Souviens-toi que tu es mortel

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Dehors, éclairé par les lampadaires du parking, Josué repère à environ quinze mètres, un petit muret de pierres sur lequel il pourra s'asseoir et recouvrer de la vigueur. À l'aide d'une grande inspiration, il regroupe ses faibles forces et marche vers le parapet salvateur. Mâchoire serrée et rage au ventre, il soulève ses grosses Rangers qui pèsent une tonne. Au fur et à mesure qu'il avance, son état empire. Tenace, il continue vaille que vaille. Hélas, à la moitié du parcours, il subit un nouveau coup du sort. Son champ de vision se réduit de moitié et le sol se dérobe sous ses pieds. Il sent qu’il va tomber, mais il s’exhorte à tenir bon : « Tranquille mec... Lâche pas, t'y es presque... T’es un warrior... ». Malheureusement, entre le rêve et la réalité, souvent s’érige l’insuffisance. Josué a beau se stimuler et forcer son corps à résister, ses encouragements se confrontent à sa pauvre condition. Son cœur s'emballe. Il s’affaiblit encore et tremble de plus en plus. Sur le point de faire un pas, une douleur vive comprime sa poitrine et lui coupe le souffle. Le cœur dans un étau, il voit flou et chute de sa hauteur.

La réception sur le béton a été rude. Josué est sonné. Inconscient quelques secondes, il revient à lui, mais sent qu’il replonge. Il craint le pire. Il redoute de crever seul sur le parking. Il rassemble le peu d’énergie qui lui reste pour appeler à l’aide, mais couverts par les bruits du Garage, ses cris sont inaudibles. L’instant est grave. Dans un effort désespéré, il s’appuie sur son coude et se relève légèrement. La tentative est vaine. Sans force, il retombe lourdement. Sa tête frappe le sol rugueux. Un filet de sang s’écoule de son front et barbouille son teint cireux. En prime, sa fièvre augmente. Le voila qui convulse et suffoque. Il happe l’air comme un poisson qui s'asphyxie, et s’accroche à son souffle qui s’amenuise dangereusement.

Imminente et pressante, la faucheuse est à sa porte !

Dans ce combat pour respirer, le passé de Josué s’impose en images intermittentes. Dans cette course contre la mort, il comprend que le temps lui est compté et bataille pour survivre. Malheureusement, la lutte est inégale. Il s'acharne, mais il n’est bientôt plus qu’un moribond aux mouvements désordonnés dont les membres se crispent et se raidissent par alternance. Inexorable est la sentence... Face à la convoyeuse d’âmes à l’expérience millénaire, la bataille est pour ainsi dire... perdue d’avance.

Memento mori ; Memento quia pulvis es[1].

Résigné, Josué baisse les armes et s'abandonne au néant. À l’horloge de la faucheuse, son heure est arrivée. Voici que l’éternelle nuit l’enveloppe de son grand manteau de glace et l’emmène sur son lit de misère. Triste moment que celui-là. Triste moment auquel pas un humain ne peut se dérober. Pas de joker ni de redoublement ; la mort est un passage obligatoire.

Questions : L’échéance est-elle inévitable ? Y a-t-il un homme qui puisse connaître la vie sans un jour croiser la mort ? Est-il nécessaire de la combattre pour la faire reculer et la faire fuir, ou vaut-il mieux s’y soumettre et l’admettre ? Qui peut faire s’éloigner la fossoyeuse lorsque le point final s’est déjà inscrit tout en bas de la page ?

Affligeante certitude que celle de devoir quitter ce monde, car en réalité, personne ne peut rajouter une coudée supplémentaire à la longueur de sa vie. C’est pourquoi, malgré son refus de ne pas passer sur l’autre rive, Josué est entraîné dans un obscur puits sans fond. Et par-delà l’agitation et les bruits à l’entour, il ne perçoit plus que les minces battements de son cœur qui ralentissent et se perdent. Ses paupières se referment sur un ultime adieu. Puis, sur un râle expiré, il s’éteint doucement et quitte le monde des vivants.

[1] Traduction du latin. Souviens-toi que tu es mortel ; souviens-toi que tu es poussière…

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