Juillet 2025 : J+1
La nuit que nous avons passée ensemble aurait pu figurer dans un roman de George Sand. C'est cette première pensée qui me saisit immédiatement lorsque j'ouvre les yeux, ce matin-là. Le temps d'un battement de cil, je me demande si je ne l'ai pas inventé. Mais en tournant le visage sur le côté, je l'aperçois, emmêlée dans le drap, l'air paisible, toujours endormie. Le store de la porte-fenêtre qui mène à la terrasse n'est pas bien descendu, alors nous baignons tous deux dans les chaleureuses lueurs de l'aube. Elle est le seul élément net de la pièce. Je n'ai pas mes lunettes et je n'ai pas le coeur à m'extirper du lit pour les attraper car ça me forcerait à décaler cette main nonchalamment posée sur mon torse. La sienne. Elle est plaquée tout contre mon coeur et ondule au gré de mes respirations. En l'observant, une sensation nouvelle m'étreint. Je ne peux réprimer un petit sourire. Est-ce là ce que le commun des mortels appelle le bonheur ?
Jamais je n'ai été aussi intime avec une autre... Bien sûr, j'avais déjà eu le béguin au lycée pour une ou deux camarades, j'ai connu une petite amourette en école d'ingénieurs, mais rien de comparable à ce que je vis et ressens en ce moment. Léonore est ma première pour tellement de choses. Première danse, première nuit passée avec une fille... Nous avons conservé nos vêtements. Il n'a pas été question qu'on se lance dans la moindre activité physique horizontale. Je n'ai rien tenté et elle ne s'y est pas risquée, elle non plus. Ce que nous avons vécu cette nuit était déjà bien assez sensationnel. Le fantôme de ses lèvres dans mon cou m'arrache un frisson. Elle embrasse si bien, bon sang ! J'extirpe une main de sous le drap pour caresser la sienne, celle qui est placée au-dessus d'un coeur gorgé d'un amour naissant. J'entrelace délicatement mes doigts avec les siens, toujours inertes.
Sa peau est toute douce, pourtant je sais qu'elle n'est pas femme à se pomponner et à s'enduire de lait corporel. Au majeur, elle porte un anneau en or simple, discret, parsemé de petits brillants et d'une améthyste taillée en solitaire. Si j'ai bonne mémoire, c'est cette bague que sa mère lui a offerte pour l'anniversaire de ses vingt ans. Léonore aime les bijoux sobres, sans extravagance. C'est bon à savoir... Soudain, les doigts que je tiens entrelacés s'animent et me sortent de mes contemplations. Elle ôte doucement sa main pour s'étirer, comme un chat le ferait après une longue sieste. Les yeux toujours clos, elle émet de petits gémissements en contractant ses muscles engourdis. Je la regarde faire en silence. Elle bascule sur le dos, cherche à tâton un bout de drap qu'elle rabat sur elle en se tournant sur son côté droit.
Ça ne me convient pas. Du tout. Elle est maintenant trop loin de moi, comme si elle m'avait échappé, et la place vide qu'elle a laissée sur mon torse m'emplit d'une sensation comparable à de la douleur. Ou peut-être du manque. Oui, elle me manque. Je n'ai jamais été très doué pour laisser parler mes sentiments, ce qui ne m'empêche pas d'en avoir. Et cette femme qui se tient là, celle que je découvre aujourd'hui avec un oeil nouveau, elle a complètement enfoncé la porte de mes certitudes, armée de son habituel sourire qui contribue à lui seul au réchauffement climatique. Et je la veux en permanence, tel un drogué en manque de sa came. J'ai besoin de la sentir près de moi.
Délicatement, je comble l'espace qu'elle a creusé entre nous. Je tâche d'insérer un bras sous sa nuque, avec mon autre bras j'enlace son abdomen et je verrouille le tout en la plaquant contre moi. Je la sens aussitôt rentrer son petit ventre, honteuse, ce qui me fait à nouveau sourire. Si tu savais comme je m'en fiche... J'enfouis mon nez dans son cou et je respire profondément l'odeur mélangée de son shampoing et d'un reste de gel douche. Elle sent le miel, la camomille, la mangue et la coriandre. Note à moi-même : classer ces senteurs tout en haut de la liste de mes nouvelles odeurs préférées.
— Arrête de me sniffer, tu me fais flipper, me lance-t-elle d'une voix mal assurée.
— Je ne vois pas de quoi tu parles. Je me contente de mélanger mon odeur à la tienne pour marquer mon territoire.
— Ton territoire ? Je ne vaux guère mieux qu'un territoire qui demande à être conquis ?
Tu vaux mille fois plus que ça.
— Tout à fait. Je suis tel Hernán Cortés qui débarqua jadis en terres inconnues.
— Alors dégage de mon lit, je ne couche pas avec des conquistadors génocidaires.
Pour toute réponse, j'enfonce encore plus mon visage dans son cou, ce qui n'a pas l'air de la déranger car elle écarte légèrement l'épaule pour me laisser plus de place. Mes lèvres se pressent sur sa clavicule. J'embrasse doucement cette ligne de peau souple qui remonte jusqu'à son oreille. Elle se tortille dans mes bras, elle gémit mais ne me demande pas d'arrêter. Bien sûr que non, ce sont des gémissements de plaisir.
— Tu es sûre que tu veux que je dégage ?
J'accentue mon étreinte. Au moment où je m'empare d'un petit morceau de sa peau que je commence à sucer, elle n'a plus la force d'argumenter. Elle repousse le drap avec vigueur et s'écarte de moi le temps de se remettre sur le dos. Je me hisse sur un coude, comprenant que nous avons tous deux faim de la même chose. Quand elle est installée, elle me saisit par le col du t-shirt pour m'entrainer vers elle. Je ne me fais pas prier. D'un élan, je me mets à califourchon au-dessus d'elle et parce que ce bref relâchement semble avoir été d'une durée insoutenable, elle m'engloutit dans un baiser. Haleine du matin. Je m'en cogne. Il y a le même empressement entre nos deux corps qui se retrouvent à nouveau collés l'un à l'autre, le même désir qui gronde entre nos deux êtres, comme une tempête qui aura mis dix ans à se former.
Je la dévore dans cette étreinte. Même si nous avons passé la nuit à faire ça, ça a encore l'attrait de la nouveauté. Elle me garde happé à ses lèvres, parfois elle dévie en picorant mes joues et mon nez de petits bisous brefs. Je laisse mes mains errer sur son ventre, je les remonte timidement sur sa poitrine, mais là encore, je n'irai pas plus loin. On aura tout le temps pour ça. Pour l'instant, je veux juste sombrer dans ses baisers, apprendre le goût, la forme et la couleur de sa bouche par coeur. Léonore me permet de la couvrir de cet amour dont j'ignorais l'existence. Elle m'encercle la taille avec ses jambes, s'accroche passionnément à mon dos et mes cheveux quand je m'aventure à nouveau dans son cou. Je discerne rapidement la trace rougeâtre que lui a laissé mon suçon. Très égoïstement, ça me grise de fierté.
La matinée s'écoule dans la chaleur de notre affection réciproque. Je l'entends encore me dire que ça me tombera dessus quand je m'y attendrais le moins. Elle avait cent fois raison. Mais je pense que l'un comme l'autre, on ne s'attendait pas à ce que ça nous tombe dessus ensemble, surtout quand on se rappelle d'où on est parti...
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