Chapitre 1 - 2

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Dès mon arrivée au centre hospitalier, une batterie d'examens est pratiquée. Dans un processus implacable, je suis entraînée d'une salle à une autre, allongée pour une radiographie, puis examinée par un médecin et son équipe. Des yeux apitoyés, un conciliabule indifférent à ma présence, leur attitude distante amplifie mon appréhension. Entre crainte et révolte, je tends l'oreille à leurs interrogations, leurs doutes et leur incompréhension sans obtenir de conclusion. Lorsqu'enfin on me libère, une infirmière à l'air sévère m'accompagne dans une chambre de couleur fade. Une intense lassitude s'est abattue sur moi. La femme me fournit un vêtement léger et aseptisé et, sur un ton monocorde, me conseille de m'étendre.

Avant cela, j'éprouve le besoin de me rafraîchir. Si seulement je pouvais faire disparaître la frustration qui me tourmente. Dans la petite salle d'eau, je baigne mon visage, observe mes traits dans le miroir. Mes doigts parcourent mes joues ; ma peau est fine, il me semble reconnaître son grain. Mais le regard qui me guette m'est inconnu ; son désarroi et sa dureté m'étonnent, me dérangent. J'examine un profil puis l'autre, ces yeux égarés et apeurés ne me rappellent rien ni personne. J'effleure mes cheveux, les glisse derrière mes oreilles puis, les libère vers l'avant. Ma bouche dessine une moue grimaçante ; d'un geste impuissant, exaspéré, je ferme le robinet, tamponne mon visage, je regagne la chambre et me réfugie dans un moment de repos.

Après un temps indéfini, l'infirmière revient d'un pas pressé, un verre et une carafe d'eau dans les mains. Elle m'informe que le repas est servi vers dix-huit heures trente. Je la remercie d'un hochement de tête. La pendule indique dix-sept heures trente. Je me recroqueville et ferme mes paupières.

La fatigue s'est emparée de mon corps tout entier. À peine couchée, je sombre dans un sommeil lourd, peuplé de cauchemars : des sons graves, étouffés et brusques, des ombres grises et distordues entravent une quête impatiente, confuse, infructueuse. Quels sont ces bruits qui heurtent mon cœur autant que mes oreilles ? Il me semble discerner une voix familière mais son timbre lointain et sa virulence exacerbée empêchent une identification sûre. Seul m'apparaît avec évidence un grand vide que l'espoir a fui. Que retirer de mon questionnement ? L'affronter se révèle tellement pénible. Une indicible souffrance dévore mon esprit.

Et c'est dans un sursaut qu'un bruit de vaisselle me réveille, me laissant étourdie, la bouche envahie d'un goût métallique.

Une jeune aide-soignante entre dans la chambre. Encore oppressée par mon angoisse, j'écoute ses paroles avec difficulté : d'autres tests sont programmés pour le lendemain ; après mon dîner, je pourrai dormir.

La dernière bouchée avalée, j'appuie mon dos sur mon oreiller et respire profondément. En écho à mon absence de souvenirs, j'observe la grisaille de ces murs, la tristesse et le vide du lieu. Mille questions jaillissent et se bousculent, alimentant la panique générée par les visions effrayantes aperçues pendant mon sommeil. Un sermon intérieur m'intime de clore ce débat pour ce soir ; je me démène pour le chasser ainsi que la peur qui tente de m'étouffer. Sur la table de nuit, attend la télécommande du téléviseur, je détourne la tête ; je me repose, à l'écart des nouvelles du monde.

*

Le jour peine à se lever quand les premiers bruits se font entendre. Les infirmières relèvent les données des patients dans un concert de portes qui s'ouvrent à la volée puis se referment avec la même énergie. Mon tour arrive bientôt.

Malgré cette interruption, je parviens à me rendormir dans le bourdonnement ambiant qui s'éloigne.

À mon réveil, un semblant de calme s'est instauré. Des rais de soleil fendent la pénombre, m'incitant à ouvrir la persienne et à reprendre ma bataille pour retrouver mes souvenirs. Une certaine tension remonte en moi, affronter mes difficultés s'avère un terrible défi. Dans le couloir et les pièces adjacentes, le ronronnement de l'activité de l'hôpital emplit l'espace, d'inlassables pas, des conversations plus ou moins atténuées, le son grave et sourd des roues de chariots, les premiers soins dispensés.

Mes pieds nus viennent de toucher le sol frais lorsque je découvre un sac de voyage posé sur un siège. L'objet attise ma curiosité. Étant seule dans la chambre, je suppose qu'il m'est destiné et hésite peu de temps avant de l'ouvrir. Il contient des affaires à ma taille que je ne reconnais pas. Ravalant ma désillusion, je me concentre sur chaque élément ; malgré mon attention, leurs formes et leurs couleurs ne me rappellent rien. Je dépose la trousse de toilette dans la salle d'eau et tourne le dos, décidée à prendre des forces pour traverser la journée.

Attirée par la lumière, je repousse le rideau, entrouvre le panneau vitré puis respire l'air frais du matin. Pendant quelques minutes, dans l'encoignure de la fenêtre, je profite de la brise.

Intriguée, je reviens vers le bagage et passe lentement la paume de ma main sur son flanc, cherchant à le situer dans ma mémoire. La sensation ne m'évoque rien. Pourtant, j'insiste et interroge plus profondément mon cerveau éprouvé. Il ne s'agit que d'une toile plastifiée tout à fait commune.

Alors que j'étouffe un juron de dépit, une jeune femme toque à la porte, elle me salue avec un sourire puis place le petit-déjeuner sur la table. J'ai tout juste le temps de poser ma main sur son poignet pour lui transmettre les mots que je ne peux formuler. Elle est déjà repartie, me laissant le voile doux de sa gentillesse.

Après un café revigorant et des tartines beurrées, je me retire dans la salle de bain. L'eau tiède sur ma peau détend un peu mes muscles raidis ; parviendra-t-elle à libérer mon cerveau et faire ressurgir mon passé ? Je suis à l'affût de tous ces signes qui me caractérisent, tous ces gestes du quotidien, tous ces ressentis auxquels on ne prête plus attention. Le gel douche exhale un parfum de verveine qui me renvoie à des contrées aujourd'hui envahies de brouillard. Je découvre une brosse à cheveux d'un ton roux que traverse la lumière. Un petit pot de crème me permet d'hydrater mon épiderme avec délicatesse. Du bout des doigts, je tente de me familiariser avec les traits de mon visage. Quelques fines rides d'expression autour de mes yeux semblent les traces de rires passés. D'autres détails réveilleraient-ils des souvenirs ? Une cicatrice, une tache colorée… mais rien ne m'apparaît comme le stigmate d'un événement antérieur. Agacée par ce vide, je quitte la pièce fuyant l'angoisse qui m'étouffe, cherchant ailleurs des indices salvateurs.

De retour dans la chambre, j'opte pour un pantalon clair, refusant celui d'hier, témoin d'une journée ardue, puis je choisis un tee-shirt corail pour sa gaieté et m'assois au bord du lit. La bague aux entrelacs compliqués qui enserre mon annulaire gauche, retient mon attention, signifierait-elle un engagement ? Sans doute pas un mariage car elle ne ressemble pas à une alliance. Posée au creux de ma main, la montre dégrafée de mon poignet la veille au soir ne m'évoque rien. Autour de mon cou, une chaîne en or retient un pendentif en forme de rose.

Je dresse ensuite un bilan des idées et sentiments retrouvés : j'aime le soleil et l'air doux, l'eau tiède sur ma peau et les parfums discrets. Pas mal pour un début.

Ces constatations à peine formulées, j'entends frapper. Une infirmière m'informe que, dans un instant, le docteur Chopin viendra ici pour une consultation et qu'une IRM est prévue dans l'après-midi.

Ma gorge refuse obstinément d'émettre un quelconque mot et ce blocage commence réellement à m'exaspérer. Mes gestes en deviennent nerveux. Mon interlocutrice comprend ma contrariété :

— Je vais vous chercher un bloc et un stylo.

Peu de temps après, elle m'apporte le matériel et je m'empresse d'écrire en lettres majuscules :

MERCI.

— Je vous en prie. Le docteur Chopin ne va pas tarder.

*

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