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L'arrière-boutique de Soul était un vrai dépotoir, seul le petit bureau au fond était relativement épargné, le reste, un espace carré d'environ huit mètres de côté, était rempli à ras bord de toutes sortes de marchandises, des pièces électroniques dans des cartons, un mur tout entier était caché derrière des boîtes en métal verrouillées, probablement des armes. Le sol était quasiment couvert par toutes sortes de ferrailles poussiéreuses que Jael, bien qu’il passait une bonne partie de son temps à explorer les ruines, ne pouvait en reconnaître la plupart.

Soul avança et s'assit derrière son bureau, Jael le suivit tout en poussant discrètement la ferraille à ses pieds pour faire de la place, il n'y avait aucune chaise supplémentaire, alors il resta debout à dévisager Soul en attendant qu'il parle.

Ce dernier prenait son temps, d'abord il sortit une petite boîte marron d'un tiroir, l'ouvrit et sortit un objet fait de la même matière que la boîte. Il se mit à la remplir délicatement d'une sorte d'herbe prise dans un autre des nombreux tiroirs de son bureau.

Soigneusement, Soul prit un briquet et alluma légèrement l'herbe.

Jael suivait la scène d'un air incrédule, il était évident que tout ça avait pour but de l'impressionner, Soul était du genre à vouloir montrer l'étendue de son pouvoir, et Jael n'aimait habituellement pas le laisser faire, mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'exclamer.

— C'est du bois ? du vrai bois ?

Soul sourit, visiblement satisfait.

— Oui, ça m'a coûté une petite fortune, mais ça en vaut la peine, le tabac a un sacrément meilleur goût.

Il prit une autre inspiration, avant de fixer le sac de Jael.

— Qu'est-ce que tu m'as apporté là ? Montre-moi ce prétendu cœur.

Jael sortit les haillons de sa poche, en extrait délicatement la petite sphère pulsante, et la tendit au receleur.

— Volé ? dit ce dernier.

Jael sursauta.

— Non non, j'ai chassé l'araignée moi-même, et j'espérais en tirer un bon prix.

Soul sourit malicieusement.

— Intrépide, comme d'habitude, mais fais attention à tes fesses, la milice est particulièrement nerveuse ces derniers temps, avec tout ce qui se passe à l'extérieur.

Tout le monde savait ce qui arrivait contrebandier, ceux qui faisaient passer de la marchandise illégalement étaient, s'ils avaient de la chance, envoyés en travaux forcés dans les parties les plus profondes de l'usine, quant aux autres, moins chanceux, il ne voulait même pas penser à leur triste sort.

Cela n'empêche que beaucoup d'habitants sortaient en douce pour fouiller les ruines avec l'espoir de dénicher un truc utile qui leur apporterait quelques pièces.

Mais une partie de ce que disait Soul l'interpella.

— Qu’est-ce qui se passe à l’extérieur ?

Soul évita sa question, avec la simplicité d’un synchronisé d’agilité évitant un coup mou et lent.

— T’occupe pas de ça, les récupérateurs deviennent tellement fainéants qu’ils font une crise à chaque fois que les bêtes mécaniques migrent.

Saul s'adossa confortablement sur son siège, prit une autre bouffée de sa pipe, puis continua.

— Mais tu devines bien que ce n'est pas pour ça que je t'ai fait passer ici, pour un malheureux cœur, j'aurais pu traiter avec toi à l'avant-boutique.

C'était vrai, pensa Jael, il était de notoriété publique que Soul était un receleur, il graissait les bonnes pattes suffisamment pour que la milice le laisse tranquille.

Soul reprit.

— J'ai du boulot pour toi.

— Quel genre de boulot ?

— Du genre qui paie bien, bien plus que n'importe quel misérable cœur que tu pourrais trouver.

Jael était un peu vexé, il avait quand même failli laisser la vie pour ce malheureux cœur. Mais il ne laissa rien apparaître.

Il attendit plutôt que Soul passe à la suite.

— Un de mes clients qui cherche un objet bien particulier, j'ai une idée assez précise où le trouver, et j'ai besoin de quelqu'un pour aller le chercher.

— Quel est cet objet ? Et pourquoi tu ne demandes pas aux récupérateurs.

Soul reprit une autre bouffée avant de répondre.

— Petit, je t’aime bien car tu es du genre téméraire qui fonce quand une occasion se présente, et qui ne pose pas trop de questions inutiles. Les récupérateurs, eux, en posent trop à mon goût.

Soul s'arrêta un instant, fixa Jael droit dans les yeux, avant d'ajouter

— Tu pourras avoir les détails si tu acceptes le boulot, tout ce que je peux te dire pour l’instant, c’est que tu devrais aller vers le secteur 87.

Merde, c’est donc ça le piège, le puits de l'enfer.

Il comprenait maintenant, les récupérateurs n'auraient probablement pas accepté cette quête de toute façon.

Tout ce qu’il savait du puits de l’enfer, et de la zone 87 qui le contient, provenait principalement des divagations des vieux charognards dans les tavernes. Certains disaient que là-bas, il y avait une immense ville, plus grande que Narv, mais après que ces habitants avaient attaqué le système, une énorme explosion les a tous balayés, laissant des ruines mortes, avec un trou sans fond au milieu, menant directement en enfer.

D’autres disent que la zone est infestée de monstres, des bêtes mécaniques plus féroces que celles rencontrées aux alentours de Narv, et certains disent que personne n'est jamais revenu pour raconter ce qu’il a vu là-bas.

Tout et son contraire, typique des racontars des tavernes.

Mais Jael n’était pas dupe, quelle que soit la part de vérité dans tout cela, il reste que le voyage était long, au moins 2 cycles apparemment, et passer deux cycles à découvert était déjà assez dangereux dans les ruines proches, alors plus loin !

Il était hors de question pour Jael d'y aller, fouiner dans les ruines était ce qu'il faisait de mieux, et il avait toujours besoin d'argent, mais il n'était pas suicidaire. Si les récupérateurs avec leurs armes et leurs classes déjà acquises — certains étaient même au niveau 2 de synchronisation à ce qu'il avait entendu — refusaient d'y aller, alors lui n'avait aucune chance.

Soul avait dû ressentir les appréhensions de Jael, car il enchaîna.

— Comme j'ai dit, ce travail paie bien, et tu auras droit de garder tout ce que tu trouveras autre que l'objet de la mission.

Plus l'appât est grand, plus le danger est réel. pensa le jeune charognard.

Soul tourna légèrement sa chaise, pour faire face à une vieille affiche collée au mur, tellement dégradée par le temps que Jael n'arriva pas à distinguer ce qu'elle contenait.

— Cette affiche provient de l'époque où j'étais moi-même récupérateur, il y a une éternité, récupérée dans un bâtiment effondré dans le secteur 87. Nous étions un groupe de sept à tenter l'exploration, nous n'étions ni les premiers ni les derniers. Mais, comme tous les autres, nous espérions tomber sur assez de richesses pour prendre notre retraite et vivre le restant de nos jours dans le confort, voire même acheter notre ticket d'entrée pour les étages supérieurs.

Jael regarda l'affiche avec plus d'intérêt, il crut distinguer vaguement une sorte d’objet élancé dont la base semblait s’enfoncer dans une surface bleue, de l’eau, ou quelque chose d’autre. Peut-être un bâtiment avec une forme unique.

Soul continua son monologue.

— Sur les sept, seul moi suis rentré, les autres étaient morts face aux impitoyables bêtes du secteur. Mais à mon retour j’ai pu ramener tellement de ressources que j'ai été capable d'ouvrir cette boutique et démarrer mon affaire.

— Gamin, je ne vais pas de mentir, le danger là-bas est réel. Mais le jeu en vaut la chandelle.

Jael crut que sa tête allait exploser.

D'un côté il avait vraiment besoin de cet argent, et explorer les ruines était devenu au fil des années sa seule activité. Et il était vraiment bon. Mais les exigences de la milice sont aussi devenues au fil des années plus pesantes, toutes les personnes qui n'avaient pas de travail officiel dans la ville étaient considérées comme des parasites et la milice faisait tout pour les mettre sous pression et les faire rentrer dans le rang.

Beaucoup de connaissances ont ainsi fini par abandonner les ruines et trouver un travail en ville, généralement à l'usine.

Lui a pu en échapper jusque-là grâce à sa débrouillardise, mais jusqu'à quand il aura de la chance ?

Il frotta sa blessure de la veille nerveusement.

D'un autre côté, le risque est beaucoup trop grand, il n'avait pas envie de passer l'arme à gauche. Malgré toutes ses excursions dans les ruines alentour, il n'était jamais allé à plus d'une journée de route autour de la ville. Au-delà, le risque de rencontrer des loups mécaniques, ou autres monstres hostiles, était grand.

Il regarda Soul, qui continuait à scruter sa fichue affiche d'un air mélancolique, avança d'un pas et dit.

— J’ai besoin de réfléchir, il me faut un peu de temps, est-ce que je peux te répondre demain ?

— Hmmm, je ne suis pas à un jour près, mais fais gaffe, je ne vais pas attendre indéfiniment, je te trouve fiable, assez fiable pour un charognard. Mais si tu ne me réponds pas assez vite, j'irai chercher quelqu'un d'autre.

— Ben voyons! Pensa Jael, Soul avait probablement déjà contacté quelqu’un d’autre. Il n'y avait aucune chance qu'un jeune charognard avec peu d'expérience comme lui soit son premier choix.

Jael chassa ses réflexions, et répondit.

— Pas de souci, demain matin je te donnerai une réponse.

Soul le scruta attentivement, comme s'il essayait de lire ses pensées, puis ouvrit l'un de ses tiroirs, en retira quelques pièces et les balança à Jael.

— Pour le cœur, j'ai ajouté un petit bonus pour te convaincre de ma générosité.

Jael attrapa l'argent, la fourra dans sa poche et tourna le dos, pressé de quitter les lieux.

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