La magicienne

11 minutes de lecture

Une… souveraine ? De quoi pouvait-il bien parler ? Et comment connaissait-il l’existence de ma marque ? J’avais pris soin de la cacher convenablement pourtant. Je lui lançai un regard perplexe, plein d’interrogations, auquel il répondit d’un simple sourire avant de me tendre son bras.

« Mademoiselle serait-elle prête pour notre dîner ?

- J’aimerais d’autant plus rentrer chez moi, s’il vous plaît ! Tout cela me dépasse, il commence à se faire tard et je n’ai toujours pas retrouvé mon cousin.

- Ne vous en faites pas, mes troupes sont à sa recherche. Ils tapissent la zone dans les moindres détails, s’il est bien ici, ils vous le ramèneront bien assez tôt. »

Je soufflais longuement, s’il y avait bien quelque chose que l’on ne pouvait pas enlever à cet homme, c’était bien sa détermination. Il ne me laisserait jamais partir tant que je n’avais pas accepté ce dîner, je m’enfuirais dans la nuit, et puis ce serait l’occasion pour moi d’en connaître davantage sur Mivaar et ses alentours. Je finissais par acquiescer et en laissant promptement son bras ballant, j’ouvrais la marche vers cette petite maison de bois joliment recouverte de lianes dans laquelle en sortait une divine odeur. Le prince elfique m'emboite le pas, et deux jolies petites brunettes aux longues oreilles m'ouvrent la porte et m'aident à m’installer.

Sur cette longue table étaient dressés toutes sortes de plats aux couleurs et aux odeurs différentes, mais ils rassemblent tous un point commun : ils semblaient délicieux. Lourdement, mon ventre s’était alors mis à émettre un cri sourd, je ressentais un tiraillement au niveau de mon estomac qui me faisait me questionner : Depuis combien de temps n’avais-je avalé quelque chose ?

Le bel elfe s’était quant à lui installé au bout de la table, et me dévisageait sans retenue. J’aurais pu trouver cela dérangeant si je n’avais moi-même pas été complètement hypnotisée par ses yeux, ses yeux d’une couleur extraordinaire, une couleur que je n’avais vu nulle part ailleurs. Ses yeux étaient d’un gris argenté, presque métallique qui semblait vouloir déceler le moindre secret en moi. Il avait fini par prendre la parole en levant son verre dans ma direction :

« A notre dîner très chère, je suis enchantée d’enfin faire votre connaissance. Je vous croyais disparue, à jamais…

- Je suis désolée si je vous parais impertinente, mais je crois réellement que vous vous trompez à mon sujet. Cela me met mal à l’aise que vous parlez de moi de cette façon.

- Impossible de me tromper, Mademoiselle Valyrill. Vous êtes celle que l’on attendait tous. »

La jolie Laureline venait alors me servir un verre avant de me faire une petite révérence, à laquelle je répondais d’un large sourire sincère. J’avais remarqué comment elle dévisageait le prince, ses yeux finissaient toujours par retomber sur lui et cela après chacun de ses services. J’ai tout de suite compris, à quel point, elle était indéniablement éprise de lui. L’avait-il remarqué ? Avait-il ne serait-ce que posé ses yeux sur elle, une fois ? La réponse semblait évidente, un léger pincement au cœur se fit ressentir au fond de ma poitrine, je la plaignais. Le rang social était-il aussi important voire plus que celui de l’amour ?

“ Mademoiselle, vous semblez songeuse. Mangez donc, nous aurons tout le temps des explications un peu plus tard.”

Le bel elfe venait de lâcher ses mots avant de prendre une gorgée d’un liquide d’une couleur assez douteuse. Je me contentai de hocher la tête en silence avant d’enfourner une miche de pain entre mes lèvres. Je ne pus réprimer mes pensées intrusives; je pensais à l’oncle Rybald, à Loïs et mon épée restée sagement accroché sur le porte-arme de la forge. Comment ai-je bien pu atterrir ici en compagnie de ces personnages tous plus étranges les uns que les autres ?

Autour de moi se trouvaient quatre personnes ayant la même caractéristique : des oreilles tout en pointes. J’avais lu dans un bouquin que cette espèce se faisait appeler les elfes, je regrettais aussitôt ne pas avoir poursuivi plus en profondeur ma lecture sur ce chapitre. J’étais bien trop pressée de lire celui qui évoque le maniement des armes. D’un coup d'œil rapide, je jaugea l’homme à la chevelure d’argent, il ne devait pas être plus de quelques années mon aîné. Son visage pâle et anguleux détonnait parmi les visages presque trop banals qui entouraient chacune des entrées de la salle. Je ne pouvais le nier, il était d’une beauté angélique, je n’avais jamais rien vu de tel et pourtant le Jarl Frédérik était connu pour être bel homme. Son regard d’acier se posa alors sur moi pendant que je le regardais, mes joues s’empourprèrent à ce contact. Je décide alors de briser le silence.

“Vous m’avez appelez Valyrill.

-En effet.

- Pourquoi ?

- Vous êtes bien impatiente mademoiselle, vous tenez de votre mère.

- Ma mère ? Vous la connaissiez ?”

Je n’aurais pas dû poser autant de questions, ils croiraient que je baisse ma garde or je ne pouvais taire ma curiosité. Oncle Rybald taisait toujours mes questions sur mes parents, sur mes origines et voilà que je me retrouvais nez à nez avec un individu qui l’avait connue, enfin, s’il disait vrai.

Un éclat de rire franc et rauque me sort une fois de plus de mes pensées, Daeron me fixait de son regard métallisé et apporta une nouvelle fois sa coupe à ses lèvres pleines.

“ Bien évidemment, Shenarah était une grande souveraine et une femme d’excellence !

-Shenarah…”

Il arqua un de ces sourcils aussi blanc que sa longue chevelure tressée, perplexe.

“ Je vois que tu as véritablement été élevée sans que l’on ait jugé nécessaire de te révéler la moindre information sur tes origines, ton passé. C’est bien regrettable.”

Il finit par poser sa coupe d’argent sur la table garnie, avant de se lever et de me tendre sa longue main, fine et sertie de différentes bagues.

“Je ferais bien de rectifier cela. Si vous voulez bien me suivre, Mademoiselle.”

Mon regard s’attarda sur une de ses bagues, une chevalière noire avec un drôle de symbole au milieu, une sorte d’arbre sur lequel était représenté quatre branches bien distinctes. Je n’arrivais malheureusement pas à discerner à quoi correspondaient ces branches, la main du prince se faisait pressante. Je me levai avançant vers la sortie, laissant ainsi sa main ballante au-dessus de la table. Il afficha un sourire exagéré avant de me rejoindre et de m’ouvrir la porte.

Dans ce qu’il me semblait être un bureau, attendait une magnifique jeune femme à la peau noire et à la chevelure fabuleuse. De magnifiques boucles tombaient en cascades sur ses épaules, ses cheveux était un magnifique dégradé de blanc au noir. Elle se tenait bien droite face à l’entrée et ne posa aucunement le regard sur moi.

“ Méliana, je te présente Elerinna. Je suis fier de toi, tu as réussi avec brio !

-Je ne doutais pas de mes capacités, votre Majesté.

- Moi non plus, voyons ! Tu es sans aucun doute la meilleure des mages.

- Les flatteries ne sont pas nécessaires, votre Altesse. Vous m’avez faite appelé ?”

J’observais cet échange pour le moins étrange avec une drôle d’appréhension, qu’entendait-il par “tu as réussi” ? Les oreilles de la jolie brune étaient cachées par son épaisse chevelure mais j’étais pourtant persuadée qu’elle était humaine. Elle semblait aussi petite et trapue que les elfes étaient grands et élancés. Le prince ignora radicalement l’interrogation de la dénommée Méliana pour se retourner vers moi.

“Elerinna, cette jeune demoiselle est une mage que nous avons recueillie, il y a quelques mois. C’est elle qui nous as permis de retrouver tes traces.”

Face à mon expression désorientée, Daeron poursuivit.

“Elle à également permis de te ramener par ici, par la même occasion. J’aurais voulu que tu atterrisses directement dans ce bureau et non dans le labyrin..

Il n'avait pas eu l'occasion de finir sa phrase, que la belle brune,dans son implacable attitude froide et distante,l'interrompit.

“Mon élément est la Terre, votre Majesté. Ma capacité de téléportation d'individu est limitée.

- Bien sûr, ne le prends pas mal Méliana. Tu as fait ce que l’on attendait de toi.

- De téléportation ?! Vous voulez dire que c’est à cause d’elle que je me retrouve ici ?”

La jeune femme posa pour la première fois son regard sur moi, ses yeux était d’un bleu profond. Elle semblait presque surprise que je puisse parler. Elle avança d’un pas vers moi.

“Grâce à moi, vous vous retrouvez ici, votre Altesse. Moriak à retrouver votre position en même temps que moi. Il prévoit de passer à l’offensive sur Cartétoile d’ici quelques jours.

-Méliana, ne l’effraie pas ainsi !

- Toutes mes excuses, votre Altesse. Je ne faisais que relater les faits.”

Je savais qu’il y avait un certain Moriak qui avait pris le contrôle des armées et qu’il régnait quelque peu dans la terreur mais je n’en savais pas plus, et je regrettais cela. Le Jarl Frédérik avait estimé bon pour son peuple qu’il vaudrait mieux vivre dans l’ignorance afin de vivre en paix. Soudainement, je ne partageais plus son avis. Je ne faisais que les regarder d’un air ahuri, je ne pouvais pas me sentir plus idiote qu'à ce moment précis. Cet homme préparait-il vraiment une attaque contre Cartétoile ? Si c’était le cas, Oncle Rybald était en danger et… Loïs. Où était-il ?

Je me retourna alors vers la jolie magicienne, qui regardait toujours droit devant elle, dans l'indifférence la plus totale.

“Si vous m’avez réellement téléporté jusqu’ici, l’avez-vous également fait pour mon cousin, Loïs ? Il se trouvait avec moi lorsque… lorsque c’est arrivé.”

Elle releva la tête et patienta un instant, comme pour déceler que c’était bien à elle que je m’adressai. Elle finit par nouer ses mains, lançant un regard furtif vers le prince qui attendait certainement qu’elle réponde.

“L’ordre qui m’a été donné, était de vous amener, vous, et personne d’autre.

-Loïs est donc resté à Cartétoile ?! Pourquoi m’avoir fait croire que vous alliez envoyer des troupes à sa recherche ?”

Je dévisageais cet homme à la peau pâle, presque translucide. Il était vraiment très beau, son visage anguleux contraste ironiquement avec le reste de son peuple. Il semblait serein malgré ma prise de position. Un léger sourire vint relever ses lèvres charnues et il m’invita à m'asseoir. Je n’avais pas remarqué le tremblement incessant de mes jambes avant que ses yeux argentés ne s’étaient attardés sur celui-ci. Je résistai à la profonde envie de m'effondrer sur ce siège et me tint debout, le faisant face, les yeux rivés dans les siens.

“Mademoiselle, peu de personnes sont au courant de votre présence ici. Je ne pouvais prendre le risque que l’on découvre votre véritable identité. Mon clan à la rancune tenace face à votre clan. Je vous aurais mise en danger.

-Mon clan ?

- Vous ignorez donc tout de vos origines. Laissez-moi vous expliquer. Je vous prie de prendre assise, cela risque d’être un tant soit peu long.

- Je me porte très bien debout, je vous remercie.

- Mademoiselle Valyrill, je doute que cela..

-Birdsong, je suis une Birdsong.”

Une once de surprise passa rapidement dans son regard métallique, ne laissant rien paraître, il reprit sa posture droite, royale, celle d’un prince.

“Bien, mademoiselle Birdsong.”

Il s’avança d’un pas lent mais assuré d’une telle grâce, qu’il me semblait que mes pas semblaient lourds et bruyants face à sa démarche presque fantomatique. L’homme élégamment vêtu finit par s’installer sur le siège du bureau, se versant une nouvelle coupe de ce liquide jaunâtre qu’il avait bu lors du dîner. Je me demandais bien ce qu’il pouvait contenir, je n’avais jamais rien vu de tel dans les auberges de Cartétoile. Serais-ce un liquide exclusif aux elfes ?

“Autrefois, nos deux clans vivaient en harmonie à Winterciel, le siège même de Mivaar. Nous n’étions divisés que par nos compétences différentes, une partie d’entre nous excellait en l’art de la furtivité et du maniement de l’arc, l’autre partie étaient des mages, les seuls êtres capables de maîtriser les quatre éléments. Tout se passait bien jusqu’au jour où notre oracle désigna une Valyrill, une mage pour régner sur les elfes et sur la contrée de Mivaar. L’oracle fit construire un somptueux palais d’or et de verre, pour accueillir la nouvelle reine de Mivaar. Durant sa construction, une rébellion s’était lancée, les archers étaient loin d’être d’accord de se plier aux volontés d’un mage. C’est ainsi que les elfes se sont divisés en deux clans : Les Valyrill et les Feyralan. Certains elfes profitèrent même de cette révolte pour s’enfuir et trouver une sorte de liberté dans les forêts, on les appellent les renégats.”

J’écoutai attentivement son histoire, bien que je restais méfiante, je ne pouvais contenir la curiosité qui me submergeait. Les Valyrill, étais-ce vraiment de là d'où je venais ? Ma mère était-elle réellement l’une d’entre eux ? Je ne pouvais faire confiance aveuglément à cet homme, mais c’était pour l’instant mon unique source de renseignements sur mes origines, je ne pouvais l’ignorer. Je jetai un rapide coup d’oeil à la magicienne qui se tenait toujours aussi droite, son visage ne trahissait aucune expression.

“Nous nous sommes retranchés dans cette forêt après la révolte, nous avions estimé que la guerre n'arrangerait pas les choses et nous ne souhaitions pas décimer une partie de notre peuple, même si l’on était de clans différents. Nos capacités exceptionnelles en chasse, nous ont permis de prospérer en paix ici, nous avons fini par bâtir notre village, Sacrelys. C’est ici que vous vous trouvez actuellement, mademoiselle.”

Il apporta une nouvelle fois son drôle de liquide à sa bouche sur laquelle se dessinait un léger rictus, celui-ci me fit frissonner sans réelles raisons apparentes.

“Mais je suppose que vous préféreriez que l’on parle de votre mère, n’est-il pas ?”

Je me contentais de hocher la tête, tout en jouant nerveusement avec mes mains. Mes jambes ne me tenaient presque plus, je jaugeais quelques fois la chaise qu’il m’avait proposé, ma fierté prenait tout de même le dessus et je me redressai un peu plus dès que je sentais le tiraillement dans mes os.

“Votre mère, Shenarah était une mage exceptionnelle. Les Valyrill ont été victimes de la guerre qui les ont opposés aux humains, ils ont subi de lourdes pertes lors de celle-ci. Les derniers Valyrill ont dû prendre la fuite et se réfugier dans la forêt, eux aussi. Votre mère était la dernière survivante de la famille royale, elle prit son rôle de souveraine très au sérieux. Elle fit la demande d’une audience avec mon père, afin de signer un traité de paix entre nos deux clans.

-Cela avait-il fonctionner ?” dépêchait-je d’ajouter, ancrant chaque mots de Daeron dans mon esprit. S’il disait vrai, ma mère était une elfe, une reine.

Le prince affichait sur son visage, un large sourire, révélant une profonde fossette dans sa joue droite. Je ne l’avais jamais remarqué jusqu’à présent, peut-être n’avait-il jamais réellement souri. Il sortit un vieux papier, un parchemin, d’un des tiroirs de son bureau. Il le déroula d’un geste lent et minutieux avant de me l’étendre sous les yeux, et ce que je lis me laissa bouche bée.

“Oh que oui, Mademoiselle. Vous étiez ma promise, ma fiancée.”

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Essilem ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0