrée ainsi, assise par terre, son chagrin remontant à la surface, elle comprit qu'elle s'était mentie pendant des années. Elle avait souffert bien plus que ce qu'elle aurait voulu admettre.

Ses yeux se posèrent sur une photographie. Elle se figea. Doucement, elle la prit entre ses doigts. Malgré la poussière qui la recouvrait, elle reconnut sans peine les deux personnes dessus.

Ses parents, enlacés. Sa mère, le ventre rond.

Elle la retourna. Au nom de ce que l'amour peut nous faire faire. L'écriture de son père, si caractéristique.

Pendant toute ces années, elle avait souffert de la perte de sa mère bien sûr, mais aussi celle de son père, devenant l'ombre de lui-même et l'inverse de ce qu'il avait toujours été.

Elle vit alors une enveloppe sur sa table de nuit. Ses doigts tremblaient lorsqu'elle l'ouvrit.

Je sais que tu me détestes pour ce que je t'ai fait. Les insultes et les coups quand j'avais trop bu. Je n'aurais jamais dû faire ça. Jamais imaginé en arriver là.

En tout cas, je souhaitais m'excuser même si les mots sont bien insignifiants face à mes actes. Je m'excuse, sincèrement et je sais que j'aurais dû le faire avant. Bien avant. Je sais que tu ne me pardonneras pas, tout comme je ne me pardonnerai pas. Tu me détestes, et c'est bien pour cela que je t'écris. Tu ne veux plus me voir, alors je t'écris, parce que c'est la meilleure solution que j'ai trouvé pour nous deux.

Sache que la suite de la vie t'appartient. À toi de décider si tu veux me voir, allongé sur un lit d'hôpital, pour que je puisse te dire tous les mots coincés dans ma gorge. Ces mots qui brûlent de sortir.

Sache aussi que je t'attendrai le temps qu'il faudra. Peu importe le nombre de minutes, de jours, d'années, je t'attendrai. Toujours.

Je t'aime.