Chapitre 2 - Partie 1

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Partie 1 :

L’ennui, avec les digimains de Crowtechs, c’est qu’ils n’ont aucune protection face à une amélioration cybérologique aussi simpliste qu’un HFB-VH3…

Lavande attrapa son poignet droit et le tourna sur lui-même, pour le dévisser. Quand elle sentit une sensation de décapsulation au sommet de son radius, elle poussa sa paume avec précision vers l’arrière. Ses os semi-lunaires et scaphoïdes se détachèrent alors de son bras pour laisser entrevoir une puce en lithium. La jeune femme planta son ongle pointu sur la vis au creux et la tourna pour activer le mode souhaité. Une fois qu’elle eut obtenue ce qu’elle convoitait, elle attrapa à l’aide de son autre main celle qui était dorénavant aussi active qu’une poupée de chiffon pour la ramener vers elle. Une fois de nouveau en place, elle le tourna vers la gauche, histoire de fixer de nouveau ses os entre eux…

L’HFB-VH3, installée ici même à New Valley, offert par son tout premier emploi. Bien plus utilisée qu’elle ne l’aurait pensé, malgré l’abondance de techniques de piratage, de solutions de protection… Il existait grand nombre de radins qui se laissaient convaincre par le discours fallacieux de vilains commerciaux, pour son plus grand plaisir.

Lavande n’eut qu’à vérifier de nouveau si elle était seule, car le processus pouvait prendre quelques minutes en fonction du caractère aléatoire des séquences hexadécimales choisies par son amélioration. Le jardin était bien vide.

Le quartier aussi.

La nuit s’installait, emportant de son voile sombre les lueurs naturelles des bâtiments, elle mordait les rues, poussait l’artificiel à prendre de la place pour illuminer les quelques audacieux qui se risquaient à Slisuc Street une fois le soleil couché. Il ne restait plus que ça, les drogués, les dealeurs, les néons et Lavande.

Pendant que l’HFB faisait son travail, la jeune femme en profita pour prendre un instant de repos. Elle était si isolée qu’elle en profita pour… désactiver sa vision infrarouge, d’une simple pensée, la cyberologie Yuan-Ming. C’est que tout ce qui était lié à l’amélioration oculaire lui causait une terrible douleur, à la longue. Une pulsion migraineuse qui partait de sa cornée pour défoncer son passage à travers son crâne. Au bout de quelques années de service, Lavande était devenue obsolète, bonne à être jetée de Wengchao Cheng et remplacée par plus jeune, plus performante.

En face de l’immeuble auquel elle tentait d’accéder se trouvait l’Adonis, l’un des endroits les plus malfamés de NV. Son logo de rose épineux était porteur de sens.

Le meilleur moyen de perdre le peu de fric qu’il te reste, à te payer des putes rafistolées aux composites… Enfin dans le meilleur des cas.

Cette gigantesque demeure aux teintes violacées était entourée de rues qui ne valait pas mieux le détour. S’il te reste du pognon après l’Armor’, tu n’auras qu’à te placer un petit rail de dérouteur ou deux… Histoire de t’approcher un peu plus d’un reset de tes fonctions cyberales…

Lavande avait appris à haïr les bas-fonds, les gens qui s’apitoient, qui ne convoitent que l'opulence quand ils ne peuvent qu'atteindre la crasse, gratter un peu avec leurs ongles dégueulasses les couches des riches pour en dégager de quoi passer leurs misérables petites existences et…

Putain… La ferme 278…

La porte coulissa, sa cybérol’ sponsorisée Hexasoft avait toujours une efficacité certaine des années après. Lavande souleva son trench-coat noirâtre pour y attraper, dans sa ceinture, son fidèle Glock dans sa main droite, dans la gauche elle plaça un couteau de chasse.

Lavande avait beau avoir une utilisation certaine de cybérol’, ses armes fétiches étaient vues par certains comme des artéfacts de l’Ex-Monde.

L’oculaire infrarouge de nouveau activé, elle avança dans le vestibule pour rejoindre les escaliers. Son objectif ? Le premier étage.

Il ne lui fallut que quelques pas pour rejoindre l'appartement de sa cible.

Une fois devant, elle s’agenouilla, attrapa dans une poche un disque d’une finesse telle qu’il pourrait servir de lame et le plaça sous la porte, moitié intérieur, moitié extérieur. Comme ceci, toute action réalisée pour rentrer par effraction serait silencieuse, l’objet projetait les ondes inverses des bruits alentour, camouflant parfaitement ceux-ci pourvu qu’ils ne dépassent pas un seuil défini de décibels.

Le disque de silence en place, maintenant… Lavande fouilla de nouveau dans la même poche… le classique IEM-HX… Un appareil projeteur d’impulsion électromagnétique, chose illégale depuis quelques décennies déjà, mais avoir travaillé pour les Yuan-Ming offrait un bon nombre d’avantages sur le matériel.

La sécurité désactivée, elle n’eut qu’à forcer sur le…

Bordel, elle est trop lourde !

Rien n’y faisait, elle n’avait pas pensé que la porte pèserait autant, impossible à faire coulisser. De plus, pendant l’effort, à tenter de prendre appui n’importe où, elle avait écrasé son disque, et donc… empêché tout camouflage de son alors qu’elle faisait un fracas déjà bien au-delà du seuil de décibel…

Il ne fallut pas plus de temps pour qu’elle entende quelqu’un arriver.

Cette fois-ci, la porte s’ouvrit immédiatement, Lavande n’eut le temps d’attraper son Glock qu’elle se trouva avec un fusil ionique sous le menton, tenu par celui qu’elle comptait voler.

— Tiens tiens, qui voilà ? se marra l’homme, à la quarantaine, un paquet de cheveux parsemé par ci et là d’un crâne de pouilleux.

— Je pense qu’on va parler, avant toute chose regrettable ?

— Et qu’est-ce qui m’empêche de te réduire ton beau minois en charpie d’une simple pression sur la gâchette ? Personne ici ne viendra te pleurer, c’est courant.

— Courant qu’un candidat à la mairie ionise la face d’une femme à deux mois des élections ?

Première chose qui marque quand vous entrez chez un résident classique de NV ? Le nombre de cafards, à cela tu peux savoir exactement le mode de vie, les ambitions et bien sûr la maniaquerie de la personne chez qui tu viens de rentrer. C’est comme lire l’histoire de quelqu’un au fond d’une tasse de thé, sauf qu’ici il s’agit de dénombrer les blattoptères… D’ailleurs il y a toute une nuance due à l’espèce de…

Il s’assit sur le fauteuil devant elle, il n’était plus armé, sauf de sa cigarette. Lavande avait horreur de l’odeur de cette dernière, elle avait la sensation -en dehors de lui encrasser les poumons- que celles-ci pouvaient dérégler toute fonction cybérologique de son corps.

De toute manière, le sans contact n’avait aucunement besoin de se montrer menaçant, elle était ligotée, sur une chaise, jambes, bras… Une habitude se dégageait de ce scénario.

— Tiens, j’ai trouvé ça dans ta veste…

Il montra sa carte MV,

— Tu vas en avoir besoin pour enregistrer et refiler la séquence à celui qui t'engage…

L’aspirant maire la lui plaça dans son lecteur mastoïdien, Lavande eut une furieuse envie de le mordre quand il fut à portée de dents, mais son odeur corporelle lui enleva l’idée.

— Pourquoi m’attacher, me menacer si vous vous croyez innocent ?

— C’est évident, non ? T’essayes d’entrer chez moi par effraction, t’es armée, un couteau, un pistolet… Je suis un sans-contact, j’ai un quartier populaire en appui derrière moi… Tu crois que je n'ai pas compris que tu cherchais à me descendre ?

— Je ne suis pas un assassin, vous faites erreur.

— Alors t’es quoi ? Mon ange gardien ?

L’homme abîmé rit gras à sa blague, seul d’ailleurs, Lavande était placide.

— J’agis pour mon propre compte, mentit-elle, je suis une journaliste indépendante et votre popularité si soudaine attise ma curiosité.

S’il y avait bien là un talent qu’elle ne devait qu’à elle-même, et non pas à Hexasoft, Yuan-Ming ou tout autre corporation, c’était le mensonge. La science de la trahison corporelle n’avait aucun secret pour Lavande. Elle savait faire, ne pas fixer, conserver sa confiance, faire attention à ses micromouvements… Là, tu vas nier, te moquer…

— Une journaliste équipée d’un disque de silence ?

— Une efficace avec le goût du risque.

Réponse simple, presque insultante, mais ce qui compte dans le mensonge, ce n’est pas l’argument, mais la manière de le narrer.

Le sans-contact eut un rictus, de nature nerveuse, il se leva et montra son miteux appartement d’un geste de bras derrière lui.

— Et bien fouille. Vas y, j’ai rien à cacher, ce qui cherche les gens dehors, c’est pas du costard, c’est pas des promesses et de la langue de bois. C’est de la véracité, quelqu’un d’honnête, qui sait la merde dans laquelle ils vivent. Tiens, garde-moi cette citation pour ton article : “Journaliste.”

Imprudent, il vint jusqu’à la détacher, mais il n’était pas totalement dément non plus ; il ne lui rendit pas ses armes.

Lavande garda sa carte MV, elle en aurait besoin pour avoir les preuves nécessaires. La NVP voudrait avoir l’ensemble des données, s’ils pouvaient collecter une séquence complète de fouilles… Peut-être augmenteraient-ils sa dote.

Une blatte de Pennsylvanie… C’est un homme simple, se convainquit-elle alors qu’elle soulevait un livre habité par cette espèce commune. Cela devait bien faire un quart d’heure qu’elle fouillait l’appartement. Elle était perturbée par le comportement du sans-contact, il s’était installé dans son canapé, une bière bon marché à la main, devant son holoprojecteur. S’il cachait vraiment quelque chose, comme soupçonné par la police de NV, il l’aurait gardé sur sa chaise, bien serré, ou au moins l’aurait suivie pour vérifier qu’elle ne touche pas aux endroits sensibles.

Agacée par ses non-découvertes, elle plongea sa main dans sa poitrine où elle en sortit un mini modèle de revolver ionique, la force brute le fera parler, tant pis pour la dote de discrétion.

Elle arriva devant lui, le braqua, prit son air le plus intimidant, mais il ne réagit pas.

— T’as rien trouvé, c’est ça, journaliste ?

— Non putain, elle est où ta drogue ? J’ai des contacts !

— Ah je vois… Laisse moi deviner… Peraldo ? Non… Gaston peut être ? Ah… Non je sais, la NVP?

Lavande ne réagit pas, il avait l’ascendant sur elle, malgré sa formation au mensonge, elle avait trahi son employeur par quelques mouvements involontaires sous la surprise d’entendre l’acronyme.

— La police donc… La question étant de savoir qui leur a fourni l’info… C’est là que tu devrais fouiller petite, pas chez d’honnêtes gens. Allez casse-toi maintenant.

Il avait raison. Elle s’en doutait. Les sans-contacts sont tellement… pas souhaitable, surtout quand ils étaient populaires comme cet O’Sullivan.

Lavande rangea son arme, tendit la main, il lui rendit le reste de son équipement placé à ses côtés, puis elle commença à s’en aller, frustrée.

— Eh ! Attends, journaliste.

Sur le pas de la porte, il l’avait rejointe, presque essoufflé d’avoir dû rattraper ses grandes guiboles au pas pressé.

— Arrête de t’esquinter la vie avec ces gens-là, tu n’y trouveras que malheur. NVP, corporations… Trouve-toi un boulot honnête.

— C’est que ça n’existe pas ça, les boulots honnêtes… répondit Lavande, sur un ton cinglant, dégoûté. Elle ajouta un dernier regard derrière lui, sur la blatte, les seuls dont la vie est encore joyeuse dans ce merdier. Puis s’en alla.

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