Chapitre 3
Cela fait trois jours.
Trois jours que Lior et moi faisons semblant.
Semblant d’aller bien, de dormir, de manger, de rire quand les autres parlent trop fort.
Trois jours que je m’invente des gestes pour paraître normal, pendant que tout en lui crie le contraire.
Le matin, il passe me chercher, comme avant.
Il a toujours cette façon de marcher, cette allure tranquille qu’on lui a toujours connue — mais quand on le regarde de trop près, quelque chose cloche.
Ses mouvements ont perdu leur souplesse.
On dirait qu’il se souvient de comment on fait, plutôt qu’il ne le fait vraiment.
À chaque fois que je croise son regard, je me demande s’il sait que je le vois.
Pas seulement le garçon que tout le monde continue de saluer.
Mais celui que j’ai vu mourir.
Les premiers jours, j’ai voulu en parler.
Dire la vérité à quelqu’un, à Nora, à Milo, à n’importe qui.
Mais à chaque fois, quand je regarde Lior, les mots se bloquent.
Il a cette manière de me regarder, à mi-chemin entre la confiance et la supplication, comme s’il savait déjà ce que je m’apprêtais à faire.
Alors je me tais.
Et le silence devient notre secret.
Ce matin-là, on marche côte à côte jusqu’au lycée.
Le ciel est bas, gris. L’air sent la pluie.
Lior a les mains dans les poches, les yeux fixés droit devant.
— T’as bien dormi ?
Il hausse les épaules.
— Assez. Et toi ?
— Pas vraiment.
Il sourit sans me regarder.
C’est un sourire qu’il copie, j’en suis sûr.
Le vrai, celui d’avant, celui qui plissait un peu ses yeux et faisait trembler sa bouche, n’existe plus.
Celui-là, c’est juste un dessin qu’il trace sur son visage.
Je pourrais lui dire qu’il me fait peur, que je ne comprends pas ce qu’il est devenu, que je me réveille la nuit en revoyant son corps tordu sur l’asphalte.
Mais au lieu de ça, je dis :
— On a maths ce matin, non ?
— Ouais.
Et c’est tout.
Comme si la normalité pouvait recoller les morceaux.
En classe, tout se passe comme si rien ne s’était produit.
Les autres parlent, plaisantent, envoient des papiers en boule.
Et lui, il joue le jeu.
Il répond, il rit, il existe.
Mais je le vois.
Je vois ses doigts qui ne bougent plus tout à fait comme avant.
Ses paupières qui clignent trop lentement.
Et surtout, cette absence de fatigue — cette immobilité dans ses traits.
Comme si le temps n’avait plus d’effet sur lui.
À un moment, il tourne la tête vers moi et murmure :
— Arrête de me fixer comme ça.
— Tu crois que je peux faire autrement ?
— Essaie.
Je détourne le regard, le cœur battant trop fort.
Parce qu’au fond, j’ai peur de ce qui arriverait si je cessais de le regarder.
J’ai peur qu’il disparaisse.
Les autres ne voient rien.
Nora lui a offert un café en souriant, Milo lui a tapé dans le dos, Kamil lui a demandé des nouvelles de sa jambe.
Lior a répondu avec un calme parfait, presque élégant :
“C’est fini, juste une entorse.”
Une entorse.
J’ai cru que j’allais éclater de rire.
Ou pleurer.
Je ne savais plus.
À midi, il s’assoit à ma table, sans rien dire.
Je ne mange pas, lui non plus.
Les autres trouvent ça normal — ils croient qu’on révise, qu’on est juste dans notre bulle habituelle.
S’ils savaient.
Il joue avec sa cuillère, la fait tourner entre ses doigts.
La lumière de la cantine se reflète sur le métal.
Et dans ce reflet, je ne vois pas sa main.
Juste la mienne.
Je cligne des yeux, et tout redevient normal.
Mais je sens la sueur froide me glisser le long du dos.
— T’as vu ça ?
— Quoi ?
— Rien.
Il me fixe un instant, son regard posé, presque inquiet.
Puis il chuchote :
— T’as promis de pas paniquer.
Je hoche la tête.
Mais j’ai envie de hurler.
Le soir, il passe chez moi.
“Juste pour bosser un peu”, qu’il dit.
Il a ce ton léger, presque ironique, comme avant.
Mais il y a dans sa voix une note étrange, creuse.
Je ne l’ai jamais remarquée avant.
On s’installe dans ma chambre, les cahiers ouverts, la musique basse.
Mais personne ne travaille.
Il reste silencieux, les yeux dans le vide.
Parfois, il se met à sourire sans raison.
Je sens qu’il s’éloigne.
Pas dans l’espace, mais ailleurs — dans un endroit où je ne peux pas le suivre.
Je le fixe longtemps, sans parler.
Et soudain, il murmure :
— T’as remarqué ?
— Quoi ?
— Le bruit. Il n’y en a plus.
Je tends l’oreille.
Dehors, la pluie tombe.
Mais c’est vrai.
Il n’y a pas ce bourdonnement habituel de la ville, pas le cliquetis du radiateur, pas le souffle du vent.
Juste un silence dense, compact.
Lior ferme les yeux.
— J’aime bien, fait-il doucement. C’est plus calme, ici.
Je ne réponds pas.
Parce que ce “ici” me glace.
Je ne sais pas s’il parle de ma chambre ou d’un autre endroit — celui d’où il ne serait jamais revenu.
La nuit tombe plus vite qu’avant.
Je m’allonge, mais je dors mal.
Vers deux heures du matin, un murmure me réveille.
Lior, assis sur le bord du lit, parle tout bas, les yeux fermés.
Je crois d’abord qu’il rêve.
Mais les mots ne ressemblent à rien que je connaisse.
Une langue faite de sons rauques, saccadés, presque douloureux.
— Lior ?
Il s’interrompt.
Ses yeux s’ouvrent brusquement, la pupille dilatée.
Puis il me regarde, et sa voix redevient la sienne.
Calme. Froide.
— Je crois que quelque chose en moi n’a pas compris qu’il fallait s’arrêter.
Je ne sais pas quoi répondre.
Alors je m’approche, pose une main sur son bras.
Il ne bouge pas.
Sa peau est glacée.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Que je suis là parce que je t’ai entendu crier.
— Quand ?
— Quand je suis parti.
Son regard se brouille.
— J’étais loin, je crois. Mais ta voix… elle m’a retenu.
— Tu veux dire que c’est… moi ?
Il sourit faiblement.
— T’inquiète pas. C’est pas ta faute. C’est juste que je crois que… j’ai pas su mourir.
Je sens un frisson me parcourir.
Pas de peur. Pas vraiment.
Plutôt cette certitude étrange que tout ce qui va suivre sera irréversible.
Je le regarde longtemps, et je me rends compte que je n’arrive plus à me souvenir de la façon dont il respirait, avant.
Du son de son rire.
De la chaleur de sa main.
Tout s’efface, doucement.
Et moi, au lieu de le repousser,
je me rapproche encore.
Je ne sais pas si c’est lui que je cherche, ou la preuve qu’il est toujours là.
Lior me regarde, sans ciller. Son visage est calme, presque apaisé, mais dans ses yeux il y a cette lueur étrangère, comme un éclat d’ombre qui ne lui appartenait pas avant.
Le silence entre nous est si dense qu’il m’enserre la gorge.
Je pourrais le rompre, dire quelque chose de banal — “tu devrais dormir” ou “tout va bien se passer” —, mais je sens que le moindre mot risquerait de tout faire basculer.
Alors je reste là, assis sur le sol, lui sur le bord du lit.
Nos respirations ne sont plus synchronisées.
Enfin, non — la mienne ne l’est plus.
La sienne… je ne l’entends pas.
Je tends la main, lentement, jusqu’à toucher son poignet.
Sa peau est froide, d’une froideur qui ne ressemble pas à celle de l’hiver.
C’est un froid intérieur, profond, comme si son sang s’était arrêté depuis longtemps.
— Tu le sens ? je murmure.
— Quoi donc ?
— Ce vide, là, sous ta peau.
Il baisse les yeux, et pour la première fois depuis l’accident, il a l’air sincèrement effrayé.
— Oui, dit-il simplement.
Le lendemain, je ne le vois pas en cours.
Son siège est vide, mais personne ne s’en étonne.
Milo plaisante en disant qu’il doit encore sécher pour dormir. Nora lève les yeux au ciel.
Et moi, je reste muet.
Je regarde cette chaise, ce vide exact à sa place, et j’ai la sensation d’une absence plus grande que la pièce entière.
À la pause, mon téléphone vibre.
Un message.
Lior : “Je suis à la grange, viens.”
La grange. Celle qu’on a découverte ensemble, derrière le vieux stade.
Un endroit que personne ne connaît.
Je n’hésite pas.
Quand j’arrive, la lumière est filtrée par les planches disjointes.
Lior est là, assis sur une botte de foin, les bras autour des genoux.
Il a l’air épuisé, mais pas comme quelqu’un qui manque de sommeil. Plutôt comme quelqu’un qui s’use à exister.
— Pourquoi t’es pas venu ?
— Je voulais voir si ça changerait quelque chose.
— Et ?
Il me regarde, l’air lointain.
— Pour eux, non. Pour moi… peut-être.
Il se lève, s’approche.
Ses pas ne soulèvent pas la poussière.
Je le remarque seulement quand il s’arrête tout près, si près que je sens à peine le contact de son souffle contre ma joue.
— Tu vois quelque chose, là ? demande-t-il doucement.
— De quoi tu parles ?
— Regarde bien.
Il lève la main.
Entre ses doigts, la lumière du soleil s’effrite, comme déviée.
L’air tremble, vacille.
Et l’espace d’un instant, je ne vois plus que son ombre — pas lui, juste l’ombre, suspendue sur le mur derrière.
Puis tout redevient normal.
Je recule d’un pas.
— C’était quoi, ça ?
— Je crois que je commence à partir, Vadim.
Sa voix n’a pas tremblé.
Mais la mienne, oui.
— Arrête. Tu… t’es juste fatigué.
— Non. C’est différent. Quand je ferme les yeux trop longtemps, j’oublie que je dois les rouvrir. Et parfois, quand je parle, j’ai l’impression que c’est quelqu’un d’autre qui le fait à ma place.
Je ne trouve rien à répondre.
Je me contente de m’asseoir, là, à côté de lui, et de poser ma main sur la sienne.
Il me regarde comme si ce geste était la seule chose réelle autour de nous.
— Tant que je te vois, ça va, dit-il.
Ses mots me traversent comme une lame.
Parce que moi aussi, je me rends compte que tant qu’il est là, je respire mieux.
Et c’est peut-être ça, le pire.
On reste longtemps comme ça, sans parler.
Le soleil baisse, les ombres s’allongent.
À un moment, Lior rit doucement, sans raison.
— Quoi ? je demande.
— C’est marrant, fait-il. Je me souviens plus de la couleur du ciel.
— Il est gris, comme tous les jours.
— Non. Avant. Avant, il était bleu.
Je hoche la tête.
— Il le sera encore.
— Tu promets ?
Je mens.
Je dis oui.
Plus tard, il me demande de rentrer avec lui.
Il dit que sa mère s’inquiète, qu’il faut qu’on fasse semblant.
Sur le chemin, il marche un peu trop droit, un peu trop silencieux.
Et chaque pas qu’il fait semble plus léger que le précédent, comme si le monde retenait de moins en moins son poids.
Devant chez lui, il s’arrête.
— Tu veux rester ?
— Si tu veux.
On monte dans sa chambre.
Tout est à sa place, rien n’a bougé depuis… depuis l’accident.
Même ses vêtements, pliés sur la chaise, ont l’air de l’attendre.
Il s’allonge sur le lit.
Je reste debout, à le regarder.
Il ferme les yeux.
Et quand il les rouvre, quelque chose a changé.
Son regard est vide, un instant à peine — puis il se concentre sur moi, avec une intensité nouvelle.
— Quand t’as crié, l’autre jour, dit-il soudain, j’ai tout entendu. Même après.
— Après quoi ?
— Après que tout s’est arrêté.
Il s’interrompt, passe une main sur sa gorge.
— C’est là que ça brûlait, tu te souviens ? J’ai cru que j’allais mourir pour de bon.
— Tu l’as fait.
— Ouais, souffle-t-il. Je crois.
Je m’assois près de lui.
Je veux dire quelque chose, mais je sens ses doigts frôler les miens.
Un contact minuscule, à peine réel.
Mais il suffit.
Nos mains se cherchent, se frôlent encore, s’agrippent.
Je sens sous ma peau la sienne, glacée et pourtant vivante d’une autre manière.
Et tout à coup, c’est comme si le monde se taisait pour de bon.
Pas un bruit dehors.
Pas un battement de cœur.
Juste ce lien, suspendu.
Il murmure :
— Si je disparais, tu me retiendras ?
— Je t’en empêcherai.
— Même si ça te tue ?
— Surtout si ça me tue.
Il ferme les yeux, et un sourire — un vrai, cette fois — traverse son visage.
Pas un sourire de façade, pas une imitation.
Un sourire qui tremble, qui respire encore.
— Alors reste, dit-il.
Je reste.
La nuit avance, lourde et pleine d’un silence étrange.
Lior s’endort, ou du moins je crois qu’il dort.
Sa respiration est imperceptible, ses paupières immobiles.
Je me penche, pose une main sur sa poitrine.
Rien.
Pas un battement.
Et pourtant, il bouge dans son sommeil, murmure mon prénom.
Vadim.
Ce mot, dans sa bouche, sonne comme une prière oubliée.
Je me recule, incapable de détacher mon regard de lui.
Et soudain, la lampe sur le bureau clignote, une fois, deux.
L’air se refroidit brutalement.
Je sens le froid me mordre les doigts, s’enfoncer dans mes os.
Et dans ce froid, quelque chose se met à bouger.
Pas lui — autour de lui.
Un frémissement invisible, comme si le monde respirait à travers sa peau.
Je veux reculer, mais je reste figé.
Parce qu’au milieu de cette ombre qui se tord, ses yeux s’ouvrent.
Bleus, profonds, traversés d’un éclat presque blanc.
Il me regarde.
Et murmure :
— Tu vois ? Je suis encore là.
Le matin est gris et lourd, comme s’il portait déjà le poids de ce qui doit arriver.
Je marche dans les couloirs du lycée avec Lior, et chaque pas que nous faisons me paraît résonner trop fort.
Il est en retard — chose rare pour lui — et son allure est étrange, presque flottante.
Ses épaules sont basses, son visage pâle, ses lèvres violacées.
Je n’ose pas le regarder trop longtemps, mais je sens qu’il me cherche dans chaque geste que je fais.
Dans la classe, il s’assoit, silencieux.
Tout autour, les rires, les bavardages, le craquement des chaises semblent lointains, comme si quelqu’un avait baissé le volume du monde.
Il fixe le tableau, les yeux grands ouverts, mais je sais qu’il n’y voit rien.
Rien que la pièce vide derrière ses paupières.
Alors je pose doucement ma main sur son bras.
Et immédiatement, il sursaute, comme si le contact l’avait tiré d’un gouffre.
— Vadim… murmure-t-il, la voix rauque, étranglée.
— Quoi ?
— Merci… c’est… je crois que ça me fait du bien.
Le simple fait que je le touche le ramène.
Il respire à nouveau.
Sa main se resserre légèrement autour de la mienne.
Et je sens quelque chose de fragile, de fragile et vivant, reprendre place en lui.
Mais cette magie fragile est immédiatement confrontée à la réalité.
Madame Arel, qui se tient debout à côté du bureau, fronce les sourcils.
— Lior ? Tout va bien ?
Lior sursaute et rit nerveusement, comme si elle venait de le surprendre en train de rêver.
— Oui… oui, juste un peu fatigué.
Mais son regard, lui, est glacé.
Elle s’approche, tend la main pour poser son poignet contre le sien.
Rien.
Pas un battement.
Pas de chaleur.
Elle recule légèrement, ses yeux s’écarquillant.
— Il est… glacé.
Un frisson me parcourt.
Personne d’autre ne semble remarquer quoi que ce soit. Les élèves rient, pensant à une plaisanterie.
Mais moi, je sens chaque seconde comme un couteau.
Chaque souffle que je retiens est un rappel que je suis le seul à maintenir Lior entre deux mondes.
— T’inquiète pas, lui murmurai-je, en serrant un peu plus sa main.
— Je sais, souffle-t-il. Mais… t’as compris ? Sans toi, je serais vide.
Je ne réponds pas.
Parce que répondre, ce serait reconnaître la vérité, et je ne peux pas le faire.
Alors je garde le silence.
Et dans ce silence, je sens son cœur battre sous ma paume — faible, fragile, mais là.
Il est là. Pour moi.
À la pause, nos amis s’approchent.
Nora le remarque en premier.
— Lior… t’as l’air… bizarre. Tu vas bien ?
Il sourit, tente une blague :
— Fatigue, rien de plus.
Milo ricane :
— Ouais, le roi des pauses !
Mais il y a quelque chose dans leur regard à tous.
Ils sentent que quelque chose cloche, même si personne n’ose le dire.
Vadim, je sens leur attention sur nous, et je m’avance instinctivement pour protéger Lior.
— Laisse-le tranquille, dit-je. Il est juste un peu fatigué.
Nora fronce les sourcils, mais hoche la tête.
Pour elle, c’est peut-être suffisant. Pour moi, non.
Je sens que chaque seconde loin de moi est un vide qui avale Lior.
Chaque geste que je ne fais pas pour le toucher le fait reculer un peu plus dans ce néant silencieux.
Quand nous nous isolons sous l’ombre d’un arbre, je nettoie une petite tache de sang séché sur son col.
— Tu… t’en es rendu compte ?
— Non… murmure-t-il. Je crois que je… j’ai rien senti.
Il baisse les yeux.
Je pose ma main sur la sienne.
— Tu sens ça ?
— Oui… enfin… quelque chose.
C’est tout ce qu’il faut.
Pas de couleur, pas de chaleur, pas de souffle.
Juste moi.
Et à travers ce contact, il est vivant.
La cloche avait sonné, mais l’air dans la salle restait lourd, suspendu.
Madame Arel nous retint avant que nous puissions sortir.
Ses yeux ne quittaient pas Lior.
Elle avançait lentement, ses mains tremblantes, cherchant à toucher son poignet.
Je sentis mon estomac se nouer.
— Lior… tu es sûr que ça va ? dit-elle doucement.
Il baissa les yeux, détourna le regard.
— Oui… juste un peu fatigué, répondit-il, presque à voix basse.
Mais il n’y avait pas de vie dans sa voix, pas de chaleur dans ses gestes.
Je posai ma main sur la sienne, discrètement, et immédiatement je sentis ce faible battement, fragile mais réel.
Je le fixai, silencieux.
— Tu me sens ? murmurai-je.
— Oui… juste… toi.
Elle fronça les sourcils, perplexe.
— Quoi ?
— Rien, balbutiai-je, je… c’est juste qu’il est un peu sensible au froid.
Lior frissonna, et je glissai ma main sur son bras.
Ses doigts se resserrèrent instinctivement autour des miens.
Il ne dit rien, mais ses yeux trahissaient un soulagement que je n’avais jamais vu auparavant.
Pour lui, tout le reste pouvait disparaître. Tout sauf moi.
Madame Arel recula, visiblement confuse.
— Il est glacé… tu ne trouves pas ?
Je sentis Lior se crisper légèrement, son souffle saccadé.
Je posai ma paume sur sa poitrine, juste assez pour sentir son cœur.
Un frisson me parcourut. Il battait… seulement pour moi.
— Ça va aller, soufflai-je, d’une voix tremblante mais ferme.
Il me jeta un regard bref, presque un sourire :
— Tant que t’es là… je crois que je suis encore… ici.
Je ne dis rien. Les mots seraient inutiles.
Je serrai juste sa main, la gardant contre moi.
Il s’accrocha à moi, comme si sa vie dépendait de ce simple geste.
Quand la professeure s’éloigna enfin, je le tirai vers l’extérieur.
Nos amis nous attendaient dans le couloir.
Nora s’approcha, inquiète.
— Lior… t’as vraiment l’air mal. Tu devrais aller à l’infirmerie.
Il esquissa un sourire fragile.
— Non, merci… ça va passer.
Milo et Kamil échangèrent un regard, suspicieux, mais ne dirent rien.
Théo, plus curieux, frôla le poignet de Lior. Ses yeux s’écarquillèrent.
— T’es… froid, dit-il doucement, presque effrayé.
Lior déglutit et détourna le regard.
Je posai de nouveau ma main sur la sienne.
— Tu sens ça ? murmurai-je.
— Oui… un peu… toi, seulement toi.
Nous marchâmes ainsi, main dans la main, jusqu’à chez moi.
Aucun mot supplémentaire n’était nécessaire.
Le monde pouvait continuer à bouger autour de nous, à parler, à vivre.
Pour Lior, il n’y avait que ma présence, comme une ancre fragile.
Chez moi, dans ma chambre, nous nous assîmes côte à côte.
Il s’allongea, me tendit la main sans un mot.
Je la pris, la serrai doucement.
— Je ne te laisserai pas partir, dis-je, presque pour moi-même.
— Je ne peux pas partir… tant que tu es là, répondit-il, sa voix tremblante et cassée.
Il ferma les yeux, mais je sentis chaque frisson, chaque souffle, chaque battement de son cœur sous ma paume.
C’était la seule chose réelle.
Le monde entier pouvait s’effacer, mais tant que je le touchais, il était vivant.
Le silence entre nous était dense, presque palpable.
Pas besoin de mots. Pas besoin de rire.
Juste ma main sur lui, son souffle contre moi.
Le monde pouvait attendre.
Je posai mon front contre son épaule, fermant les yeux.
— Toujours, murmurai-je.
— Toujours… souffla-t-il en retour.
Et dans ce moment fragile, j’ai compris que je portais sa vie entre mes doigts.
Si je le lâchais, il se dissoudrait dans l’espace froid entre les vivants et les morts.
Et je savais que je ne pourrais jamais… jamais le laisser disparaître.

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