Le boxeur
Je l'ai trouvé à la fin de son match. De son combat. De son duel, peut-être. J'étais armé, comme à mon habitude, de mon crayon fétiche, usé et grand comme un brin d'herbe. En fait, un petit brin d'herbe. J'étais prêt à retranscrire par écrit tout ce que me dirait cet homme, torse nu et gants aux poings si il acceptait de perdre son temps avec moi.
- Vous aimez vous battre ?
Son regard fut aussi frappant que n'importe lequel de ses coups, et se retournant d'un geste brusque vers moi, il tendit sa serviette à son coach en me répondant :
- Sinon, pourquoi serais-je ici ?
- C'est la douleur. Vous êtes là pour elle, n'est-ce pas ? Autant pour celle que vous donnez que pour celle que vous ressentez.
Désormais, il était entièrement disposé à m'écouter et avait l'air intrigué, comme un prédateur par un insecte insignifiant. C'est comme ça que je me sentais, là, devant cette montagne de muscles saillants et à deux pas du ring. Mais les insectes ont toujours un as dans la manche, et ne finissent pas de surprendre ceux qui ne les connaissent pas assez.
- Alors c'est ça, hein ?
A présent ma mine déchirait presque le papier jauni de mon bloc-notes. Tant de questions qui resteront sans réponses, il fallait que je pose les plus importantes à mes yeux. Il ne m'en laissa pas le temps.
- Avoir mal, souffrir, c'est aussi se sentir vivant l'espace d'une seconde. La boxe c'est ça, un échappatoire à la routine. Par la souffrance, mais c'est un faible coût à payer pour voir ce que ça me fait. Mais vous, les journalistes, vous ne pouvez pas comprendre ça. Vous posez des questions sans vous intéresser à la réponse. Vous vivez au dépens des autres, et là, tout de suite, vous m'emmerdez.
Bel uppercut, mais je ne tombe pas KO aussi facilement. Je contre-attaque :
- Je ne suis ni journaliste, ni hypocrite. Votre vie m'intéresse, la mienne n'est pas palpitante. Elle ne sort pas de la routine. On continue ?
Malgré son oeil au beurre noir, il avait les yeux ébahis. Je ne pus réprimer un léger sourire, de satisfaction personnelle. Un partout mon gros, tu es sans défense quand tu sors du ring apparemment. Je note, sans vraiment réaliser pourquoi.
Il enlève ses gants, les donne aussi à son coach, et se fait saigner. Avec deux doigts, il ouvre de force son oeil abîmé, et serrant les dents, il désigne le sang qui commence à couler.
- C'est ça qui t'intéresse ? Me rappeler ce que j'endure, ce que je risque ? Il y a deux ans, j'ai failli y passer à cause d'un traumatisme crânien... Chaque nuit, en pansant mes plaies, en lavant mes blessures, je me souviens que ce jour-là aurait pu être le dernier. Alors, si c'est pour te plaindre de ta vie sans surprises sûrement mais aussi sans risques, tu peux aller voir mon adversaire. On est bien plus loquace quand on vient de gagner.
Cette fois-ci j'ai du mal à me relever. Le coup qu'il m'a asséné me permer de le voir différemment. C'est un homme d'action, évidemment, mais aussi un homme d'esprit. Et il en a vu d'autres, à ce qu'il dit. Ce pourrait bien être la fin de cette conversation, si je ne trouve pas sujet à répliquer.
- Je ne doute pas que votre passé a pu être difficile. On voudrait tous changer son passé, l'oublier, remplacer les moments douloureux en scènes quotidiennes. Je ne vous retiendrai pas plus longtemps, sachez juste que ni la douleur, ni la rancoeur ne sauront vous offrir une vie meilleure, sortez, rencontrez, échangez. Et vous en apprendrez davantage sur vous et sur les autres. N'est-ce pas ce que je viens de faire ?
Ma feuille est remplie et ma mine cassée, je m'en vais tandis que le boxeur me regarde.
Je le sens, dans mon dos, sûrement une bonne intuition.
Et un Knock-Out.
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