Prologue
Je crois que je n’ai jamais vraiment su à quel moment tout a basculé.
Peut-être le jour où il a souri pour moi, sans raison.
Ou celui où il m’a tendu la main pour me relever, alors que je ne voulais pas qu’on me voie.
Lior était le genre de personne qu’on ne pouvait pas oublier, même si on essayait.
Il attirait les gens comme la lumière attire les insectes — et il les brûlait sans le vouloir.
Moi, j’étais différent.
Je regardais le monde depuis l’ombre. J’étais bien là, dans la marge, à distance du bruit et du beau.
Mais il est venu vers moi.
Il a traversé tout ce qu’il était pour s’asseoir à côté de moi, sur ce vieux muret derrière le gymnase, et il m’a dit :
“T’as jamais essayé d’être vu, hein ?”
Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai cessé d’être invisible.
Pendant quatre ans, il a illuminé chaque recoin de mon existence.
Pas comme un amour, pas tout de suite.
Plutôt comme un astre autour duquel je gravitais, incapable de trouver ma propre orbite.
Lior vivait fort, bruyamment, trop vite.
Il embrassait la vie avec cette insouciance des gens qui croient qu’elle leur appartient.
Et moi, je restais là, à l’observer, à noter la manière dont il riait, la manière dont il se fatiguait, aussi.
Car derrière son éclat, il y avait quelque chose d’épuisé.
Un éclat fêlé, presque douloureux.
Il m’avait dit un jour :
“T’as remarqué ? Quand on ferme les yeux assez longtemps, les gens autour disparaissent.”
J’avais ri, parce que je croyais qu’il plaisantait.
Mais il ne plaisantait jamais vraiment, pas sur ça.
Je me suis souvent demandé pourquoi c’était lui.
Pourquoi c’est toujours ceux qui brillent qu’on arrache trop tôt.
Peut-être parce qu’ils brûlent plus vite.
Ou parce qu’ils refusent de s’éteindre, même quand tout devrait les engloutir.
Je ne saurais pas dire si je l’aimais avant qu’il meure, ou après.
Mais je sais que c’est ce jour-là que j’ai compris ce qu’était la peur.
Pas celle de perdre quelqu’un.
Non.
La vraie peur, c’est de le voir revenir.
Et de réaliser qu’il n’aurait pas dû.
Car parfois, les morts ne restent pas là où on les enterre.
Parfois, ils se lèvent.
Et ils vous regardent, avec le même visage, les mêmes yeux…
Mais plus rien derrière.
Et ce jour-là, sur l’asphalte encore tiède, Lior s’est relevé.

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